Yves Le Gélard a rejoint le groupe Engie en mars 2015 en tant que DSI avant de se voir confier la responsabilité des systèmes d’information mais aussi du digital et de l’innovation par Isabelle Kocher, directrice générale du groupe industriel énergétique français, dont l'objectif est de devenir le leader mondial de la « transition zéro carbone ». Entretien avec Yves le Gélard, CDO du groupe Engie.

Décideurs. Quel est le rôle d’un CDO dans une grande entreprise comme Engie ?

Yves Le Gélard. Le groupe a engagé une formidable transformation en 2016. Engie a l’ambition de devenir le leader de la transition zéro carbone. Cela veut dire créer des offres sophistiquées, complètes, couvrant l’efficacité énergétique, le renouvelable, la gestion de réseaux décentralisés, et le digital est placé au cœur de ces solutions. L’énergie, c’est de la tech !  Le rôle du CDO est d’accompagner la stratégie du groupe dans cette transition. Mon rôle consiste, entre autres, à développer des logiciels et des plateformes qui vont permettre à nos clients de mieux consommer et de déployer le volet digital industriel qu’il s’agisse d’entreprises ou des collectivités locales.

Le troisième volet concerne le déploiement de nouveaux outils pour les collaborateurs. En juin 2016, nous avons été les premiers à choisir « Office 365 » de Microsoft, qui est aujourd’hui étendu au niveau de nos 160 000 collaborateurs à travers le monde. Les taux d’adoption de nos applications telles que Sky for Business, SharePoint, OneDrive ou encore les applications du bouquet Microsoft, sont excellents - de l’ordre de 60% -, et nous les suivons toutes les semaines, unité par unité.

Quelles sont les grandes dates charnières du digital pour Engie ?

La première brique digitale a été posée début 2016 avec la création de l’entité « ENGIE Digital » dont la vocation était d’apporter un soutien à nos 25 unités opérationnelles (business units) à travers le monde en termes de compétences techniques, de plateformes de développement logiciels et de financements. Pour inciter les collaborateurs à adopter les plateformes groupe et limiter le nombre de décrocheurs, j’ai mis en place un système d’incitation financière. Libre ensuite à chacun de choisir d’autres outils et d’en assumer la dépense.

"Les taux d'adoption de nos applications sont excellents, de l'ordre de 60%"

J’ai également souhaité bien définir ce que signifiait le mot « digital » au sein de notre groupe, à savoir l’application au métier de l’énergie de l’impact de l’internet des objets (ioT), du big data ou de la mobilité durable. J’ai ensuite centré la discussion sur le software et la donnée (industrielle et clients) et concentré les services IT sur des systèmes de back office de facturation et de comptabilité (SAP), des logiciels de gestion de la force commerciale (Salesforce), des systèmes d’efficacité Achats (SAP) ainsi que sur un système de gestion des RH (Oracle HCM). Après une première phase destinée à embarquer les business units, nous avons déployé dix plateformes mondiales autour de nos dix grands métiers. 

Quelle est votre plus grande fierté en matière de transformation digitale ?

Je suis assez fier de nos positions dans la mobilité électrique. Nous avons racheté il y a deux ans la société EVBox, leader sur le marché néerlandais de la recharge de voitures électriques, un secteur en pleine expansion. Engie est aujourd’hui en train d’en faire un leader mondial car cette société a signé de très nombreux contrats avec des constructeurs automobiles ! Conformément à notre modèle de management, nous n’intégrons pas les sociétés que nous rachetons (43 sociétés sur les deux dernières années) mais entretenons des liens très forts avec leurs CEO dans une logique « win-win ».

"Je suis assez fier de nos positions dans la mobilité électrique"

Nous sommes également fiers d’avoir remporté l’appel d’offres lancé par la Région Île-de-France pour développer la plateforme de données 3D « Smart Plateforme 2030 », via notre consortium Siradel-Engie Inéo-Wavestone. Le caractère ouvert de nos infrastructures a fait, je pense, la différence pour s’adapter à un tel environnement public.

Si le digital attire, il est aussi perçu comme un élément anxiogène en interne car bousculant les habitudes. Avez-vous mené une communication spécifique pour booster l’acculturation ?  

Nous sommes une firme composée en grande majorité d’ingénieurs, une population qui ne craint pas la technologie, bien au contraire ! Si nous avons orienté notre communication sur cette transformation digitale, c’est qu’il y avait dès le départ une véritable appétence sur ces sujets.

Avez-vous des difficultés à trouver des talents ?

Il est, en effet, difficile de trouver les talents nécessaires sur toutes les technologies. En tant qu’administrateur du Cigref, une association qui rassemble 150 membres publics et privés et dont la mission est de développer la capacité des grandes entreprises à intégrer et maîtriser le numérique, et en accord avec le président - Bernard Duverneuil, CIO du groupe Elior - et mes confrères d’autres entreprises, nous avons décidé de ne pas chercher à débaucher des talents dans d’autres groupes car ce petit jeu est contre-productif ! Chez Engie, nous misons beaucoup sur la formation en interne ; le groupe a d’ailleurs consacré un budget de plus de 100 millions d’euros sur les trois dernières années avec un volet important consacré aux technologies Software.

"En accord avec mes confrères dans d'autres entreprises, nous avons décidé de ne pas chercher à débaucher les talents digitaux car ce petit jeu est contre-productif !"

Quels sont vos principaux défis ?

Tout d’abord faire du groupe un acteur digital incontournable aux yeux de nos clients publics et privés. Œuvrer également à poursuivre nos efforts pour attirer des start-ups, attirer de nouveaux talents et moderniser l’image du groupe. Nous avons enfin un défi en termes de choix technologiques pour sélectionner ceux qui seront pérennes ; la durée de vie moyenne d’une technologie se situant autour de 20 ans, nous ne pouvons pas nous tromper au risque de créer un handicap très important pour l’entreprise.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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