Après une année noire dans les Drom-Com, qui auront vu se succéder tensions sociales et évènements climatiques extrêmes, les assureurs annoncent leur intention de quitter ces marchés devenus trop incertains, trop risqués et peu rentables. En Martinique, plusieurs assureurs ont ainsi fait part de leur refus d’assurer le risque émeutes pour les entreprises.
Tensions sociales et émeutes : en Martinique et en Nouvelle-Calédonie, les assureurs jettent l’éponge
Ultra-risqués car ultra-marins, les Outre-mer seront-ils, un jour prochain, outre-assurance ? Au terme d’une année à plus d’un titre "chaude" dans les Drom-Com, les assureurs tirent la sonnette d’alarme : entre les émeutes et tensions sociales à répétition et les conséquences prévisibles du dérèglement climatique sur ces territoires particulièrement vulnérables, "il n’y aura (bientôt) plus d’assureurs dans les Outre-mer", a, le 7 octobre dernier, prévenu Jean-Laurent Granier, le président de Generali.
Émeutes en Nouvelle-Calédonie, manifestations et échauffourées en Martinique, sécheresse en Guyane, catastrophe naturelle à Mayotte… : "si l’ordre n’est pas respecté, confirme Christophe Delcamp, de France Assureurs, alors l’économie de l’assurance ne peut pas fonctionner : il n’y a plus d’aléa s’il y a des émeutes à répétition". Un risque déjà pointé en 2020 dans un rapport de l’inspection générale des Finances, selon lequel "l’Outre-mer peut faire peur aux assureurs, avec des marchés trop exigus (…) au regard de risques considérés comme excessifs".
Nouvelle-Calédonie, Mayotte : ces territoires qui font désormais peur aux assureurs
L’année 2024 aura, malheureusement, donné raison aux pessimistes. Avec des dégâts estimés à 2,2 milliards d’euros, les émeutes qui ont embrasé et paralysé la Nouvelle-Calédonie ont mis l’économie locale à genoux. Et les assureurs dans une position exsangue. Dans l’archipel, la facture s’élève à 50 millions d’euros pour Generali, et à 260 millions d’euros pour l’assureur Allianz. "Le cas de la Nouvelle-Calédonie est extrêmement préoccupant", confirme Jean-Laurent Granier, selon qui les assureurs pourraient mettre la clé sous la porte « si l’État ne fait pas son travail » de maintien de l’ordre.
La situation n’est pas plus réjouissante à Mayotte, où l’insécurité règne depuis plusieurs années. Au point que certaines communes locales pourraient bientôt ne plus trouver à s’assurer : "avec (…) les voitures brûlées, les maisons brûlées, les particuliers ont du mal à s’assurer (et) cherchent des assureurs ailleurs", observe Madi Madi Soul, maire de la localité mahoraise de Pamandzi et président de l’association des maires de l’île. Et l’édile de prédire que "bientôt, ça va se répercuter sur nous, les communes".
En Martinique, les assureurs jettent l’éponge
Cet effet boule de neige, les Martiniquais le constatent aussi. Alors que l’île antillaise a été le théâtre de violentes manifestations ces dernières semaines, l’assureur Generali a annoncé, à la fin du mois de novembre, sa décision de suspendre toute nouvelle souscription pour le risque d’entreprise. "Nous avons besoin d’avoir plus de visibilité sur le contexte social et sécuritaire", a justifié Régis Lemarchand, directeur IARD de l’assureur italien. Une « prise de recul » du marché antillais imitée, quelques jours plus tard, par ses principaux concurrents.
Considérant que "le risque émeutes n’est plus assurable dans ces territoires par l’assurance privée", Allianz a annoncé début décembre avoir "pris la décision d’exclure systématiquement le risque émeutes en entreprise". Même constat chez Groupama, qui avec une sinistralité revendiquée de 10 millions d’euros avant réassurance, va "exclure le risque émeutes de l’ensemble de (ses) contrats entreprises, considérant que le maintien de l’ordre n’est pas assuré et qu’il reste à la responsabilité de l’Etat".
Autant d’annonces qui n’ont pas manqué d’inquiéter en Martinique, où les chefs d’entreprise ont adressé une lettre à l’ex-premier ministre Michel Barnier, demandant à l’État d’intervenir pour rétablir une solution d’assurance pérenne. Et ce d’autant plus urgemment qu’en sus des 60 à 100 millions d’euros de dégâts occasionnés par les protestataires martiniquais, "les risques climatiques sont intenses" dans les Outre-mer, comme le rappelle un responsable local d’Allianz, selon qui "la réassurance ne nous suit plus".
« Un problème systémique d’une très grande gravité »
Confrontée à des défis inédits tant par leur répétitivité que par leur intensité, l’assurance dans les Outre-mer peut-elle se réinventer ? Si certains avancent la piste d’une garantie de l’État au-delà d’un certain niveau de dégâts, la priorité semble, pour les élus comme pour acteurs économiques, de rétablir l’ordre : alors que dans les Antilles et ailleurs "les émeutes ne sont plus un risque, mais un fait", comme le relève la présidente martiniquaise de la CPME, les territoires ultra-marins font désormais face à "un problème systémique d’une très grande gravité", résume Hervé Mariton, le président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom).