La jurisprudence a récemment étendu la notion de quasi-usufruit, consacrant la possibilité de déduire la créance de restitution de l’assiette imposable. Une avancée qui laisse le champ libre à de nouvelles stratégies d’optimisation patrimoniale. Retour sur cette évolution avec Jamel Mallem, responsable du pôle famille au sein de l’étude Fortier Notaires.

L'usufruitier a l'usage et la jouissance des choses faisant l'objet du démembrement de propriété, et doit en conserver la substance. Cette définition devient plus délicate lorsque l'usufruitier détient son droit sur des choses consomptibles, c'est-à-dire sur un bien qui est consommé par le premier usage, comme une somme d'argent par exemple. Nous parlerons alors de quasi-usufruit, avec la reconnaissance d'un droit de disposer pour l'usufruitier dans cette situation particulière.

Créance de restitution et déduction fiscale

Ce droit de l'usufruitier s'accompagne également d'une charge, celle de l'obligation de restitution, à l'extinction de son usufruit. Il s'agit alors de donner naissance à une créance de restitution au profit du nu-propriétaire. L'intérêt majeur sera d'opérer une déduction fiscale au moment du décès de l'usufruitier.

Dans le cadre d'une succession, le conjoint survivant conservera la plupart du temps la jouissance des liquidités en présence d'enfants communs, sans qu'aucun partage ne soit intervenu. À son décès, il sera alors débiteur d'une créance de restitution qui sera inscrite au passif de sa succession. Le gain sur les droits de succession pourra s'avérer important. En présence de comptes bancaires classiques – épargne, compte courant… –, le calcul de la restitution sera soumis au nominalisme monétaire à la date de la constitution de l'usufruit. En l'espèce, il s'agira de la date du premier décès de l'un des époux. En présence d'actions, de parts sociales, de valeurs mobilières ou de titres, l'usufruitier devra restituer ce qu'il restera effectivement à son propre décès. Les montants déductibles devront donc être calculés à l'extinction de l'usufruit correspondant au jour de la restitution.

Les difficultés pratiques de la créance de restitution

L'administration pourrait déjouer la déduction fiscale de la créance de restitution en opposant l'article 773, 2° du Code général des impôts : « Toutefois ne sont pas déductibles (...) les dettes consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou de personnes interposées. Sont réputées personnes interposées les personnes désignées dans les articles 911, dernier alinéa, et 1100 du Code civil. Néanmoins, lorsque la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession autrement que par le décès d'une des parties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont le droit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l'ouverture de la succession. »

S'agissant des choses consomptibles, la créance de restitution trouve son origine dans la loi, plus précisément en vertu de l'article 587 du Code civil : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » Aucune convention n'est nécessaire. En revanche, il sera important de prendre en compte le passif, les droits et frais supportés par l'usufruitier dans la succession afin de déterminer les sommes nettes devant faire l'objet de la créance de restitution à son décès.

S'agissant des choses non consomptibles, telles qu'un portefeuille de valeurs mobilières (actions, titres, parts), la question est plus délicate, la loi n'envisageant aucun usufruit... Une solution jurisprudentielle (Cour de cassation 12/11/1998) reconnait le portefeuille de valeurs mobilières comme une universalité de fait. Autrement dit, l'usufruitier est autorisé à gérer l'ensemble des éléments du portefeuille et pourrait ainsi disposer des titres, à charge de conserver la substance et de la restituer. Le droit de l'usufruitier est ainsi assimilé à un droit de disposer, un « quasi-usufruit » par une extension de la notion de fongibilité. Il est important dans ce cas d'orienter les clients vers la conclusion d’une convention de quasi-usufruit entre l'usufruitier et le(s) nu(s)-propriétaire(s), afin d'éviter toute contestation lors de la déduction en passif.

Optimisation fiscale et convention de quasi-usufruit

La convention de quasi-usufruit se présente comme un support opportun d'optimisation fiscale. La volonté contractuelle dans la stratégie fiscale, peut ainsi se manifester de différentes manières, notamment :

- la création d’une convention de quasi-usufruit sur le produit de la vente d'un bien (immobilier la plupart du temps) en nature ainsi prévu par l'article 621 du Code civil dans son premier alinéa. En cas de vente du bien démembré, la totalité du prix de vente serait ainsi versée à l'usufruitier. Aucune répartition du prix, mais en contrepartie, une créance de restitution non négligeable au profit des nus-propriétaires. Fiscalement, au décès de l'usufruitier, cette créance sera reportée au passif de sa succession. Il existe également une autre stratégie fiscale, visant à reporter le démembrement dans l'acquisition d'un nouveau bien, avec remploi du prix de vente.

- l'indexation de la créance de restitution permet quant à elle de corriger les effets du nominalisme monétaire, et par conséquent d'accroître la créance de restitution déductible. À noter que la volonté des parties reste encadrée, l'article L 112-2 alinéa 1 du Code monétaire et financier interdisant toute indexation fondée sur « des produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties », sauf si la dette dont l'indexation est souhaitée est une dette d'aliments (article L 112-1 alinéa 3 du CMF). Nous recommanderons de prévoir une « clause plancher » fixant également un seuil inférieur pour le calcul de la créance de restitution. Ainsi, cela permettra de déduire un montant au minimum égal au montant initial du quasi-usufruit.

Le quasi-usufruit a un avenir prometteur : l'exemple de l'IFI

La totalité du patrimoine grevé d'usufruit est pris en compte en pleine propriété pour la détermination de l'assiette fiscale de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), dans le patrimoine de l'usufruitier. La jurisprudence s'est prononcée récemment en consacrant un véritable quasi-usufruit, permettant ainsi d'assouplir les règles fiscales et, en même temps, de condamner la position de l'administration fiscale, refusant toute déduction de créance de restitution de l'assiette de l'IFI (Cour de cassation du 24/05/2016)

Par exemple, dans l'hypothèse où les associés d'une société décident de distribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l'usufruitier de droits sociaux s'exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d'un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d'usufruit, de sorte que l'usufruitier se trouve tenu, en application de l'article 587 du Code civil, d'une dette de restitution exigible au terme de l'usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l'assiette de l'IFI, jusqu'à la survenance de ce terme. Nous savions que l'usufruitier a le droit de percevoir les fruits, tels que les dividendes provenant du résultat de l'exercice. En revanche, les réserves constituent par nature des capitaux propres et leur distribution affecte la substance du capital ; ces versements restent pour autant soumis au droit de jouissance de l'usufruitier. Rappelons qu'un arrêt de la cour de cassation du 27 mai 2015 avait déjà exposé la même règle pour les droits de succession. Cette dernière jurisprudence la consacre cette fois en matière d'IFI. La jurisprudence est venue bousculer les principes connus en étendant la conception du quasi-usufruit et par voie de conséquence, consacrer la déduction fiscale d'une créance de restitution. Ces positions donnent ainsi le champ libre à nombre de stratégies d'optimisation fiscale.

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