Laurent Leprévost, directeur général du Groupe Babylone, livre à Décideurs son analyse sur la gestion de la crise sanitaire et dévoile ses propositions pour résoudre les problèmes immobiliers liés à cette situation. Interview détonnante.

Décideurs. La solidarité est le leitmotiv des professionnels de la fabrique de la ville depuis le début du confinement. Comment cela se matérialise-t-il chez Groupe Babylone ?

Laurent Leprévost. Je suis plus nuancé que vous sur cette solidarité affichée car nous nous apercevons que beaucoup d’entreprises sont en difficultés et des maillons manquent à la chaîne de solidarité immobilière : financement en attente, études notariales qui ne répondent pas toujours, mise à disposition de locaux nécessaire, zone grises dans les mesures gouvernementales, etc.

Notre solidarité s’exprime déjà au travers d’une démarche simple, préserver nos salariés, les protéger et créer toutes les conditions d’un retour progressif à une activité normale. Nous avons proposé nos services aux bailleurs et locataires pour que, dans ces temps difficiles, les loyers soient repoussés, assouplis car le mot d’ordre est tout sauf la vacance. Il faut maintenir la relation propriétaire-preneur dont les intérêts n’ont jamais été aussi convergents. Plus modestement, sous l’impulsion de notre PDG, Lior Roth, nous œuvrons pour proposer au système hospitalier des locaux, logements mis à disposition gratuite du personnel soignant ou surfaces plus vastes pouvant accueillir des lits. Nous réalisons aussi d’autres gestes, plus modestes mais qui témoignent de notre engagement.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement dans cette situation de crise sanitaire ?

Comme beaucoup de citoyens nous n’avons pas compris la notion du « en même temps ». En période de guerre il faut aller au front. Il est assez paradoxal d’avoir montré du doigt ceux qui faisaient des réserves alors que, pour nombre de familles, l’objectif était et est toujours de rester chez soi grâce à une réserve alimentaire de base. Il y a eu une grande cacophonie de la part des différents ministères (ministère de l’Economie et des Finances, du Travail, de la Justice) dans la mise en place du chômage partiel ou encore dans la suspension des loyers. Les entreprises sont alors démunies pour démêler le faux du vrai. Néanmoins, les choses s’éclaircissent peu à peu. Nous avons tous en tête les conflits sociaux qu’a connu la France depuis deux ans ; il sera mal aisé de faire comprendre aux grévistes urgentistes, aux cheminots ou aux simples salariés que ce qui n’était pas possible hier le sera à l’avenir. Comment annoncer la mobilisation de moyens colossaux alors qu’il a encore deux mois nous n’étions pas capables de trouver 10 Mds€ ? Enfin, l’appel à l’union sacrée et à la mobilisation générale va évidemment dans la bonne direction.

Quelles sont vos propositions pour résoudre les problèmes posés par cette situation dans l'immobilier ?

Nous proposons plusieurs pistes, de bon sens. Pour les particuliers, cela se matérialise par la possibilité de reporter les crédits immobiliers jusqu’au 31 décembre 2020 sans pénalité. Avec 1 million de transactions réalisées l’année dernière et en moyenne entre 800 et 900 000 les dernières années, ce sont aujourd’hui des millions de Français qui doivent payer des prêts alors même que plusieurs millions d’entre eux auront des pertes de salaires.

Pour les entreprises en difficulté avec un arrêt brutal de leur activité, il convient de restaurer la confiance : plus durera cette crise sanitaire et moins les PME pourront supporter cette charge immobilière, fût-elle reportée ou mensualisée. Dans certains cas, non prévus par le législateur, les loyers doivent être annulés et garantis par l’Etat auprès des bailleurs. La reprise risque de se faire par étapes, ce n’est pas en vous plongeant la tête sous l’eau que vous pourrez respirer !

Sur un plan immobilier la transparence doit être de mise sur les transactions, leurs volumes et leurs prix. S’agissant des valeurs semestrielles d’expertise (prochaine étape : 30 juin 2020) qui conditionnent la valeur de beaucoup de patrimoines d’acteurs institutionnels, une simple phrase en-dessous de la valeur, telle que c’était le cas lors de la crise des subprime, risque de ne pas suffire. De ce point de vue le silence de l’ACPR est surprenant. Là encore le bon sens doit l’emporter. 

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait faire évoluer à moyen terme votre stratégie et les grands principes de fonctionnement du secteur immobilier ? 

Cette crise n’est qu’une accélération de ce que nous avions annoncé au cours des derniers mois. Dans l’éditorial de notre grande rétrospective 2019 sur le marché, nous évoquions la nécessité de faire revenir sur le territoire des pans entiers de savoir-faire, d’appareils industriels dans une vision un peu gaullienne de l’indépendance nationale. Un pays ne peut pas être en capacité de décider de son destin si un certain nombre de leviers lui échappent comme l’indépendance financière, alimentaire, sanitaire, etc.

Autre sujet : nous avons toujours fait la différence entre la captation et la création de valeurs. La qualité des immeubles doit être primée. Nous avions déjà insisté sur la santé et l’immobilier au travers de la pollution de l’air, des COV, etc. Les constructeurs ont déjà dans les cartons des sujets innovants et c’est une formidable espérance pour notre secteur.

Plus globalement, c’est la question de l’aménagement du territoire qui se pose, la mondialisation dérégulée qui est remise en cause. Le discours macronien évoque ces « ruptures nécessaires ». Nous devons revenir à des principes simples : favoriser la rurbanisation, décongestionner les métropoles saturées, revenir dans les territoires, etc. ce qui signifie des demandes fortes en locaux, une offre à renouveler pour répondre à ces défis.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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