Il leur a promis. En acceptant de soumettre par référendum des mesures issues de la convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron prendrait un risque politique, mais en droite ligne de ses engagements pour un renouveau démocratique.

Ladies and Gentlemen, le prix de l’humour politique 2005 est attribué à Valéry Giscard d’Estaing pour sa phrase : "C'est une bonne idée d'avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui". C’est une histoire (vraie) du monde d’avant. Quelques mois avant que le traité constitutionnel européen ne soit rejeté par 55 % des Français, Giscard, le père dudit traité, ne savait pas à quel point son trait d’esprit allait s’avérer non pas prémonitoire mais comme le prélude d’une longue mise au placard. Le référendum allait pour un temps demeurer dans les oubliettes de l’histoire, et il n’était pas né celui qui allait prendre le risque d’user d’un si dangereux pouvoir, capable d’être dévoyé pour servir d’exutoire : cet artefact de la Vème république avait désormais tout du parfait traquenard.

15 ans plus tard, Emmanuel Macron va probablement recourir au référendum pour faire valider par le peuple plusieurs mesures proposées par la convention citoyenne pour le climat. Ou plutôt, la nuance est d’importance, Emmanuel Macron va répondre favorablement à la demande de la convention d’adopter plusieurs mesures par voie référendaire. Chipotage ? Disons souci d’affichage en respect d’une ligne directrice que le Président de la République veut voir placé sous le signe de la cohérence.

Une réponse aux « gilets jaunes »

Pour la comprendre, un rapide rappel des faits s’impose : en réponse à la crise des gilets jaunes, dont l’un des mots d’ordre sera la création d’un référendum d’initiative citoyenne, le fameux RIC, le chef de l’État met en place "le grand débat". Des mois de doléances recensées et répertoriées, dont il présente la synthèse, sa synthèse, le 25 avril 2019. Parmi les engagements pris, deux décisions majeures marquent les esprits : l’annonce d’une réforme constitutionnelle afin de rendre plus accessible le Référendum d’Initiative Partagé (réforme qui ne pourra voir le jour, faute d’un consensus au sein des deux assemblées), et la création d’un "conseil de la participation citoyenne", l’acte de naissance de la convention citoyenne pour le climat. C’est clairement et indubitablement en droite ligne de ses deux engagements qu’Emmanuel Macron veut répondre favorablement à la demande d’un référendum.

Lors de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron n'aborde la question du référendum que par le prisme d'un élargissement du référendum d'entreprise

Il est intéressant de noter que lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron n’aborde la question du référendum que dans le cadre d’un élargissement du référendum d’entreprise rendu possible par la loi El Khomri et que c’est son adversaire du second tour, Marine Le Pen qui en fait l’alpha et l’oméga de son programme de réforme institutionnelle. Mais cela serait mécomprendre la définition que l’un et l’autre donnent à l’outil référendaire. Quand la leader du parti d’extrême droite réutilise les codes césaristes du plébiscite, le chef de l’État tient à en faire un usage de type néo-helvétique, autrement dit, s’inspirer du modèle suisse.

Pour que le peuple dispose

Voilà pourquoi le cadre du futur référendum sera certainement de type QCM, comme questionnaire à choix multiples. Une ou deux questions, de nature institutionnelle qui plus est, c’est le risque assuré de voir la campagne se focaliser à la fois sur des arguties juridiques et sur une consultation en forme de "pour ou contre Macron". Comprenons bien : en multipliant les questions (3, 4, 6, 8 ?), le président dilue la possibilité de faire du référendum une consultation plébiscitaire et promeut le dépassement des clivages qu’il appelle de ses vœux. Les 110 Km/h sur autoroute ? L’obligation de la rénovation thermique pour les habitations ? L’agroécologie pour 50 % des exploitations ? En sus des questions relatives aux modifications de la constitution ? La réponse aux questions est simple : l’exécutif, (ou plutôt la Convention citoyenne, relayée par l'executif) propose, le peuple dispose.

Le futur référendum prendra probablement la forme d'un QCM

En cela la pratique rappelle le référendum sur le quinquennat voulu par Jacques Chirac et qui le présentait ainsi en juin 2000. " Je crois qu'il faut promouvoir les moyens d'une démocratie qui s'adapte à notre temps et qui soit, par conséquent, plus moderne, moins politisée, qui demande davantage aux Français leur sentiment sur les choses et qui, bien entendu, accepte le sentiment des Français comme une sorte d'obligation (…) Nous posons une question aux Français, qu'ils y répondent. Ils répondent oui, c'est très bien, ils répondent non, c'est très bien. En partant du principe que le peuple est souverain".

Pratiquement du Macron dans le texte. Dépasser, transcender les clivages pour une pratique démocratique plus apaisé, lui qui depuis la campagne présidentielle de 2017 ne cesse d’inviter à l’union nationale donnait en novembre 2018 sur Twitter les clés de son projet : "Les Français veulent qu'on les écoute et qu'on les considère. Cette réconciliation entre la base et le sommet, c'est le cœur de la tâche qui m'attend pour les prochains mois".

Reste qu’il faut garder en mémoire que le référendum sur le quinquennat voulut par Jacques Chirac se résume aujourd’hui en deux chiffres : 73 % de oui pour 70 % d’abstention. Aussi la question de la mobilisation populaire envers la consultation voulue par Macron sera-t-elle primordiale. Transcender les partis, oui, oublier qu’ils existent, quelque soit leurs réponses aux questions, c’est se voir priver de puissants relais nécessaires à la légitimation du processus. Les premières réactions laissent à penser que la grille classique des allégeances politiques sera bouleversée avec des verts positifs, face à une droite et un RN vindicatif.

Le référendum impossible ?

Mais pour le moment, plus que les partis, ce sont les constitutionnalistes qui s’expriment. La majorité d’entre eux doutent de la possibilité constitutionnelle de faire ratifier les trois propositions que la convention désire voir soumise à référendum :

- Ajout d'un alinéa dans le préambule de la Constitution : "La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité."

- Ajout d'un alinéa dans l'article premier de la Constitution : "La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique."

- Adopter une loi qui pénalise le crime d'écocide dans le cadre des 9 limites planétaires, et qui intègre le devoir de vigilance et le délit d'imprudence, dont la mise en œuvre est garantie par la Haute Autorité des Limites Planétaires

En ressort après examen, que ces trois propositions recèlent deux impossibilités : la première parce que les questions relatives à des changements constitutionnels doivent être soumises en amont aux assemblées (trop risqué politiquement), la seconde étant l’impossibilité en vertu de l’article 11, d’intégrer une modification ayant une dimension pénale.  Faut-il d’ores et déjà envisager le référendum comme mort et enterré ? Pas si celui-ci a un caractère consultatif assurent les spécialistes.

D’où l’importance du choix des questions posées, de leurs champs d’action jusqu’à leurs formulations. En découlera l’avenir législatif des propositions, voilà pourquoi le chef de l’État qui se veut le maître des horloges devra aussi devenir un redoutable maître des mots. Parce que souvent Français varie, et face aux questions posées, pourrait bien reprendre à son compte l’adage de Coluche afin de répondre, innocemment, n’être "ni pour, ni contre, bien au contraire…"

Sébastien Petitot

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