Le luxe peut-il fleurir avec frugalité ? Place aux diamants de synthèse en joaillerie. Une technologie qui pourrait forcer les grandes marques à s’adapter aux valeurs des consommateurs. Rencontre avec Manuel Courbet, fondateur de la joaillerie qui s’attache à bousculer le luxe.

Au 7 place Vendôme, un coup de fil est le sésame qui ouvre les portes du showroom Courbet. Dans ce salon scintillant, où les clients viennent à la rencontre des collections, Manuel Mallen offre accueil vivant, diamétralement opposé au traitement intimidant que réservent souvent les enseignes de luxe de la place. C’est volontaire. Selon son président, Courbet "respecte les codes, mais bouscule la place Vendôme dans ses fondations."

À l’origine

Le storytelling traditionnel autour d’une pierre inclut son lieu d’extraction, son cheminement ou encore d’anciens sertissages. À celui-ci, les bijoux Courbet préfèrent la narration autour d’une trajectoire environnementale. Plus que par conviction personnelle, Manuel Mallen a côtoyé l’écologie sous l’angle d’une critique de sa  génération. Ses deux enfants incitent sa prise de conscience : "Vous saviez. Et, pourtant, vous n’avez rien fait." Lors d’une visite à Anvers, la découverte du diamant de laboratoire, de ses qualités et surtout de son moindre impact, finit de le convaincre. Pour lui, c’est une évidence : "Il faut mettre ce diamant au même niveau que l’autre !" À cinquante ans, l’ancien directeur général de la joaillerie Poiray persévère, encouragé par le fait qu’"aux États-Unis, le marché des bagues de fiançailles et solitaires [avec des diamants de synthèse] surpasse celui du diamant de mine". En matière de légitimité, la vision s’affirme. L’objectif est de s’installer "place Vendôme et de sélectionner les meilleurs et plus beaux diamants de synthèse et les meilleurs artisans."

Luxe vert

Quand bien même le luxe correspond à un "domaine d’excellence français" où abondent les emplois, les premiers investisseurs lui opposent qu’"écologie et joaillerie n’ont rien à voir." Les discussions avec les fonds à impact deviennent houleuses, "comme s’ils avaient honte d’avoir [de la joaillerie] dans leur portfolio." Dans leur esprit, "le meilleur moyen d’allier écologie et luxe était tout simplement de ne pas consomme de luxe."


Tout comme celui extrait de la mine, reproduire un diamant en laboratoire porte une mesure d’incertitude dans sonDécideurs Magazine résultat et "peut aussi être très vilain". Les pierres les plus qualitatives orneront les collections Courbet. Le métal précieux, quant à lui, est désormais extrait d’anciens téléphones ou ordinateurs portables. "Avec l’or et le diamant, les deux composants essentiels de la joaillerie, on a tout pour nous amuser !"  Toutes les teintes de l’or rosé, jaune, blanc et toutes celles naturelles des pierres dans la nature sont à disposition de Marie-Ann Wachtmeister, directrice artistique et "détentrice du beau." Sous son crayon, ses motifs rappellent le "CO" ou encore le "Et" de la marque.

Rien ne se perd

La joaillerie reste un produit à part. "Le bijou symbolise un moment de vie, un mariage, une naissance, la majorité, un changement de vie… Il porte une force émotionnelle. Cet objet sera porté toute une vie, puis transmis." Tout se conserve également dans le processus de synthétisation en laboratoire. "L’intégralité de la production est utilisée. Nous gardons les plus belles pierres pour nos collections, celles moins qualitatives sont transmises à  différentes marques. Le reliquat est  utilisé par l’industrie sous forme de poussière." Une allocation judicieuse, surtout quand on connaît les usages des diamants dans le domaine des semi-conducteurs ou encore ses vertus dans celui de la santé.

Accessibilité

Luxe ou pas luxe ? La question embrase la place et les discussions. En France, eu égard à la tradition d’artisanat, le luxe repose sur la force du paradoxe. Le beau excuse l’excès. L’inatteignable relève du désirable. Qu’en est-il d’une marque qui démocratise l’éternel ?

Plus que la valeur fiduciaire associée au luxe, le design Courbet évoque une valeur écologique

Quelques milliers d’euros suffisent pour une bague de fiançailles. "À budget égal, nos clients ont plus de choix avec des pierres plus importantes ou plus belles", explique Manuel Mallen avec le sourire. Plus que la valeur fiduciaire associée au luxe, le design Courbet évoque une valeur écologique. "Nos clients se retrouvent dans un beau bijou, en accord avec leurs valeurs personnelles plutôt que financières."

Histoire sans fin

À l’extérieur du showroom Courbet, au centre de la place éponyme, se dresse la colonne Vendôme. Celle-ci a contribué au choix du nom de la marque : peu d’entre nous savent que le symbole impérial a été déboulonné en 1871 par les révolutionnaires de la Commune sous, justement, l’impulsion du peintre Gustave Courbet. Une référence que la joaillerie souhaite émuler en "faisant bouger la place" des plus grands bijoutiers.

Une chose est sûre, l’histoire de Courbet ne se bornera pas au cadre de la place Vendôme. Se profilent à l’horizon une nouvelle levée de fonds, mais aussi une boutique avec pignon sur rue, des corners dans les grands magasins, des réseaux multi-marques. À mesure que de grands groupes investissent eux aussi dans des laboratoires, des collections de diamants de synthèse pourraient éclore auprès d’enseignes classiques. "De nouveaux concurrents s’installent de manière régulière. Et tant mieux !" Leur présence souffle à Manuel Mallen qu’il n’est pas "le seul fou de l’histoire."

Alexandra Bui


Crédits photos : ©Studio26 et dans le corps du texte ©Studio36 - CollierCéleste 


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