La rentrée des entreprises est bousculée par l’actualité politique. Pas de quoi céder au pessimisme pour les patrons réunis les 26 et 27 août lors de l’université d'été du Medef. Le président de l’organisation, Patrick Martin, a profité de l’événement pour réaffirmer ses propositions mais aussi asseoir le pouvoir du patronat.

Retour des congés d’été. Sur l’hippodrome de Longchamp, un grand soleil, des teints hâlés et détendus. L’ambiance est bonne en ces 26 et 27 août pour l’université d’été du Medef : la REF 2024. Patrick Martin, le patron des patrons, donne le coup d’envoi de l’événement en gravissant les marches du podium au son du fameux Start me up des Rolling Stones. Le discours se fera sans notes et sans fausses notes – de l’avis de l’assemblée. Celui qui a eu la chance de voir Mick Jagger dans ce même lieu donne le la : les entreprises françaises enregistrent de belles victoires mais les défis continuent en parallèle de s’accumuler pour elles. Parmi eux, le manque de visibilité politique de ces dernières semaines qui obligent les dirigeants de société à naviguer à vue. Pour autant, les entreprises ont bien l’intention de reprendre le pouvoir, thème central des conférences de ces deux jours. Le patronat a décidé de leur montrer le chemin en réaffirmant le sien alors même que les politiques cherchent le leur.

Optimisme

En préambule, Patrick Martin s’est félicité du succès rencontré par les Jeux olympiques. "Nous avons assisté à la victoire de l’effort, de l’excellence", lance-t-il. L’Hexagone a pu montrer au monde "le génie français" et les entreprises ont été au rendez-vous malgré les difficultés que l’événement représentait. Le Medef entend s’appuyer sur cette démonstration de force pour faire entendre la voix des entreprises sur leurs sujets de préoccupation. Ces derniers ? Des classiques du patronat : ne pas céder au fatalisme du déclin, militer pour que la France arrête de vivre à crédit, faire bouger les textes et les politiques afin que les entreprises françaises se retrouvent moins désavantagées que leurs concurrentes étrangères (notamment sur le plan fiscal)… medef 2 hippodrome

Le discours se tenait quelques heures avant la prise de parole d’Emmanuel Macron du 26 août. Ce soir-là, le président de la République écartait la nomination d’un gouvernement issu du Nouveau Front populaire. Mais sans cette information à 14h00, Patrick Martin se montrait offensif, dénonçant le programme du NFP, qu’il estime suicidaire pour l’économie et qui ne "ferait qu’aggraver nos maux".

Sujets de prédilection

Le président du Medef propose des priorités alternatives à celles contenues dans les propositions de la gauche. Créer des fonds de pension privés, empêcher que des changements fiscaux ne viennent fragiliser les entreprises, engager plus avant la réforme de l’assurance-chômage, remettre à plat les aides à l’apprentissage, peser en Europe ; mais aussi mettre en place des outils plus efficaces que l’augmentation du Smic de manière à soutenir les salariés les plus modestes : "D’autres réponses existent : elles commencent par des réflexions structurelles sur la protection sociale." Malgré quelques désaccords, le dirigeant a remercié Bruno Le Maire, présent aux premières places, aux côtés de Yaël Braun-Pivet, Gérard Larcher, Patricia Barbizet, Antoine Gosset-Grainville, Ernest-Antoine Seillière ou encore Pierre Gattaz pour ne citer qu’eux.

La prise de parole de Patrick Martin a été en grande majorité saluée par les chefs d’entreprise. Interrogé par Décideurs, Ernest-Antoine Seillière, ancien président du Medef, estime qu’: "il a fait un sans-faute. Avec une forme parfaite, il a dit tout ce qu’il fallait dire." "Il a mis un coup de pied dans la fourmilière", commente pour sa part Caroline Poissonnier, directrice générale du Groupe Baudelet.

Le Sénat et l’Assemblée rassurants

Malgré l’absence sur scène des membres du gouvernement démissionnaire, les présidents des deux chambres étaient invités à prendre la parole dans le sillage de Patrick Martin. Les élus ont donné au président du Medef quelques motifs d’espoir. Yaël Braun-Pivet a redit l’importance de la politique de l’offre (remise en cause par le NFP) et affirmé que "la fiscalité doit encourager l’audace, et non punir la réussite". De son côté, Gérard Larcher a énoncé que la croissance devait s’accompagner de progrès social et que celui-ci reposait en partie sur l’action des partenaires sociaux. Un discours, là encore, applaudi, alors que Patrick Martin venait de mettre en lumière la qualité du dialogue entre les organisations.

Invités de marque

Le thème du pouvoir a été développé sous toutes ses formes lors des différentes tables rondes qui réunissaient patrons, économistes, diplomates, représentants d’ONG, membres d’organisations étatiques ou encore journalistes. Ross McInnes, président de Safran, a disserté sur "la nouvelle carte des pouvoirs", Jörg Kukies, secrétaire d’État à la Chancellerie allemande, a donné son avis sur "le vrai pouvoir des marchés" et Cécile Duflot (Oxfam) a insisté sur le rôle capital des contre-pouvoirs. Les raisons qui ont mené à une montée des extrêmes et à l’instabilité gouvernementale actuelle n’ont pas manqué d’être évoquées lors de ces discussions, tout comme les tensions géopolitiques et les conséquences de la montée en puissance de l’intelligence artificielle.

Le réchauffement climatique et les manières d’y répondre ont également fait l’objet de débats

Le réchauffement climatique et les manières d’y répondre ont également fait l’objet de débats. Pierre-André de Chalendar (ex-patron de Saint-Gobain et président de l’Institut de l’entreprise), Antoine Gosset-Grainville (avocat et président d’AXA), Catherine MacGregor (DG d’Engie), Julie Pasquet (cofondatrice du collectif Le bruit qui court) et Jean-Pascal Tricoire (président de Schneider Electric) ont partagé des points de vue divergents sur le sujet. Pierre-André de Chalendar regrette le trop-plein de réglementations qui a provoqué un certain rejet de la transition écologique et n’a pas permis à l’Europe de prendre le leadership technologique. Jean-Pascal Tricoire - qui vit pour partie en Asie et ne peut que constater les avancées chinoises sur le sujet - souhaite voir les Européens accélérer. S’ils se sont montrés plus optimistes, Catherine MacGregor et Antoine Gosset-Grainville ont insisté sur l’opportunité compétitive que la transition environnementale représentait et la nécessité d’impliquer tous les acteurs pour ne laisser personne de côté.

Parité, pas d’accords

Bien que les invités ne partageassent pas tous le même avis sur la manière de gérer la crise climatique, la discussion s’est avérée moins vive que lors d’une autre table ronde. Son sujet ? Le pouvoir à parité. Il faut dire qu’en invitant Sandrine Rousseau (EELV) et Élisabeth Lévy (Causeur), aux côtés de Bertrand Badré (Blue like an Orange Sustainable Capital), Jean-François Copé (maire de Meaux) et Patricia Vialle (Medef Landes), il fallait s’attendre à quelques désaccords. "Le pouvoir est quelque chose de compris, organisé et exercé de manière masculine, a affirmé Sandrine Rousseau. Nous souffrons un peu de cet excès de pensée masculine au pouvoir." Sa sortie n’a pas trouvé d’échos chez la fondatrice de Causeur pour qui il faut arrêter de compter le nombre de femmes en entreprise. Selon elle, l’important reste que celles-ci soient bien gouvernées : "Peu importe que le chat soit gris ou noir pourvu qu'il attrape les souris".

Jean-François Copé, qui partage la paternité de la loi Copé-Zimmermann sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration, rappelle que l’on mesure la modernité d’une société à la place qu’elle fait aux femmes mais que ce combat pour la parité doit se faire en fonction de la réalité de chaque entreprise. L’auditoire, dont les réactions n’étaient pas homogènes sur le sujet, n’a pas manqué de saluer par des applaudissements les prises de paroles qu’il soutenait.

medef 3 hippodrome ref 2024

Comme chaque année, le Medef laisse place à la contradiction. On se souvient en 2022 de la prise de position du physicien et écologiste Aurélien Barrau, qui avait interpellé sans détour les patrons sur la question climatique. Du côté des sujets financiers, le professeur allemand et fondateur du think tank Europolis Markus C. Kerber n’a pas mâché ses mots pour dénoncer le plan de relance européen, qui, selon lui, ne pourra être remboursé à partir de 2028. Il faisait face à l’eurodéputée Valérie Hayer, qui insistait sur le rôle central et primordial que cet accord financier historique a joué pendant la crise.

Deux lieux, deux ambiances

En dehors des tribunes, c’est sur les stands et espaces de networking aménagés en haut des marches de l’entrée de l’hippodrome que les patrons échangeaient. Les partenaires de la REF jalonnaient les allées : Urssaf, AXA, la mission French Tech, les différents Medef locaux ou encore médias. Outre la grande scène, les dirigeants se sont réunis lors de plus petits événements parallèles. KPMG a ainsi présenté avec le Meti une étude sur la réindustrialisation et l’importance des ETI dans ce processus. Patrick Martin, également patron d’une entreprise de taille intermédiaire, a redit qu’il se montrerait "attentif à toutes les menaces qui planent" sur ces sociétés "notamment familiales". Quels que soient les aléas politiques des mois à venir, le patron des patrons, élu l’an passé, entend bien tenir sa feuille de route.

Olivia Vignaud

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