Le Congrès mondial de la Nature qui s’est conclu le 10 septembre vient rappeler, après le dernier rapport du Giec, la responsabilité du monde économique face au changement climatique et l’érosion du vivant. L’heure n’est plus aux chimères de la croissance verte, mais bien à une transformation radicale de notre économie et de nos sociétés.

Le constat du Manifeste de Marseille est sans appel : "L’humanité a atteint un point de bascule. Notre fenêtre de tir pour répondre à ces urgences interdépendantes et partager équitablement les ressources de la planète se réduit très vite. Nos systèmes existants ne fonctionnent pas. La réussite économique ne saurait plus se faire aux dépens de la nature. Nous avons besoin de toute urgence de réformes systémiques." Autrement dit, le système capitaliste fondé sur la croissance, elle-même directement corrélée à la consommation d’énergie, l’extraction de ressources et aux émissions de gaz à effet de serre qu’elle induit, n’est plus tenable. Dit encore différemment : c’est pas gagné.

Pour une RSE 2.0

À l’occasion du campus annuel du Collège des directeurs du développement durable (C3D), Fabrice Bonnifet, son président, a tenu à battre en brèche les fausses idées que la RSE a pu instiller dans l’esprit des dirigeants d’entreprise : "Non, la RSE ne permet pas de concilier durabilité et rentabilité accrue. Non, la RSE ne favorise pas la neutralité carbone. Non, la RSE ne favorise pas une croissance verte, non elle n’est pas qu’un sujet de reporting, aussi pertinent soit-il. C’est une boussole pour aligner les modèles d’affaires avec la préservation des écosystèmes. Tout le reste n’est qu’anecdotique." Il est urgent de changer de braquet.

"Non, la RSE ne favorise pas une croissance verte. C'est une boussole pour aligner les modèles d'affaires avec la préservation des écosystèmes. Tout le reste n'est qu'anecdotique."

Frémissement

La bonne nouvelle, pour les partisans du verre à moitié à plein, c’est que la dégradation des écosystèmes est telle que les entreprises commencent à sentir le souffle du boulet. C’est en somme ce que soulignait récemment Antoine Arnault, administrateur du groupe LVMH dans une tribune : "Tous les secteurs d’activité de nos métiers sont concernés : vins et spiritueux, parfums et cosmétiques, montres et joaillerie, mode et maroquinerie, distribution sélective. Et entretiennent des relations étroites à la nature : il n’y a pas de champagne sans vignoble, pas de haute couture sans coton ou soie, pas de parfum sans espèces végétales." C’est ainsi que le groupe ambitionne de neutraliser son impact sur la biodiversité d’ici à 2030. Pas de business pérenne sans écosystèmes en bonne santé. L’intérêt économique bien compris offre plus de garanties qu’un traité d’éthique, aussi sincère soit-il.

En mission

Pris en tenaille par le facteur risque généré par le réchauffement climatique et des consommateurs de plus en plus sensibles à cet enjeu, les entreprises entament leur transformation. La loi Pacte a constitué un tournant, dont l’avatar le plus intéressant est le statut d’entreprise à mission. Concrètement l’entreprise inscrit dans ses statuts une "raison d’être", qui justifie l’intérêt social et environnemental de son action, au service d’un bien commun. Cet acte engage formellement dirigeants et actionnaires à déployer les moyens nécessaires (financiers, humains logistiques) pour poursuivre cette mission. Un organisme tiers indépendant évalue et vérifie l’atteinte des objectifs fixés. Au premier trimestre 2021 on comptait 154 entreprises à mission en France, en hausse de 24 % par rapport au trimestre précédent.

Totem et tabou

Mais ce ne sont encore que des signaux faibles, peu à la hauteur de l’alarme climatique qui sonne chaque jour un peu plus fort à nos oreilles. La réalité, c’est que dans un monde où les énergies fossiles représentent encore 80 % du mix énergétique mondial, il faudrait a minima une contraction du PIB de 4,5 % par an pour enrayer l’emballement climatique. Soit l’équivalent d’un covid tous les deux ans. Verte ou grise, il est temps de faire tomber le totem de la croissance. Sans tabous. Face à l’immobilisme coupable des États, les entreprises ont une carte à jouer pour inventer un nouveau modèle de création de richesse, en phase avec le vivant et la finitude des ressources. Au diable l’éthique. Il s’agit ni plus ni moins pour elles que d’une question de survie.

Antoine Morlighem

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