Parti d’un contrôle économique, le droit de l’urbanisme commercial peut-il vraiment s’en dégager ?

La loi Royer du 27 décembre 1973 a clairement été conçue pour exercer un contrôle économique destiné à protéger le petit commerce de l’essor des grandes surfaces.
L’article 1er du texte rappelait que "les pouvoirs publics veillent à ce que l’essor du commerce et de l’artisanat permette l’expansion de toutes les formes d’entreprises indépendantes, groupées ou intégrées en évitant qu’une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l’écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux".
Cette rédaction a globalement été maintenue par la loi Raffarin du 5 juillet 1996, le Conseil d’État faisant à cette époque du contrôle économique des densités le cœur de l’analyse de l’urbanisme commercial. Concrètement, et sauf justification précise, s’il y avait surdensité, il y avait gaspillage (voir par exemple l’Arrêt du 22 février 1999).

Le contrôle économique à l’épreuve du droit européen

La directive européenne 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur a entendu proscrire un contrôle économique pour la délivrance des autorisations permettant un exercice professionnel : "Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes [...] l’application au cas par cas d’un texte économique consistant à subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiquespotentiels ou actuels de l’activité ou à évaluer l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente".

La France "épinglée" par la Commission, notamment dans un avis du 13 décembre 2006 a modifié les critères de l’ancienne loi Royer s’employant à en faire uniquement un texte orienté sur l’aménagement du territoire et le développement durable.
Pour autant, et curieusement l’article 1er a globalement été conservé dans la loi du 4 août 2008 et il appartient toujours aux pouvoirs publics de "veiller à ce que l’essor du commerce et de l’artisanat permette l’expansion de toutes les formes d’entreprises indépendantes, groupées ou intégrées en évitant qu’une croissance désordonnée des formes nouvelles de distribution ne provoque l’écrasement de la petite entreprise et le gaspillage des équipements commerciaux et ne soit préjudiciable à l’emploi".

Un retour d’abord jurisprudentiel

La loi Pinel du 18 juin 2014 a quelque peu ramené des considérations potentiellement économiques avec le critère de l’effet du projet sur l’animation de la vie urbaine, rurale, la contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains. Si les juridictions répètent régulièrement que le critère des densités a disparu du droit positif, une vérification de la cohérence entre l’offre et la demande (C.E 14 novembre 2018).
Ainsi la cour de Nantes dans plusieurs arrêts et notamment un arrêt du 11 avril 2017 retient pour refuser un projet une baisse démographique et un caractère suffisant de l’offre.

Le retour législatif

Un pas de plus est franchi avec la loi Elan du 23 novembre 2018 qui réclame désormais une étude d’impact du projet afin d’évaluer ses effets sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente.
Le même texte a réintroduit dans les CDAC les représentants des chambres consulaires tout en s’abstenant de leur attribuer un droit de vote.
Le Conseil d’État a été saisi d’un recours direct contre l’un des décrets d’application de la loi.
Dans un arrêt du 15 juillet 2020, il renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne la question de la participation des chambres consulaires ; celle-ci tranchera pour leur exclusion dans un arrêt du 15 juillet 2021.
S’appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 12 mars 2020, il a considéré que "les nouvelles dispositions n’instituaient pas un critère d’évaluation supplémentaire d’ordre économique mais poursuivaient l’objectif d’intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et en particulier de lutter contre le déclin des centres-villes en se bornant à prévoir un critère supplémentaire pour l’appréciation globale des effets du projet en ne subordonnant pas la délivrance de l’autorisation à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes ; les dispositions relatives à l’existence d’une friche en centre-ville ou en périphérie ont pour seul objet d’instituer un critère supplémentaire permettant d’évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi".
C’est dans ce contexte que la loi du 22 août 2021 a entendu porter un coup significatif à l’urbanisme commercial en posant le principe qu’aucun développement commercial soumis à CDAC n’est possible sur une surface non artificialisée.
À ce principe, l’article L.752-6-V du Code de commerce dispose que "toutefois une autorisation d’exploitation peut être délivrée si le pétitionnaire démontre à l’appui de l’analyse d’impact mentionnée au III du présent article que son projet s’insère en continuité avec les espaces urbanisés dans un secteur au type d’urbanisation adéquat, qu’il répond aux besoins du territoire et qu’il obéit à l’un des critères suivants [....]".
Suivent quatre critères.
La référence à la notion de réponse aux besoins du territoire renvoie clairement à une analyse économique.
Dans le cadre du débat il était fait référence aux besoins économiques et démographiques du territoire.
Assez singulièrement, avant de poser ce critère les parlementaires rappelaient la contrainte de la directive services.
Or, le critère de réponse aux besoins du territoire va très directement à l’encontre de la directive services en imposant de justifier d’un prétendu besoin ou d’une adéquation entre l’offre et la demande.
Anecdotique sur le fond car l’État disposera de multiples moyens pour faire obstacle à un projet qui entraînerait une artificialisation, cette disposition est révélatrice de l’ambiguïté dans laquelle se débat l’urbanisme commercial depuis 2008 où tout à la fois on ne veut plus parler officiellement d’économie mais où il faut bien convenir que la pertinence d’un projet peut s’apprécier au moins autant en fonction de son impact économique sur le tissu commercial, avec une notion d’écrasement de la petite entreprise et de gaspillage des équipements commerciaux, qui figurent toujours dans la loi, qu’à l’aune du nombre d’arbres plantés sur le parking.

Jean Courrech, avocat associé au sein du cabinet Courrech & Associés

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