Au moment où les opérateurs de places de marché et les vendeurs qui y ont recours s’efforcent de se mettre en conformité avec les nouvelles règlementations comme le DSA et le DMA, la Commission des clauses abusives publie une recommandation dans laquelle elle demande la suppression de dizaines de clauses courantes dans leurs conditions générales et qu’elle considère abusives.

L’actualité des plateformes de commerce en ligne, et notamment des places de marché ou marketplaces, est dominée par l’entrée en vigueur du règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés et aux services numériques (DMA et DSA), qui font suite au règlement dit Platform to Business. Ces règlements, ajoutés aux textes relatifs aux données personnelles, ont mobilisé les acteurs économiques concernés qui ont dû se mettre en conformité. La Commission des clauses abusives vient de rappeler que l’élimination des clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel éditant une marketplace et un consommateur restait toutefois un chantier d’actualité.

Les clauses abusives

L’article L212-1 du code de la consommation dispose que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, auxquels s’ajoutent les non-professionnels, "sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat." Le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.

Les clauses abusives sont réputées non écrites, sans que cela invalide la totalité du contrat. Leur emploi peut donner lieu à dommages et intérêts et à une amende administrative d’un maximum de 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.

"De nombreuses places de marché utilisent des clauses abusives au sens du code de la consommation"

Dans certaines circonstances celle-ci peut être portée à 4 % du chiffre d’affaires annuel moyen ou à un maximum de deux millions d’euros. Le non-respect de cette réglementation peut donc avoir des conséquences financières significatives, sans même parler de la détérioration de l’image de l’opérateur.

La recommandation de la Commission

Dans sa recommandation n° 23-01 de décembre dernier sur les places de marché en ligne de vente de biens, la Commission a ainsi recommandé la suppression dans les contrats habituellement proposés aux consommateurs et aux non-professionnels de 63 types de clauses qu’elle considère comme abusives, sur la base de l’étude de 64 contrats diffusés par des opérateurs de marketplaces et des vendeurs recourant à ces dernières.

Précédemment, la Commission s’était intéressée aux contrats de radiotéléphones portables, de fourniture d’accès à l’Internet, d’offre triple play, de vente de biens mobiliers sur Internet, de fourniture de services de réseaux sociaux ou encore de services de médias audiovisuels à la demande.

Florilège des clauses abusives pointées par la Commission

La Commission a qualifié 63 clauses d’abusives et en recommande l’élimination. Parmi celles-ci, on peut citer :

- des clauses incomplètes ou erronées, comme celles qui prévoient que leur intitulé est susceptible de ne pas correspondre à leur contenu ou que le contrat pourra être complété par des stipulations présentes dans un autre contrat non spécifié ou encore qui font référence à des dispositions légales ou réglementaires dont le contenu est erroné ou n’est pas mis à jour ;

- des clauses qui font obstacle à un recours effectif en cas de litige, telles que celles qui imposent au consommateur de recourir exclusivement à un arbitrage ou à une médiation, celles qui imposent la compétence de juridictions étrangères ou dérogent aux règles de compétence territoriales internes et plus généralement celles qui diffèrent des règles impératives relatives aux modes amiables de règlement des différends ;

- des clauses qui diffèrent des règles impératives relatives au droit de rétractation, telles que celles qui ajoutent des cas d’exclusion aux exceptions légales ou restreignent les modalités d’exercice de ce droit ;

- des clauses exonérant la responsabilité du professionnel dans de nombreuses hypothèses, sans réserver les cas où celui-ci a manqué à ses propres obligations ;

- des clauses qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher que la responsabilité du professionnel soit engagée, qui plafonnent le montant de la réparation due ou limite sa responsabilité à ses fautes graves ;

- des clauses qui prévoient que l’obligation du professionnel de permettre l’accès et le fonctionnement de son site est de moyens ;

- des clauses résolutoires asymétriques ;

- des clauses favorisant le vendeur, telles que celles qui prévoient que le vendeur peut annuler le contrat tant qu’il n’a pas envoyé le bien commandé, que le contrat est conclu sous la condition résolutoire de la disponibilité des produits, que le contrat est conclu en un seul clic ou que le double-clic vaut signature électronique…

La Commission pointe par ailleurs des modalités de présentation des contrats créant un déséquilibre significatif au détriment du consommateur, comme :

- l’absence d’accessibilité immédiate et effective aux conditions générales ;

- l’absence de lisibilité des conditions générales à l’écran ou une fois imprimées ;

- les traductions approximatives des conditions générales ;

- les documents contractuels gigognes liés entre eux par des liens hypertextes ;

- l’incertitude quant à l’application des clauses quand le professionnel s’adresse à la fois à des consommateurs et à d’autres professionnels.

La portée des recommandations de la Commission

La commission des clauses abusives est, notamment, chargée d’analyser des modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels à leurs contractants consommateurs ou non professionnels afin d’identifier les clauses qui pourraient présenter un caractère abusif et d’en recommander la suppression ou la modification. Elle peut être saisie par le ministre chargé de la consommation, par des associations de défense des consommateurs agréées ou par des professionnels intéressés ou bien s’autosaisir.

"Les recommandations de la Commission bien qu’en théorie non contraignantes s’imposent dans les faits"

Ses recommandations n’ont pas une valeur normative. Elles ne s’imposent donc ni aux professionnels qui utilisent de telles clauses, ni aux juges qui restent libres d’apprécier le caractère abusif ou non des clauses qui leur sont soumises. Elles constituent néanmoins des références pour les magistrats et la DGCCRF et peuvent s’analyser comme des "normes non contraignantes". La recommandation n° 23-01 devrait donc être utilisée par les tribunaux dans un avenir proche pour apprécier le caractère abusif des clauses dont ils auront à connaître, à la demande de consommateur, d’associations de défense des consommateurs ou de l’administration. Rappelons à cet égard que de telles actions ne sont pas rares et que dans un passé récent, les documents contractuels d’acteurs majeurs de l’Internet comme Facebook, Twitter et Google, ont été passés au crible par les tribunaux à la demande d’association de consommateurs et que de nombreuses clauses ont été jugées abusives.

La nécessaire mise en conformité des conditions générales

Le lecteur de la recommandation s’aperçoit très vite que les clauses dont la Commission demande la suppression sont présentes dans les conditions générales de nombreux sites marchands, au-delà des seules places de marché. Il est donc fortement conseillé aux opérateurs de tels sites de vérifier précisément si leurs conditions générales sont conformes au regard de la réglementation des clauses abusives.

 

SUR LES AUTEURS

Claudia Weber, avocat fondateur du Cabinet ITlaw Avocats et Jean-Christophe Ienné, avocat directeur des pôles Internet, PI, Médias & Audiovisuel du cabinet ITlaw Avocats.

ITlaw Avocats est un cabinet d’avocats orienté business, experts en droit de l’informatique, en particulier des contrats IT, de la protection des données personnelles (RGPD), de la propriété intellectuelle, d’Internet et de la sécurité. Toute l’équipe adopte une démarche transverse opérationnelle combinant expertise juridique, expérience opérationnelle et connaissance de l’écosystème IT leur permettant de résoudre les problématiques complexes de leurs clients, ce qui inclut celles liées à l’impact environnemental de l’écosystème numérique


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