Encore sous-exploitée, la fiducie constitue pourtant un outil de poids dans la structuration d’un patrimoine. Experte en la matière, Christine Turlier, notaire diplômée et avocate aux barreaux de Paris et de Bruxelles, retrace les avantages mais aussi les zones de flou juridique qui entourent ce concept.

Décideurs. En matière de fiducie, à quel(s) titre(s) intervenez-vous ?

Christine Turlier. Le cabinet a développé une réelle expertise sur le sujet de la fiducie. D’abord en matière de fiducie gestion puisque mon cabinet est dédié au droit patrimonial dans toutes ses composantes. Mais aussi en matière de fiducie sûreté et de fiducie "mixte". Nous intervenons en amont concernant l’ingénierie de l’opération avec un spectre à 360 degrés, lié à mon double cursus de notaire puis d’avocat. Cela aboutit également très souvent à ce que nous suggérions et rédigions d’autres outils patrimoniaux tels que notamment, le mandat de protection future, le mandat posthume ou la charte de famille et gouvernance. Nous rédigeons le contrat de fiducie avec toute l’impartialité requise, ce qui commande, à mon sens, que le fiduciaire ne soit pas le rédacteur du contrat. Cela me permet d’avoir un droit de regard sur le fonctionnement global du contrat, les droits et obligations de chacun, la tarification du fiduciaire. Enfin, nous pouvons également intervenir en tant que tiers protecteur ou par le biais d’un family office patrimonial, afin de veiller à la bonne exécution du contrat.

Quels types de fiducie avez-vous eu à mettre en place ?

Tout type de fiducie ! Il peut s’agir de fiducie-sûreté à l’occasion de procédures collectives ou de fiducie-gestion dans le cadre de l’anticipation de sa propre vulnérabilité (ce qui peut mener les réflexions jusqu’au pouvoir décisionnel que l’on confère au fiduciaire pour céder le groupe, le plus souvent ce pouvoir est encadré par la création d’un comité) ou l’encadrement des donataires ou héritiers dans la gestion des actifs transmis. Enfin, nous intervenons aussi dans des fiducies mixtes, par exemple dans le cadre d’un divorce pour assurer le paiement de la pension alimentaire ou de la prestation compensatoire.

"La fiducie est un outil patrimonial très ludique intellectuellement car son régime est simple et donne le libre champ à la créativité"

Quels sont les atouts juridiques et patrimoniaux de la fiducie ? Quels sont ses objectifs ?

La fiducie est un contrat nommé - car défini et réglementé par la loi -, synallagmatique et translatif de propriété puisqu’il entraîne la création d’un patrimoine d’affectation au profit du constituant ou d’un tiers bénéficiaire, dont le constituant est débiteur.

Je l’ai toujours affirmé : la fiducie est un outil patrimonial très ludique intellectuellement car son régime est simple et donne le libre champ à la créativité ! Chaque contrat que je rédige est différent et le client (ou ses conseils) est nécessairement associé à cette rédaction "sur mesure".

À quel type de patrimoine ou de famille s’adresse-t-elle ?

Les patrimoines complexes ou spécifiques – par exemple ceux contenant des titres sociaux, des biens indivis, des œuvres d’art, une assurance vie –, ou les situations particulières comme paiement d’une dette, l’anticipation d’une incapacité, l’accompagnement dans la gestion de biens transmis à titre gratuit, sont particulièrement indiqués.

"La fiducie n’est pas encore perçue à sa juste valeur"

À quels mécanismes se substituent-elles efficacement ? Quels sont ses avantages sur le mandat de protection future ou la SCI ?

Il ne s’agit pas d’une substitution automatique. Le conseil patrimonial avisé doit permettre une "mise en concurrence" intellectuelle et saine entre les différents outils permettant de couvrir l’intégralité des souhaits du client. Par exemple, société civile et fiducie ont en commun d’entraîner un transfert de patrimoine et l’isolement du bien y afférant. En revanche, les pouvoirs que l’on peut conférer au gérant ou au fiduciaire sont différents. Le fiduciaire agira toujours dans l’intérêt propre du constituant, voire du bénéficiaire. Le gérant sera nécessairement lié par l’intérêt social. L’abus de biens sociaux n’existe pas en matière de société civile, mais si le gérant agit au détriment de l’intérêt social, il risque la révocation.

Le mandat de protection future, lui, ne résiste pas (ou rarement) à la mise sous tutelle du mandataire (cf notamment Cass., Civ. 1ère, 17 avril 2019) mais il demeure très intéressant lorsqu’il porte sur la personne du mandataire (et non son patrimoine).

En tout état de cause, je constate qu’à ce jour, la fiducie n’est pas encore perçue à sa juste valeur. C’est notamment un outil alternatif à la mise sous protection judiciaire des majeurs.

"En dix ans, il n’y a eu aucun contentieux porté devant les juridictions françaises"

Quelles en sont les limites actuelles ? Existe-t-il des zones de flou juridique ?

Actuellement, il existe quatre limites principales requérant des modifications législatives : 

- la fin de la fiducie gestion en cas de décès du constituant unique personne physique,

- l’impossibilité pour un tuteur de recourir au contrat de fiducie dans l’intérêt du majeur protégé, même avec une autorisation judiciaire préalable, 

- la prohibition de la fiducie libéralité,

- la coordination entre fiducie gestion et pacte Dutreil.

Comment sécuriser les contrats de fiducie ? Comment le juge la perçoit-elle ?

En dix ans, il n’y a eu aucun contentieux porté devant les juridictions françaises. Le recul est d’abord exigé du professionnel qui recommande la fiducie car il est évidemment requis d’en appréhender les atouts et les limites pour savoir les détourner et suggérer l’utilisation du mécanisme à bon escient.

Ensuite, évidemment, il y a des points qui nécessitent une attention particulière. Je pense notamment à la capacité du constituant personne physique ou morale, à l’identité du bénéficiaire lorsqu’il ne s’agit pas du constituant ou aux pouvoirs du fiduciaire et la délégation de pouvoirs au profit d’un tiers (lorsque des deniers sont apportés en fiducie, le recours à un établissement financier est requis pour en assurer la gestion. Encore faut-il s’assurer de son effectivité et de sa liaison avec les pouvoirs conférés initialement au fiduciaire. De même en matière d’assurance vie).

 

Concernant le cabinet d’avocats Christine Turlier & Partners :

Fondé par Christine Turlier, notaire diplômé de l’Université de Paris II Panthéon Assas, ancien avocat associé au cabinet FIDAL, le cabinet d’avocats Christine Turlier & Partners est exclusivement dédié au droit patrimonial. Il traite des aspects civils, fiscaux et corporate de la transmission de patrimoine, privé et professionnel, à titre gratuit et onéreux.

Le cabinet a développé une expertise, notamment, en matière de transmission d’actifs complexes (titres sociaux, œuvres d’art) et de fiducie. A ce sujet, le cabinet intervient en amont relativement à l’ingénierie du contrat et à sa mise en place, pour la rédaction et en tant que tiers protecteur.

Par ailleurs, le cabinet Christine Turlier & Partners propose une offre de « Family Office Patrimonial ».

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