Dans une société rompue aux problématiques environnementales, les acteurs de l’immobilier d’entreprise s’adaptent comme ils peuvent aux différentes réglementations qui fleurissent. En marge de la COP26 et dans la foulée de la publication du premier rapport RSE dédié aux initiatives de CBRE en France, son directeur développement durable & RSE Ludovic Chambe, revient sur les enjeux de l’immobilier durable et les engagements de la firme en la matière.

Décideurs. Pourriez-vous nous dresser un état des lieux de la situation de l’immobilier “durable” en France ?

Ludovic Chambe. Au niveau européen comme français, nous avons observé un changement de paradigme récent. Ces quinze dernières années ont été marquées par une approche désordonnée mais volontaire, illustrée par la course aux certifications environnementales et aux labels énergétiques. À l’occasion de la COP21 et des accords de Paris il y a cinq ans, de nombreuses entreprises ont publié des engagements de réduction drastique de leurs émissions de carbone. Sous l’impulsion de nouvelles obligations réglementaires, il est désormais temps de transformer ces engagements en actions concrètes, avec, à la clé, un impact fort sur l’ensemble de l’industrie immobilière.

Quels sont les enjeux de l’immobilier durable, voire de la durabilité urbaine ?

Aujourd’hui les enjeux en matière d’immobilier se concentrent autour des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Nos clients qui se sont engagés dans la formalisation de la stratégie ESG, font face à deux défis pour que ces stratégies soient un succès. Deux éléments clés : la data en partant du principe que tout ce que l’on ne mesure pas on ne l’améliore pas, d’où la nécessité de disposer d’indicateurs précis de performance pour les suivre dans le temps. L’engagement des parties prenantes représente le second élément et nécessite l’implication de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeurs de l’asset au property et facility managers, en passant par l’occupant et les métiers du conseil. Une volonté qui impliquera de former et d’animer ces communautés et qui représente selon nous un facteur crucial de la transformation écologique de l’industrie immobilière.

"Au niveau européen comme français, nous avons observé un changement de paradigme récent"

Pourriez-vous nous apporter un éclairage sur les réglementations en vigueur ?

Le contexte réglementaire européen est assez clair : la loi sur le Climat impose une réduction des émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030, et la neutralité climatique d’ici à 2050. À l’échelle française,  la loi de Transition énergétique pour la croissance verte, la loi Climat et résilience et le dispositif Éco-énergie tertiaire fixent des objectifs ambitieux.  Les bailleurs et locataires du parc tertiaire vont devoir réduire de 60 % leurs émissions carbone d’ici à 2050. Ces différentes réglementations vont bouleverser l’immobilier ainsi que le segment résidentiel puisque les contraintes de commercialisation des logements vont s’alourdir. À titre d’exemple, il sera bientôt interdit de mettre en location des passoires thermiques, ce qui pose la question de l’amélioration énergétique du parc existant.

Au point de promouvoir la construction neuve ?

Non, car il existe d’autres lois pour encourager la réhabilitation et pour favoriser la rénovation. L’objectif associé est de rénover et d’améliorer l’existant.

Quelle est votre vision de la RSE et ses applications au sein de CBRE ?

Nous accompagnons nos clients mais souhaitons également être exemplaires en nous appliquant ce que l’on conseille aux clients. La RSE s’affirme comme un incontournable et occupe désormais une place vitale dans la stratégie des entreprises pour des raisons de risques réputationnels ou de rétention de talents en quête de sens. Ces deux dynamiques se sont beaucoup renforcées ces derniers temps.

Est-on passé du cynisme à la bonne volonté ?

En tout cas, on sent un mouvement, une émulation très positive de la part de tous les acteurs qui prennent pleinement conscience de la nécessité d’agir concrètement. Il y a cinq ans, j’ai souvent eu le sentiment de prêcher la bonne parole seul auprès de mes clients, parfois dans l’indifférence générale. On constate un véritable investissement aujourd’hui. Peut-être les derniers événements nous ont-ils interrogés sur la manière dont nos activités pouvaient être disruptées, au même titre que les phénomènes climatiques qui ne peuvent plus être ignorés.

Vous avez intégré une partie de la certification WELL au sein de l’entreprise. Qu’est-ce que cela implique ?

CBRE est une entreprise qui, depuis 2014, a une histoire avec le label WELL : son siège aux États-Unis a été le premier bâtiment certifié. WELL implique une attention particulière sur la manière dont l’immobilier peut impacter le confort, la santé et le bien-être des collaborateurs. La notion de capital humain a toujours représenté une part importante dans nos missions, elle prend une importance plus conséquente encore depuis le début de la crise sanitaire. Il s’agit désormais de proposer des services, une expérience différente, pour encourager le retour au bureau. En définitive, nous essayons de valoriser les bonnes pratiques et donc de les exécuter.

"La décarbonation ne se limite pas à la pierre"

Comment se matérialisent vos engagements au sein de votre entreprise et au-delà ?

Nous avons publié un rapport RSE, le premier pour nos activités françaises, visant à réaffirmer notre volonté d’avoir un impact positif, social et écologique sur l’industrie immobilière. Notre stratégie se structure selon trois thématiques : People, Planet, Practices et s’accompagne d’engagements concrets et ambitieux. Au niveau mondial, le groupe s’est engagé à signer le Climate Pledge, autrement dit à atteindre l’objectif zéro carbone des accords de Paris avec dix ans d’avance, soit en 2040. À l’échelle européenne, nous visons désormais 2030.

Qu’est-ce qui a motivé l’amélioration de votre notation Disclosure Insight Action ? Qu’avez-vous prévu pour grimper encore ?

Il s’agit d’une démarche à l’échelle mondiale. Nous nous inscrivons dans un process d’amélioration continue, d’une part parce que l’on pense que c’est important, d’autre part parce qu’aujourd’hui nos clients nous le demandent. Mobiliser l’ensemble des acteurs de l’immobilier d’entreprise nécessite des moyens de mesure, d’où la nécessité de ces systèmes de reconnaissance.

L'empreinte carbone de certains secteurs de l’immobilier d’entreprise repose aussi et surtout sur l'utilisateur. L'accompagnez-vous au-delà de sa recherche immobilière ? 

La décarbonation ne se limite pas à la pierre. L’immobilier représente un secteur émetteur de carbone mais une stratégie globale de qualité apporte d’autres effets positifs. Prenons l’exemple de la logistique : notre rôle ne va pas s’arrêter à l’analyse de la qualité de l’entrepôt mais va consister en l’accompagnement de notre client dans l’analyse de la bonne localisation pour lui permettre de  décarboner l’ensemble de sa supply chain en favorisant les modes de transport moins polluants par exemple. Avec l’explosion du coût de l’énergie, les donneurs d’ordre vont devoir repenser leurs priorités.

Propos recueillis par Alban Castres

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