Il y a soixante-dix ans naissait Longchamp, l’entreprise familiale aux 1 500 points de vente et aux 550 millions d’euros de chiffre d'affaires. Le maroquinier à la renommée mondiale, loin des exigences de court terme et des engouements éphémères, trace sa route et nourrit sa marque, avec pour territoire de prédilection celui d’un « luxe accessible » et pour ambition première celle de durer.

Paris, boulevard Poissonnière, 1928. Dans le débit de tabac dit Le Sultan, le patron, Jean Cassegrain, et sa femme Renée ont un problème : un stock de pipes qu’ils ne parviennent pas à écouler. Pour relancer les ventes, ils ont l’idée de les gainer de cuir. Le succès est immédiat. Le marché de la pipe haut de gamme vient d’être inventé et, avec lui, ce qui deviendra vingt ans plus tard la maison Longchamp, entreprise familiale connue pour la stabilité de son actionnariat et la régularité de sa croissance, mais aussi maroquinier de talent à la renommée aujourd’hui mondiale et à la réputation sans tâche. Le tout en soixante-dix ans seulement d’existence. À elle seule, la performance en dit long sur l’efficacité d’une marque qui, loin des effets de mode et des revirements stratégiques, trace sa route et cultive ses atouts. En tête de ceux-ci : des fondamentaux inamovibles et l’image porteuse de ce que Julie El Ghouzzi, directrice du Centre du luxe et de la création, évoque comme un certain « luxe accessible ».

Luxe accessible

Celui qui, explique-t-elle, caractérise Longchamp depuis que, aux pipes gainées ont succédé les étuis à cigarettes, puis la petite maroquinerie avant que, au début des années 1970, l’arrivée du fils du fondateur – Philippe Cassegrain – marque un tournant décisif en la transformant  « en marque féminine », avec l’apparition de modèles de sacs pour femmes qui, en l’espace d’une décennie, vont lui permettre de s’imposer sur le marché. « Dans les années 80-90, trois marques concurrentes dominaient le secteur d’une maroquinerie de  luxe accessible : Longchamp, Lamarthe et Lancel», raconte Julie El Ghouzzi. Des trois, Longchamp est celle qui a le mieux réussi. » Non seulement en termes de ventes et d’image mais aussi de positionnement et de construction d’un territoire, précise celle pour qui, Longchamp, « c’est d’abord l’histoire d’une montée en gamme réussie, avec un panier moyen passé de 250 à 500 euros en dix ans et une crédibilité fondée sur un authentique savoir-faire manufacturier ». Directeur financier de l’entreprise, André Louit confirme : « La dimension de « fabricant » est très ancrée dans notre ADN;  C’est elle qui nous permet de rester connectés au produit et écarte tout risque de compromis avec la qualité. »

"Longchamp, c'est d'abord l'histoire d'une montée en gamme réussie"

Un parti pris de départ qui va clairement contribuer à la montée en puissance de Longchamp au fil des années ; surtout lorsque quelques intuitions de génie viendront en accélérer le rythme.

Le « Pliage » : levier de croissance et vecteur de notoriété

En tête de celles-ci, l’idée de miser dès les années 1980 sur une matière inédite,le nylon, pour investir le segment de la bagagerie sur lequel la marque va d’abord focaliser son développement. Le pari est audacieux ; il va s’avérer payant au point de faire du nylon la marque de fabrique du maroquinier ; à la portée d’autant plus stratégique qu’elle se verra bientôt assortie de deux autres idées révolutionnaires. Celle du pliage, et celle consistant à ouvrir avant les autres une boutique dans un aéroport. Un coup de maître qui, explique Julie El Ghouzzi, va faire de Longchamp le pionnier du travel retail. « Orly vient d’ouvrir, raconte-t-elle, et  comprenant que c’est l’antichambre d’un lieu touristique, Longchamp y crée immédiatement une boutique de bagagerie. » On y trouve d’abord le Xtra-bag, un concept totalement inédit de sac de voyage en toile de nylon qui se plie en quatre, et, dès 1993, la version actuelle du sac « Pliage ». « L’idée est de vendre un sac ultra-léger et pratique que les gens vont pourvoir glisser dans leur valise à l’aller, et rapporter plein au retour, reprend l’experte. C’est extrêmement intelligent. » Et cela va s’avérer extrêmement rentable, dès lors que, érigé en produit iconique, ce modèle aux 32 millions d’exemplaires vendus dans le monde (dont plus de 70 % hors de France) à fin 2016, va agir comme un levier de notoriété et un accélérateur de ventes, sans pour autant brouiller le positionnement.  

Le défi de la modernité

« Comme Longchamp parvient à conserver une image haut de gamme, le produit très accessible n’en est pas moins désirable », résume Julie El Ghouzzi. Suffisamment attractif pour constituer à la fois un produit d’appel et un best-seller et, explique André Louit, « emmener les clientes à l’offre cuir », laquelle, reconnaît-il, « présente de réelles marges de croissance ». À condition, toutefois, qu’elle ait plus à apporter que la garantie de cuirs de qualité et d’une confection irréprochable. À condition, qu’elle évite le risque de la banalisation et gagne la bataille, décisive, « de la modernité ». Pour y parvenir, Longchamp mise sur une communication sur mesure, portée par des égéries aptes, décrypte Julie El Ghouzzi, à « pimenter une image un peu lisse » - des « it-girls » du type Audrey Marnay, Kate Moss et Kendal Jenner…  dotées d’une forte notoriété et d’un profil « Millennial » - ainsi que sur une politique de partenariats stratégiques. Parmi eux : ceux signés avec des talents tels que Jeremy Scott, artiste contemporain idéalement déjanté et actuel directeur artistique de Moschino, à qui est confiée chaque année la réalisation d’une édition limitée du sac Pliage - revisité pour l’occasion en version taguée ou à plumes - ou Shayne Oliver, le designer pointu à qui, début 2018, Longchamp confiait la réalisation d’une partie de sa collection sacs et prêt-à-porter. Ceci dans un but: dépoussiérer les classiques et susciter l’envie.

"Construire la marque sans la brutaliser ; sans la faire avancer à marche forcée pour répondre à la pression des analystes et du cours de Bourse"

Inscrire la marque dans son époque, sans pour autant l’éloigner de ce qui fait sa légitimité. « Nous ne sommes pas un créateur tendance, résume André Louit. Pour nous, l’enjeu consiste à montrer qu’on est une marque dans l’air du temps tout en restant fidèles à nos racines. » Une marque susceptible de plaire non seulement aux jeunes filles de 15 ans et aux femmes de plus de 40 ans, mais aussi aux autres.

L’atout du temps long

Autre enjeu, élargir son périmètre au-delà du marché de la maroquinerie en prenant pied sur des univers tels que la chaussure et le prêt-à-porter. Objectif, explique Julie El Ghouzzi,  « donner à Longchamp une stature de marque de luxe capable de proposer un art de vivre complet » d’une part et, d’autre part, développer quelques collections plus haut de gamme pour élargir son territoire sans cannibaliser ses gammes. « Pour y parvenir, la marque a fait un travail de segmentation très pointu qui lui a permis de réaliser un grand écart entre le pliage accessible dès 60 euros, le Madeleine à 850  et même une incursion dans le très haut de gamme avec quelques modèles  à 1700 euros », poursuit celle pour qui, aucun doute, « Longchamp est aujourd’hui une marque haut de gamme qui jouit d’une belle notoriété à l’international, ce qui lui permet de s’imposer sur un segment Premium pas si concurrencé que cela ». Et d’y creuser son sillon avec d’autant plus d’efficacité que son business model la place à l’abri des exigences de retour rapide sur investissement, explique André Louit qui le reconnaît volontiers : le fait que l’entreprise soit à la fois détenue et dirigée par la famille (Philippe Cassegrain étant président et ses enfants Jean, Sophie de la Fontaine et Olivier respectivement directeur général, directrice artistique et responsable de l’activité retail US) offre la garantie d’une liberté qui change tout. « Celle de construire la marque sans la brutaliser; sans la faire avancer à marche forcée pour répondre à la pression des analystes, des banques et du cours de Bourse. » Celle, enfin, d’en définir les orientations en fonction d’une unique ambition : durer. Qui dit mieux ?

Caroline Castets (@CaroCastets1)

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