Alors que le marché locatif tarde à redémarrer, les valeurs des immeubles, elles, continuent de progresser, entraînant une contraction des taux jamais vue : 3,5 % et même 3 %. Le paradoxe est, selon les spécialistes de la place, historique.

C’est du jamais vu en dix ans et c’est l’un des plus grands notaires spécialisés en immobilier qui l’affirme. Hubert Wargny, comme tous les experts du marché, reste sceptique face au niveau atteint en 2015 par les taux de rendement du prime parisien : 3 % sur les actifs les plus prisés, 3,5 % au mieux, alors que le marché locatif devrait à peine dépasser la barre des deux millions de mètres carrés placés cette année, un minimum requis. Comment expliquer ce paradoxe historique ? Folie des acquéreurs ? Hypocrisie du marché, qui ne dit pas le véritable état du locatif ? Ni l’un, ni l’autre. L’explication tient en deux mots : taux d’intérêt. Jamais ils n’ont été aussi bas et permis un tel accès au crédit, à des coûts défiant toute concurrence. Des masses de liquidités se déversent sur le marché immobilier et l’effet de levier si décrié en 2008 fait son retour. Jamais l’écart entre les rendements immobiliers et l’OAT 10 ans n’a été aussi élevé, aiguisant l’appétit des investisseurs pour les premiers. « Le différentiel de taux atteint toujours plus de 230 points de base comparé à une OAT 10 ans (0,89 % fin septembre 2015), une situation radicalement différente de celle de 2007 où le taux de l’OAT atteignait 4,60 %, soit un différentiel négatif de 110 points de base », indique ainsi JLL dans sa dernière analyse du marché du troisième trimestre 2015. 


3 % : un niveau record
Fait rare : ce spread reste historiquement élevé malgré la contraction des taux de capitalisation des actifs. JLL note ainsi qu’au troisième trimestre 2015, « le taux de rendement prime dans le QCA de Paris a atteint son niveau le plus bas à 3,25-3,75 %, inférieur au record de 2007 (3,50-4 %) ». Il se situe même en dessous de celui de Londres West End à 3,5-4 %. Pour les rendements haut de gamme, les niveaux atteignent 3 %, contre 5,75 % en 2008 et 2009. Pour autant, personne ne se risque à parler de bulle, plutôt de stratégies long-termistes des institutionnels, notamment des grands assureurs. « Il y a certes une très forte compétition mais les investisseurs de long terme devraient s’y retrouver, grâce au coût très faible du financement. Avec un levier de 2 %, ils peuvent attendre un rendement de 5 % sur l’equity et, lorsqu’ils arbitreront leur actif dans dix ans, ils parient sur une reprise du marché locatif. L’actif sera reloué plus cher et le rendement devrait retrouver des niveaux raisonnables, de l’ordre de 4,75 %. » Pour parier sur le redémarrage du locatif, les spécialistes regardent outre-Atlantique où, depuis deux ans, le marché a progressé de 25 %. « Il en est de même en Allemagne et en Espagne. En France, la reprise n’est pas aussi rapide faute de réformes structurelles. » En attendant, les investisseurs contraints à délivrer leurs performances, revoient leurs stratégies. Pour aller chercher leurs 5 %, ils se montrent beaucoup plus ouverts au risque. 


Le retour du risque 
Selon le dernier Investment Climate Index mesuré par Union Investment Real Estate, en 2016, les acteurs de l’immobilier penchent pour la prise de risque et s’éloignent du marché du core en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, 58 % des investisseurs souhaitent porter leurs investissements sur d’autres classes d’actifs et prendre davantage de risques. 52 % d’entre eux ont d’ailleurs fixé en priorité de l’année à venir « l’accroissement des rendements », loin devant la sécurité et la liquidité de leurs stratégies d’investissement. Au Royaume-Uni, l'objectif de rendement est encore plus fort, érigé en « facteur clé » pour 76 % des investisseurs consultés. Dans leur quête de rendement, investisseurs britanniques et allemands sont « toujours plus disposés à augmenter la part de métropoles secondaires dans leurs portefeuilles », comme le note Union Investment, soulignant que cette tendance s’est significativement renforcée par rapport au sondage effectué en décembre 2014. Ils se montrent aussi disposés à aller vers des classes d’actifs plus alternatives, demandant un haut niveau d’expertise, telles que l’hôtellerie ou la logistique. 


Et si les taux remontent ?  
Reste une interrogation, à laquelle peu se risquent encore à répondre : partant du principe que le rendement d’un actif, c’est son occupation, que se passe-t-il si le marché locatif continue de se dégrader ? Ce qui est le cas dans un environnement économique qui ne crée pas d’emplois comme en France. Les valeurs vénales vont-elles continuer - déraisonnablement - à progresser ? Dans son analyse, JLL tranche : pour le broker, en 2016, « les attentes en matière de hausse de valeurs vénales devront désormais reposer sur les loyers ». Autrement dit, être revues à la baisse si le marché reste ce qu’il est. Quant à la lancinante question de la remontée des taux d’intérêt, tout le monde s’accorde sur le fait que, dans la zone euro, il n’y a pas de crainte à avoir avant 2017. « Si le taux directeur aux États-Unis augmente légèrement d’ici la fin de l’année, celui de la zone euro restera probablement stable dans les prochains mois. » L’impact ne sera pas immédiat, d’autant moins que la prime de risque est, selon JLL, « suffisante pour absorber une légère variation ». L’industrie immobilière demande à voir.


Sophie Da Costa 

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