Créée en 1990, l'association Energy Cities déploie ses actions dans plus de mille villes de trente pays européens par le transfert de savoir-faire et le montage de projets communs. Elle représente également les collectivités membres auprès des institutions de l’Union. Entretien avec Alix Bolle, la responsable des campagnes européennes.

Décideurs. Au sein de l'Europe, de grandes disparités économiques existent. Quel portrait dressez-vous de l'Europe de l'énergie en 2019 ?

Alix Bolle. Avant d’aller plus loin, il faut déjà se poser la question du projet ou du concept de l’Europe de l’énergie. Si l’on s’en tient à la vision de Bruxelles, ou en tout cas celle à laquelle semble adhérer l’exécutif européen, il s’agirait de bâtir un grand marché unique où l’énergie – et surtout l’électricité – serait commercialisée harmonieusement entre nations et entre « consomm’acteurs », en fonction des « signaux de prix » envoyés par ce même marché. Mais cette vision fait l’impasse sur l’opportunité de promouvoir le développement local et de réduire les disparités économiques au sein de l’Europe. Pour un nombre grandissant de villes en Europe, l’énergie est bien plus qu’une marchandise. Elle peut être un vecteur de développement local, voire de justice sociale. Elle constitue même l’opportunité de bâtir des ponts entre régions, entre centres urbains et communes rurales, entre filières économiques, entre départements municipaux et entre acteurs du territoire. C’est un portrait de l’Europe de l’énergie totalement distinct qui se dessine alors. Une Europe de l’énergie avec de multiples facettes, mais unifiée par la notion de partage : partage d’électricité et de la chaleur, meilleure répartition des recettes et surtout partage des rôles et des responsabilités.

Quelles initiatives les plus stimulantes illustrent aujourd’hui cette vision ?

La notion de « troc » de l’électricité est une idée qui percole en Europe. Dans la province de Liège en Belgique, Philippe Goffin, le maire de la commune de Crisnée, s’est associé à des universitaires pour lancer un grand projet d’autoconsommation collective. Ce projet permettrait à tous ses habitants de bénéficier gratuitement de l’électricité produite par des installations locales d’énergie renouvelables associées à du stockage. En France, on retient l’initiative SunShare, une offre de fourniture d'électricité 100% renouvelable, à prix compétitif, qui se passe de l’intermédiaire d’un énergéticien producteur. Elle démocratise l’installation de toitures solaires chez les particuliers, petits producteurs/consommateurs, et décentralise la production d’électricité. SunShare permet de produire son électricité et de partager son surplus avec la communauté, à travers le réseau public. C’est le premier fournisseur d’électricité désintermédié. Ces deux exemples illustrent le partage du produit électricité mais il y a aussi le partage de l’investissement et des revenus qui rencontre de l’intérêt. Toujours en Belgique mais plus au nord cette fois, la ville d’Eeklo a lancé un appel d’offres pour un réseau de chaleur urbain qu’elle voulait citoyen, requérant que la gouvernance et un minimum de 30% des parts soient détenus par les habitants. C’est une coopérative citoyenne, en partenariat avec Veolia, qui a remporté le projet.
 

"La notion de « troc » de l’électricité est une idée qui percole en Europe"

Ce partage des rôles et des responsabilités est le défi majeur des années à venir ?

Tout à fait. Pour le moment, les autorités locales sont toujours trop à la marge des processus décisionnels en matière de planification et de gestion des infrastructures énergie. Ceci, malgré le rôle clé qu’elles jouent dans l’optimisation des ressources et flux énergétiques locaux. La capacité à établir une relation de confiance avec les opérateurs historiques, notamment les gestionnaires du réseau de distribution d’électricité, pose également toujours question. Les collectivités veulent aujourd’hui redéfinir les contours de leurs contrats de concession. Cependant, les compétences techniques et juridiques que ces négociations impliquent leur font souvent défaut. Il existe un autre vide institutionnel – et un chantier de taille – en Europe : celui qui porte sur la nécessité d’une « budgétisation environnement-climat » systématique et intégrée à toutes les politiques sectorielles. L’Europe doit se doter d’un mécanisme pour mettre en adéquation sa gouvernance économique avec l’urgence climatique et écologique. Encore une fois, les villes se sont déjà emparées de cet exercice. « Nous comptons le dioxyde de carbone aussi systématiquement que nous comptons l’argent », a déclaré la mairie d’Oslo. Mesurer l’impact de chaque décision économique en termes d’émissions, de pollution, mais aussi de prédation des ressources : la recommandation paraît logique mais est pourtant encore loin d’être appliquée dans l’Europe d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Laetitia Sellam

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