Premier de cordée de l’Union européenne et troisième économie mondiale, l’Allemagne connaît depuis deux ans une chute de son activité. Après avoir enduré une récession en 2023, les instituts de statistiques allemands prévoient une croissance atone pour 2024, voire une nouvelle contraction économique. Coup de projecteur sur les causes de cette situation et ses répercussions sur les pays voisins. 

Pas de répit pour l’économie allemande. Après être tombée en récession avec un repli de 0,3 % en 2023, l’activité économique allemande reste moribonde. À tel point que si les instituts germaniques Ifo, DIW et IWH prévoyaient une croissance de 0,3 à 0,4 % pour 2024, ils anticipent aujourd’hui une stagnation de l’économie. Voire, d’après l’étude IFW, une nouvelle baisse de 0,1 %. Comment le pays, pris en exemple à travers l’Europe durant plusieurs années, peut-il suivre une telle trajectoire aujourd’hui ?

Le "Deutsche Qualität" en berne

Plusieurs raisons peuvent expliquer le coup de blues que subit l’économie outre-Rhin. Cette dernière présente une activité très internationalisée : selon le ministère de l’Économie français, les exportations pesaient 50,9 % du PIB en 2022, principalement tirées par les secteurs de l’automobile ou de l’industrie chimique et électrique. C’est là où le bât commence à blesser. Les exportations allemandes ont augmenté de seulement 1,6 % en avril 2024, quand le commerce international devrait croître de 2,6 % durant l’année en cours. Premier camouflet pour le troisième exportateur mondial.

"La France par exemple a une économie spécialisée dans les services et profite donc mieux aujourd’hui du rattrapage économique post-Covid, ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne" affirme Maxime Darmet, senior économiste chez Allianz Trade

Pour Maxime Darmet, senior économiste chez Allianz Trade, l’Allemagne subit de plein fouet sa perte de compétitivité : "Le pays pâtit directement de la spécialisation industrielle de son économie et de la concurrence chinoise, contre laquelle elle ne peut pas rivaliser sur le terrain des prix." Dans un contexte financier délicat à l’échelle mondiale, la qualité supérieure de la production allemande ne fait plus la différence. "La France par exemple a une économie spécialisée dans les services et profite donc mieux aujourd’hui du rattrapage économique post-Covid, ce qui n’est pas le cas de l’Allemagne", affirme encore l’économiste.

Frein à la dette et vieillissement de la population

Le cœur névralgique des maux du pays de Goethe réside principalement dans son refus de l’endettement. Encore accentuée en 2009 après la crise des subprimes, cette particularité budgétaire est inscrite dans la Constitution de la République Fédérale Allemande (RFA) depuis 1949. Elle prévoit que l’endettement structurel de l’État fédéral ne peut pas dépasser 0,35 % du PIB, tandis que la limite est fixée à 0 % pour les Länder (les régions autonomes). Une goutte d’eau comparée au déficit dont souffre l’État français, évalué en 2024 à 5,1 % du PIB.

Berlin ne peut ni compenser une croissance morose ni impulser une politique de relance en finançant son investissement par l’endettement

Cette "règle d’or", salutaire aux premiers égards, prive finalement l’Allemagne d’une marge de manœuvre budgétaire considérable par rapport à ses partenaires européens ou d’outre-Atlantique. Berlin ne peut ni compenser une croissance morose ni impulser une politique de relance en finançant son investissement par l’endettement, comme le font régulièrement ses concurrents.

Par ruissellement, ce frein bloque plusieurs pans de l’économie, affectés par un manque criant d’investissement. Louée pour la qualité de ses ingénieurs, l’économie d’outre-Rhin enregistre pourtant une baisse de sa main-d’œuvre qualifiée. Sa population vieillissante accède à la retraite, quand le nombre de nouveaux arrivants sur le marché de l’emploi ne compense pas les départs, du fait de la détérioration de son stock de capital (infrastructures publiques, machines). Il faudrait 600 milliards d’euros pour seulement maintenir en l’état le capital public. Or, le budget prévu pour 2025 affiche déjà un trou de 25 milliards d’euros, rendant difficile de nouveaux investissements pourtant nécessaires. Pire, il incite même à de nouvelles économies.

Selon deux instituts allemands, il faudrait 600 milliards d’euros pour seulement maintenir en l’état le capital public

Quand la démographie va mal, stimuler la productivité reste souvent l’un des seuls recours. Mais sans marge de manœuvre budgétaire il s’avère difficile de la dynamiser. Acculé, le chancelier allemand Olaf Scholz mise sur la baisse de l’inflation enregistrée en 2024 pour relancer la consommation des particuliers. Cependant, par effet boule de neige, l’inquiétude causée par l’incertitude économique pousse plutôt la population à épargner. Selon l’Ifo, le taux d’épargne des Allemands s’élève aujourd’hui à 11,3 %, quand il atteint 8,5 % au premier trimestre 2024 dans l’Hexagone, selon la Banque de France. Dans son combat pour relancer son économie, notre voisin fait donc face à une chimère à quatre têtes.

Une ombre sur l’Europe

Maxime Darmet estime que les difficultés du premier partenaire économique de la France devraient "coûter environ un milliard d’euros aux exportateurs français et amputer l’activité économique de 0,075 point en 2024. À l’échelle européenne, la République tchèque, la Pologne ou encore l’Italie sont aussi particulièrement affectées."

Les difficultés du premier partenaire économique de la France devraient "coûter environ un milliard d’euros aux exportateurs français et amputer l’activité économique de 0,075 point en 2024", estime l'économiste

Si elles ne sont pas dramatiques, ces perspectives restent peu réjouissantes. Prise en étau entre le conflit russo-ukrainien et la guerre commerciale larvée à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine, l’Union européenne souffre des maux de son meilleur élève. Rendue exemplaire par son faible chômage structurel, sa forte compétitivité et sa stabilité politique, l’Allemagne entame aujourd’hui un virage délicat qui pourrait altérer la crédibilité économique et géopolitique du Vieux Continent.

Pour sauver son bilan économique, Olaf Scholz cherche à mettre en place un plan de relance économique avant les prochaines élections législatives de 2025. Mais ce dernier parait difficilement finançable du fait du verrou budgétaire. Cependant, là où ses voisins pourraient finir par heurter le mur de la dette, l’aversion pour l’endettement de Berlin protège l'économie allemande d'une telle éventualité. De quoi lui redonner le sourire à terme ?

Tom Laufenburger


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