La crise sanitaire frappe de plein fouet les grandes villes mondiales et semble ouvrir la porte à une remise en cause du phénomène de métropolisation. Mais ce dernier a des arguments à faire valoir pour perdurer. Décryptage.

La pandémie du Covid-19 met à mal certaines tendances qui façonnent nos sociétés depuis plusieurs années. La métropolisation en fait partie. Ce processus de renforcement de la puissance des grandes métropoles par l’accroissement de la population, de la densité des réseaux de communication, de la concentration d’organismes de commandement dans tous les domaines (définition du Larousse), est notamment questionné au sein de l’industrie de la fabrique de la ville.

Entre vulnérabilité et résilience


"La densification des métropoles jusqu’à l’excès – Paris intra-muros est déjà la 7e métropole mondiale en termes de densité avec plus de 21 000 habitants au km² - génèrerait plus d’inconvénients que d’avantages", observe Laurent Derote, président du cabinet de recrutement DVA Executive Search.

"Les grandes métropoles sont particulièrement vulnérables aux catastrophes, analyse pour sa part Fouad Awada, directeur général de l’Institut Paris Région, dans sa chronique "Absorber le choc, préparer le rebond" du 9 avril. Leur taille, leur densité, leur complexité sont des facteurs de meilleure réussite économique, sociale et culturelle en temps normal. Elles deviennent facteurs de vulnérabilité en cas d’événement catastrophique. […] Au-delà des effets sur les ménages, les catastrophes peuvent mettre à mal le modèle de développement des métropoles en lui-même. La remise en cause (ou même l’atténuation) de leurs fonctions locomotives et de leur ouverture internationale (une de leurs toutes premières caractéristiques) entraîne des effets en cascade de dévalorisation de leurs actifs, entreprises et patrimoine, les exposant à des risques macro-économiques et sociaux plus ou moins difficiles à maîtriser." Mais il souligne en parallèle une autre caractéristique des métropoles à ne pas oublier : leur résilience. Cette dernière se caractérise notamment par la capacité de rebond.

"Elle dépend étroitement de la capacité d’adaptation, de l’anticipation, de la compréhension et de l’acceptation de la vulnérabilité, détaille Fouad Awada. De ce point de vue, l’Île-de-France bénéficie de facteurs favorables : la qualité de ses infrastructures, de ses services urbains, de ses services publics, la diversité de son économie, qui permet une relance vigoureuse même si elle est partielle, la puissance de son appareil de recherche-développement et d’innovation, la puissance de son appareil d’enseignement, les capacités financières des entreprises et des habitants, la taille de son marché de l’emploi, de son marché de consommation, son ouverture au monde et ses capacités d’échanges de biens, de services et de personnes, la qualité des ressources humaines appelées à piloter le rebond, à tous les niveaux. Bien entendu, ces atouts donneront d’autant plus d’effets qu’ils bénéficieront des garanties exceptionnelles qui ont été apportées durant la crise par l’État et la Banque centrale européenne aux entreprises et à leurs salariés." Dans ces conditions, le métropolisation va-t-elle se poursuivre ? Les avis divergent sur la question. 

Un modèle à repenser


"Nous devons revenir à des principes simples : favoriser la rurbanisation, décongestionner les métropoles saturées, revenir dans les territoires, etc. ce qui signifie des demandes fortes en locaux, une offre à renouveler pour répondre à ces défis", avance Laurent Leprévost, directeur général de la société de conseil en immobilier Groupe Babylone.

"L'expérience du confinement et du télétravail « massif » va définitivement faire évoluer les perceptions des entreprises comme des salariés sur les modes d’organisation du travail, et donc sa géographie, anticipe quant à lui Stéphan de Faÿ, directeur général de l’établissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique. Je suis persuadé que cela va avoir des impacts sur le phénomène de métropolisation, mais aussi sur l’immobilier." Il ajoute à propos de la mobilité : "Je ne suis pas sûr que notre expérience de distanciation sociale forcée nous incitera à remonter dans un bus ou un métro bondé le lendemain de la sortie de crise. Or nombre de politiques de métropolisation reposent sur une offre de transports publics très forte. Il sera probablement nécessaire de repenser cette approche de la mobilité, notamment vers des offres publiques de transport à la demande dont le modèle économique est rendu possible par l’automatisation des véhicules."

Fouad Awara imagine pour sa part une évolution globale : "L’avenir à court et moyen terme pourrait bien se construire par une hybridation des diverses voies. […] Cela modifiera, à n’en pas douter, le modèle de développement de nos métropoles. Les échanges internationaux de biens seront questionnés avec des relocalisations d’activités, voire de nouvelles règles d’évitement de mouvements excessifs. L’allocation des ressources financières produites par l’activité économique sera également questionnée, entre ce qui va à la rente foncière, à la consommation, à l’investissement, à la solidarité, aux services mutualisés. Et le changement pourra toucher jusqu’à notre organisation institutionnelle." Le directeur général de l’Institut Paris Région enfonce le clou : "Nos institutions actuelles ont été pensées pour un isolat de prospérité (rare dans le monde et dans l’histoire). Quel nouveau modèle pour naviguer dans les eaux troubles de la sortie de crise, de la préparation de la suivante, de l’intégration de la résilience à l’organisation collective ? Un équilibre est à trouver entre une centralisation nécessaire à l’efficacité des décisions et à la garantie d’une solidarité effective et une plus grande subsidiarité et adaptation aux contextes locaux, à commencer par une plus grande place accordée aux Régions."

La métropolisation n’a donc pas dit son dernier mot mais une sérieuse inflexion dans ses grandes lignes semble inéluctable.

Par François Perrigault (@fperrigault)

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