Par Marie-Yvonne Benjamin, avocat associé, et Patrick Lucien-Baugas, avocat sénior. Genesis Avocats
Après une nouvelle ordonnance pour réformer en urgence le contentieux de l’urbanisme, l’objectif est-il atteint ? Tenter de renverser la crise du secteur immobilier, qui ne produit pas suffisamment de logements par le contrôle du contentieux en constante augmentation, est-ce possible ? Quand le contentieux naît, les acteurs concernés souhaitent être assurés qu’il soit équitable et rapidement orchestré. Parions que nous ferons très vite le bilan de cette réforme.

L’ordonnance du 18?juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme introduit six articles dans la partie législative du Code de l’urbanisme. L’objectif poursuivi est clair : «?même si la grande majorité des recours sont fondés sur des considérations parfaitement légitimes, le contentieux de l’urbanisme est de plus en plus fréquemment instrumentalisé à des fins stratégiques, dilatoires ou pécuniaires?». Il faut donc lever les obstacles qui paralysent le secteur de la construction en crise. Les mesures adoptées seront-elles efficaces ?

Le constat
Les projets immobiliers sont compromis par le contentieux. Les plaintes des promoteurs, dont les programmes sont paralysés, sont régulièrement enregistrées :
«?Les instruments contentieux garantis aux tiers pour la défense de leurs intérêts légitimes, et pour le plus grand profit du respect des règles d’urbanisme, sont parfois subvertis à des fins qui leur sont étrangères et qui peuvent même aller, dans certains cas, jusqu’à s’apparenter à une forme de chantage, c’est une réalité que les auditions conduites par le groupe ont attestée?». (Rapport du groupe de travail présidé par M. Labetoulle, créé le 11?février 2013, remis le 25?avril 2013). À ces difficultés s’ajoute le poids des normes nationales, locales, européennes qui rendent plus complexes les procédures préalables à la délivrance d’une autorisation d’urbanisme. Le projet de loi Alur pourrait «?clarifier?», «?rénover?» et pourquoi pas «?simplifier?» le droit de l’urbanisme. En attendant, quels sont les dispositifs déjà entrés en application ? On s’interroge déjà sur les conditions de mise en œuvre de ces textes et sur leur effet d’entraînement probable sur le contentieux administratif.

Les remèdes proposés
La loi n°2013-569 du 1er?juillet 2013 habilite le Gouvernement à adopter des mesures pour : «?4° Accélérer le règlement des litiges dans le domaine de l’urbanisme et prévenir les contestations dilatoires ou abusives, notamment en encadrant les conditions dans lesquelles le juge peut être saisi d’un recours en annulation ou d’une demande de suspension en particulier en exigeant des requérants un intérêt suffisamment direct à agir, en aménageant les compétences et les pouvoirs des juridictions, en vue notamment de leur permettre de condamner à des dommages et intérêts l’auteur d’un recours abusif, et en réduisant les délais de traitement des procédures juridictionnelles?».
L’ordonnance n°2013-638 a été publiée le 19 juillet 2013. L’intérêt à agir contre un permis de construire est limité par les nouveaux articles
L 600-1-2 et L 600-1-3 du code de l’urbanisme. Le requérant doit avoir un intérêt à agir à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire et démontrer que le projet attaqué compromet «?directement?» les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement. Il n’y sera fait exception qu’en «?cas de circonstances particulières?».

Le recours abusif est sanctionné par le juge administratif
Deux dispositions à ce titre : le titulaire du permis attaqué pourra demander des dommages-intérêts et les transactions doivent être enregistrées (article L.600-7). La demande reconventionnelle en condamnation au paiement de dommages et intérêts est présentée par «?mémoire distinct?». Elle peut être déposée, pour la première fois, en appel. Afin de moraliser les transactions, qui conduisent les requérants à abandonner leurs recours après compensations, elles sont soumises à enregistrement auprès de l’administration fiscale dans un délai d’un mois à compter de leur conclusion (article L. 600-8). À défaut, la contrepartie sera réputée sans cause. Une action en répétition des sommes versées, ou des avantages consentis, est ouverte au promoteur immobilier, dans les cinq ans suivant le dernier versement ainsi qu’aux acquéreurs successifs des biens.

La possibilité de régulariser un projet et le rôle du juge
Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 600-5 du code l’urbanisme prévoit que «?le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation?». Le juge administratif pourra surseoir à statuer, s’il constate que la régularisation du vice affectant la légalité de cette autorisation est possible par un permis modificatif. Le décret n°2013-879 du 1er?octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme (JO 2?octobre 2013) complète le dispositif. Le juge du permis est autorisé à fixer une date limite au-delà de laquelle le requérant ne pourra plus soulever de moyens nouveaux (article R. 600-4 du code de l’urbanisme). Cette mesure entrera en vigueur le 1er?décembre 2013. Le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les recours dirigés contre le permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation, ou le permis d’aménager un lotissement, lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté, en tout ou partie, sur le territoire d’une commune mentionnée à l’article 232 du code général des impôts, c’est-à-dire soumise à la taxe annuelle sur les logements vacants. Cette disposition s’applique aux recours introduits entre le 1er?décembre 2013 et le 1er?décembre 2018 (article R. 811-1-1 du code de justice administrative). Cette mesure est adoptée pour une période expérimentale fixée à cinq ans.

Date d’entrée en application
Aux termes de l’article 5 de l’ordonnance du 18?juillet 2013, la loi entre en vigueur un mois après sa publication, soit le 19?août 2013. Cependant, les nouvelles dispositions relatives à l’intérêt à agir ne concernent vraisemblablement que les recours en excès de pouvoir introduits à partir du 19?août 2013 contre les autorisations délivrées postérieurement à cette date. La même règle doit être retenue pour les dispositions concernant les conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire. 

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