La crise va impacter durablement chacune des fonctions de l’entreprise. Florent Chapus et Guillemette Payen, associés du cabinet EIM, leader européen du management de transition s’appuient sur l’étude "Day One" réalisée par leur structure, pour partager leur vision.

Décideurs. En tant que cabinet pionnier et leader européen du management de transition "executive", vous êtes en contact quotidien avec les dirigeants de grands groupes, d’ETI et de fonds. Quelle est votre analyse sur cette phase inédite ?

Florent Chapus. La crise ne fait que commencer. Certains secteurs y entrent pour plusieurs années. Mais les entreprises se sont mobilisées et se transforment rapidement, pour s’adapter à un marché qui s’est transformé ou simplement pour survivre. Au sein du bureau français d’EIM, nous avons rédigé pendant le confinement une étude intitulée "Day One" à base d’entretiens qualitatifs menés par les associés auprès de plusieurs dizaines de dirigeants en France, sur leur gestion de la crise, ce qui est un des thèmes d’expertise pour EIM. Il en ressort des adaptations ponctuelles, mais aussi des tendances de fond qui impactent durablement chaque fonction et le fonctionnement même de l’entreprise à l’aune de nouveaux enjeux. Des transformations profondes qui rebattent les cartes et offrent également de nouvelles options stratégiques.

Quelles ont été les principales découvertes de votre étude ?

Guillemette Payen. Tout d’abord, les comités de direction ont été mis à rude épreuve. Les personnalités s’y sont révélées. Une dynamique de leadership nouvelle est apparue qui a dévoilé le niveau d’engagement réel de chacun. Le confinement a aussi brouillé les lignes entre le personnel et le professionnel. Les gens se sont découverts de façon plus intime, dans leur environnement personnel, à travers les réunions en vidéo. Cela a induit de nouvelles relations au sein des équipes. 

Toutes les fonctions ont joué leur rôle :

– Les DG, naturellement, ont dû refonder les relations de travail, animer, déléguer, créer de la cohésion tout en imprimant un rythme soutenu mais aussi rassurer en montrant des perspectives dans un univers très incertain ; dans les secteurs en crise, ils ont dû souvent assurer la survie de l’entreprise. Et parfois au contraire, gérer une crise de croissance dans les secteurs porteurs (laboratoires pharmaceutiques, distribution, IT...). 

– Les RH et la finance ont été en première ligne dans l’urgence du confinement, que ce soit pour accompagner les mesures de télétravail et de sécurité sanitaire, mais aussi pour négocier les mesures d’urgence, type PGE et scénarios de trésorerie ;

– Les fonctions liées directement aux opérations (production, supply chain, logistique) ont fait preuve d’une forte réactivité, d’une incroyable inventivité et d’innovations disruptives, débridées par une situation d’urgence où tout devenait possible. Elles sont aussi soumises à des injonctions nouvelles (simplifier, rapprocher, stocker, produire différemment) qui sont porteuses de réflexions prometteuses. 

– Enfin la DSI, est sortie de l’ombre comme un acteur clé du fonctionnement de l’entreprise, tant en support pour permettre le télétravail que comme acteur clé de nouvelles façons d’aller "vers le marché". La digitalisation qui pouvait "patiner" depuis parfois plusieurs années s’est parfois mise en place en deux mois de confinement !

"Des transformations profondes qui rebattent les cartes et offrent également de nouvelles options stratégiques "

Quelles transformations doit-on attendre pour chaque fonction ?

F. C. Il est encore un peu tôt pour être définitif. Nous avons poursuivi notre étude et nos interviews de dirigeants et avons listé quelques transformations qui, chacune, impacte des fonctions spécifiques :

– Retournement et restructuration : depuis la crise de 2008, beaucoup d’entreprises avaient retrouvé un poids de forme. Les réponses classiques de restructuration, même si elles seront nécessaires et dommageables socialement, ne sont plus suffisantes. Elles imposent aux dirigeants de réfléchir à de nouveaux modèles, à de nouvelles organisations. C’est un challenge énorme. Dans cette phase de restructuration, toutes les fonctions sont sur le pont et devront collaborer. Particulièrement la finance, les RH et les opérations (industrielles ou de service) qui sont en première ligne.

– M&A : plusieurs entreprises sont aussi dans une logique d’acquisitions de concurrents, clients, fournisseurs ou partenaires pour faire du "build-up". D’autres dans des logiques de cessions, pour récupérer du cash. Cela va induire des efforts d’intégration, de mutualisation (ex : créations de CSP) ou de carve-out.

– Le travail à distance : structurel, il va challenger l’ensemble du management. Les RH devront définir une cible d’organisation entre présentiel et télétravail, de nouvelles modalités de pilotage et de suivi, de nouveaux rythmes de travail, des rituels de socialisation, en relation avec les IRP qui, elles-mêmes, doivent reprendre pied après cette épreuve. L’immobilier et les services généraux doivent aussi reconsidérer les espaces de travail et probablement redimensionner les besoins. À plus long terme, le travail à distance étendra la zone de recrutement des entreprises avec une capacité à attirer des talents dans le monde entier en télétravail (et non plus sur une zone géographique). Cela pourrait être une lame de fond dans la quête des talents.

– La digitalisation des process internes s’est fortement accélérée au sein de l’entreprise (cloud, workflows, validations à distance, outils collaboratifs, par exemple) et en externe avec les clients et fournisseurs (signature électronique, par exemple). 

– Les opérations physiques accélèrent leur dématérialisation (click and collect, assurance, banque...) et remettent en cause l’organisation des réseaux physiques de services et de retail, par ailleurs boudés pour des raisons de sécurité sanitaire.

– Une révolution du commerce, notamment en BtoB, où les leviers classiques du rendez-vous client, des salons, des réseaux d’affaires ont été bouleversés et se trouvent disruptés par d’autres approches. La digitalisation est là aussi en marche et rebat les cartes au profit des plus rapides.

– La transformation enfin de la supply chain, qui doit revoir son sourcing, mais aussi ses façons de produire et de stocker (différenciation retardée, substitution par l’impression 3D, par exemple), et qui doit aussi réétudier sa logistique amont (proximité, rapidité) et aval (distribution).

À quoi doit-on s’attendre en matière d’organisation ?

G. P. On attend deux tendances de fond : une reconfiguration des comités de direction, vers fin 2020 et début 2021, pour intégrer rapidement des profils différents soit via des recrutements soit, plus rapidement, via le management de transition. EIM échange déjà avec des dirigeants d’entreprises et des actionnaires (familiaux, fonds d’investissement) dans cette perspective. Une multiplication des projets de transformation avec un périmètre bien ciblé et un rythme plus appuyé que ce que nous connaissions jusqu’à présent. Nécessité faisant loi. Nous ne sommes plus dans les phases de consulting où il faut réfléchir à la cible et aux modalités de transformation. L’objectif est plus clair, les choix plus radicaux. Nos clients veulent une mise en œuvre rapide. Et pour cela, les managers de transition, immédiatement opérationnels sont indiscutablement de très bonnes options.

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