Délégué général d’EpE, spécialiste des questions de développement durable, Claire Tutenuit est également gérante de Clear Consult et présidente de la société Solsia, spécialisée dans la production de panneaux photovoltaïques. Elle fait aujourd’hui partie de ceux qui œuvrent en faveur de la lutte contre le changement climatique.

Décideurs. Quels arguments opposez-vous à ceux qui pensent que la réduction des gaz à effet de serre est un frein au développement ?
Claire Tutenuit
.  Cette appréhension est naturelle pour les acteurs dont les activités dépendent des énergies fossiles, comme les exploitants de centrales à charbon. La transition introduira des limites à leur développement. Mais une grande majorité d’entreprises a aujourd’hui compris qu’il était moins question de freins au développement que de nouvelles stratégies à mettre en place pour investir dans de nouveaux métiers. Prenez l’exemple de Total qui se positionne aujourd’hui sur de nouveaux secteurs liés à la transition énergétique : le photovoltaïque, les agrocarburants de seconde génération, le captage et stockage du CO2. Toutes les entreprises membres d’EpE sont exposées aux questions climatiques, toutes travaillent à intégrer le climat dans leurs stratégies, y compris celles qui sont indirectement impliquées. Les banques membres d’EpE ont par exemple adopté des conditions d’acceptation intégrant des critères sur l’efficacité énergétique des actifs qu’elles financent. Alors oui, cela les conduit à refuser certains contrats, mais c’est aussi porteur d’un dialogue avec leurs clients sur le changement climatique et de nouvelles opportunités de développement. Les entreprises ont aussi compris depuis longtemps qu’elles avaient plus à perdre qu’à gagner au changement climatique : elles sont déjà exposées, aussi bien à la critique de leurs parties prenantes qu’à des risques opérationnels, avec la multiplication des catastrophes naturelles. Face à ces risques, anticiper la transition peut leur ouvrir de belles perspectives, surtout si les politiques climatiques les y encouragent. Pour toutes ces raisons, elles sont prêtes à agir.

 

Décideurs. Les entreprises ont-elles acquis la légitimité suffisante pour formuler des demandes auprès des gouvernements dans cette lutte ?
C. T.
Oui, car cela fait maintenant plusieurs années que les plus avancées ont intégré le changement climatique dans leurs opérations « mainstream ». De nombreuses directions des entreprises membres d’EpE y contribuent: la réduction des émissions de gaz à effet de serre est présente dans le dialogue avec les actionnaires, dans les achats, le marketing, la R&D, et bien sûr les opérations elles-mêmes... Les entreprises ont surtout acquis cette légitimité parce qu’elles ont lancé des initiatives volontaires en faveur du climat : elles savent comment réagissent les marchés, quels sont les freins au déploiement des solutions qu’elles proposent. C’est le cas pour la mobilité, pour l’efficacité énergétique des bâtiments, pour l’économie circulaire.  Le dialogue avec les pouvoirs publics pourrait capitaliser sur ces expériences. 

 

Décideurs. Comment les deux parties peuvent-elles s’entendre ?
C.T.
C’est d’abord une question de confiance. Les entreprises ont besoin que ces politiques publiques soient prévisibles sur le long terme, donnent un signal clair et cohérent à l’ensemble des acteurs. Regardez le secteur automobile : certains groupes, comme Renault, ont beaucoup investi dans l’électrique ; c’est en Norvège que le marché se développe le plus vite, car des politiques ambitieuses stimulent le marché. L’électrification du parc automobile pourrait être beaucoup plus rapide qu’elle ne l’est. 

 

Décideurs. Une tarification du carbone est-elle possible ?
C. T.
L’économie nous dit que c’est indispensable, pour orienter tant les investissements des entreprises que les décisions des consommateurs. Sur certains marchés, comme l’acier, l’aluminium, la chimie, les niveaux de prix devraient être à peu près cohérents dans le monde. Sur d’autres, le frein est politique car le consommateur final n’est pas encore prêt à un prix du carbone : les États-Unis ne taxent presque pas l’essence, d’autres pays la subventionnent. Il faut aussi accompagner les populations les plus précaires. Ce débat sur la fiscalité écologique aurait pu être rouvert avec la baisse des prix du pétrole, mais rares sont les pays qui ont saisi cette opportunité. Une société « décarbonée » n’est pourtant pas synonyme de restrictions, loin de là ! Plus de mille entreprises dans le monde ont d’ailleurs pris position en faveur d’une telle tarification.

 

Propos recueillis par Sophie Da Costa

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