À l’heure où la Commission européenne engage un plan climatique ambitieux et où la France s’apprête à prendre la présidence tournante de l’Union européenne, Décideurs a rencontré Pascal Canfin. Le président de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire à Bruxelles dresse un état des lieux et défend une approche où le pragmatisme rejoint l’ambition.

Décideurs. Quel bilan dressez-vous de la COP26 ?

Pascal Canfin. On peut – et l’on doit – voir le verre à moitié plein et à moitié vide. La bonne nouvelle, c’est que tous les pays émetteurs devront revoir leur copie pour tracer une trajectoire compatible avec les 1,5° dès l’année prochaine. Notons par ailleurs qu’au moment de l’accord de Paris, nous étions sur les bases d’un scénario à 3,5°. Grâce aux engagements pris ces six dernières années, nous nous situons aujourd’hui autour 2,4° selon les estimations les plus fiables – L’Agence internationale de l’énergie (AIE) va même jusqu’à nous placer autour de 1,8°, mais cela me semble exagéré. Nous avons fait la moitié du chemin, ce qui constitue une avancée aussi importante qu’insuffisante, d’autant que certains des engagements pris manquent encore de crédibilité. Mais nous sommes sur la bonne voie.

Comment pousser les pays à aller plus loin ?

Je crois que chacun doit prendre sa part de responsabilité. L’exemple du blocage de l’Inde sur le charbon est un cas intéressant. Il serait trop simple de la condamner unilatéralement : son économie est encore très dépendante de cette énergie et nous n’avons pas construit avec les Indiens un chemin crédible pour les aider à transiter vers des énergies moins émettrices. Nous devons nous inspirer de ce que nous avons fait avec l’Afrique du Sud dont nous avons financé la sortie progressive du charbon, la poussant finalement à mettre fin à ses propres investissements dans ce type de projets.

"Le défi qui est devant nous : basculer vers la neutralité carbone en moins de 30 ans quand nous en avons mis 250 à devenir une économie carbonée."

Le Green Deal met-il l’Europe à l’avant-garde de la bataille pour le climat ?

Il faut bien mesurer le caractère inédit de ce qui est sur la table aujourd’hui. D’ici à fin 2022, ce sont plus de cinquante lois européennes qui seront modifiées ou mises en œuvre pour mettre l’économie du continent au diapason de ses objectifs climatiques. Touchant à tous les secteurs d’activité, à toutes les industries, et en agissant sur des leviers tels que le prix du carbone, les standards CO2 ou les règles prudentielles… elles sonneront le départ d’une véritable transformation systémique de nos modèles. C’est sans précédent, mais à la hauteur du défi qui est devant nous : basculer vers la neutralité carbone en moins de 30 ans quand nous en avons mis 250 à devenir une économie carbonée. Le chemin ne sera pas facile, les résistances et les intérêts divergents seront tenaces, mais c’est tout le sens de ma mission : négocier pour dénouer les problèmes les uns après les autres, secteur par secteur, pays par pays.

"Il faut envisager le gaz comme une énergie de transition qui peut nous permettre à très court terme de diviser par trois notre recours au charbon."

Comment intégrer le gaz et le nucléaire dans la taxonomie européenne tout en restant en phase avec les objectifs carbone de l’Union ?

Disons-le tout de suite : mon rôle n’est pas de défendre un point de vue national ou de prendre parti pour un camp, mais de trouver un compromis compatible avec nos ambitions climatiques. J’ai formulé pour cela des proposition concrètes, actuellement considérées comme crédibles par l’ensemble des parties. Parmi elles : la mise en place d’un dispositif de transparence spécifique pour permettre aux investisseurs qui ne souhaiteraient pas voir leur argent financer le nucléaire et/ou le gaz d’en avoir l’assurance. Ou encore un encadrement très strict du recours au gaz, seulement dans le cas où il viendrait se substituer au charbon et respecterait également le seuil du « ne pas nuire » de la taxonomie. Il faut envisager le gaz comme une énergie de transition qui peut nous permettre à très court terme de diviser par trois notre recours au charbon. C’est pourquoi ce dispositif serait également clairement limité dans le temps. Voilà un compromis à la fois pragmatique et efficace, qui ne renie rien de nos ambitions.

Ce pragmatisme fait de petits pas, n’est-il pas parfois frustrant au regard de l’urgence ou d’une conviction profonde qu’il faudrait aller plus vite ?  

Je ne crois pas que réduire nos émissions d’au moins 55 % en 2030 et atteindre la neutralité carbone en 2050 puisse être caractérisé comme « des petit pas ». Le Green Deal est un projet tout ce qu’il y a de plus radical. En revanche, dans la mesure où l’on raisonne de manière systémique, c’est effectivement par l’addition d’avancées sectorielles que nous pourrons faire bouger concrètement les lignes. Prenons l’exemple récent de la réforme de la PAC, que certains ont critiquée. Pour la première fois nous avons intégré dans le pilier 1, qui est vraiment le cœur du réacteur du texte, une éco- conditionnalité de 25 %. Concrètement : un agriculteur qui ne joue pas le jeu de la transition écologique de son activité perdra 25 % de ses crédits. J’y vois une avancée très forte. Tout comme l’écriture explicite dans la loi que tous les plans stratégiques nationaux des États membres devront être « cohérents avec » – plutôt que « contribuer à » – la loi climat. Cela peut paraître mineur, sémantique, mais c’est légalement bien plus engageant ! Pour « contribuer à » parcourir un cent-mètres, quelques centimètres peuvent suffire. En revanche, être « cohérent avec » la trajectoire de ce cent-mètres interdit tout pas de côté. Avec des répercussions très concrètes : la Commission pourra refuser de valider un plan qui s’en éloignerait, et, même si elle le validait, sa décision pourrait être attaquée en justice. On voit d’ailleurs déjà les mêmes ONG qui critiquaient cette réforme, commencer à s’en saisir.

"Aucun candidat sérieux à la présidentielle ne peut s’affranchir aujourd’hui de démontrer en quoi son programme est en phase avec l'accord de Paris"

Comment la présidence française peut-elle constituer un accélérateur sur les questions environnementales ?

Le Président a mis en avant trois thématiques fortes : appartenance, relance, puissance. Dans ces deux dernières, au moins, la question de l’environnement me semble centrale. La relance, c’est la question de l’investissement, de la réforme des règles du pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux États d’investir massivement dans la transformation de leur économie. La puissance, c’est changer les règles du jeu commercial. Deux exemples : l’accord avec le Mercosur ne se fera pas en l’état, notamment pour des questions environnementales. Enfin et surtout : un mécanisme d’ajustement carbone à nos frontières est sur les rails. C’est une protection supplémentaire pour nos travailleurs et notre industrie qui institue enfin une concurrence équitable. Plus personne n’en conteste les principes. Il s’agit à présent de le mettre en œuvre.

Quel regard portez-vous sur la place que tient le climat jusqu’à présent dans la campagne présidentielle ?

C’est peu dire qu’il n’est pas au cœur des débats pour le moment... Or, c’est ma conviction profonde, aucun candidat sérieux à la présidentielle ne peut s’affranchir aujourd’hui de démontrer en quoi son programme politique et économique est en phase avec l'accord de Paris. On peut ensuite juger et discuter de la conformité de ce plan, en contester les détails ou l’esprit. C’est tout le sens du débat démocratique. Mais cela devrait être une obligation, si ce n’est légale, à tout le moins politique et morale.

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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