Président du groupe PS et apparentés à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud attache une importance primordiale à son ancrage territorial dans la troisième circonscription des Landes. Auteur d’un ouvrage émouvant, il rend hommage à ses administrés qui lui donnent la force de continuer à s’engager. Évolution des mentalités, infobésité, défiance envers le pouvoir central, rôle de l’élu… Le socialiste revient sur des sujets qui lui tiennent à cœur.
Boris Vallaud : "Un député est une sorte de médecin de campagne"
Décideurs Magazine. Les livres politiques sont souvent programmatiques, cherchent le buzz ou auto-célèbrent leur auteur. Votre angle est différent, expliquez-nous…
Boris Vallaud. L’écriture a commencé en 2022, je ressentais alors un besoin de m’arracher au brouillard de l’époque, aux réseaux sociaux, au buzz permanent. L’idée était de retrouver le sens de mon engagement.
Plus que moi-même, j’ai surtout voulu mettre à l’honneur les citoyens de ma circonscription des Landes. Ce sont des vies qui m’apportent énormément de force au quotidien, qui me donnent des raisons de me battre, de continuer à aller de l’avant.
"Député secteur 1", "Député sans dépassement d’honoraires", "assistant social". Le champ lexical de la santé et de la médecine est très présent dans votre ouvrage. Un député est-il une sorte de soignant ?
D’une certaine façon oui. Lorsqu’on pousse la porte de ma permanence, c’est rarement parce que tout va bien. J’accueille et écoute tout le monde, essaie de poser des diagnostics, de trouver des solutions. Les déplacements dans les villages de ma circonscription ressemblent au quotidien d’un médecin de campagne avec tout ce que cela implique : confessions, dévoilement de l’intime, rugosité et beauté des relations humaines.
Sur le terrain, quel est l’état d’esprit des citoyens ? Notez-vous de grandes évolutions au fil des années ?
Dans ce territoire rural, l’éloignement des services publics se fait de plus en plus ressentir. En ressort le sentiment d’un pouvoir central éloigné des préoccupations quotidiennes. La fracture avec Paris est visible. Outre une forte identité régionale qui demeure, il y a toujours beaucoup de solidarité, de dignité, même si j’observe de plus en plus de dureté dans les rapports sociaux. Les gilets jaunes, la montée du RN sont des phénomènes que j’ai vus avant qu’ils ne se développent.
"Dans des petits villages landais, on me parle avec crainte du wokisme, de l'abaya, de la théorie du genre, du grand remplacement. Des phénomènes auxquels les personnes que je rencontre n'ont jamais été confrontées"
Vous pointez l’influence néfaste des chaînes d’information en continu sur le moral des citoyens…
Elles percutent les consciences, pas toujours de la meilleure des manières. Dans des petits villages landais, on me parle avec crainte du wokisme, de l’abaya, de la théorie du genre, du grand remplacement, phénomènes auxquels les personnes que je rencontre n’ont jamais été confrontées. Pourtant, cela les rend anxieuses, méfiantes à l’encontre de l’État, des élites. Ce qui prouve, hélas, que la peur est un ressort politique qui fonctionne.
Surtout, ces médias sont dans la course à l’audience, dans le flux permanent. Cela privilégie le commentaire et la petite phrase à la réflexion. L’information en continu contribue au renfermement, à la défiance, sans pour autant améliorer le quotidien et ouvrir les esprits. Or notre monde est de plus en plus complexe, les citoyens sont demandeurs de nuance et d’altérité. Il est faux de penser qu’ils recherchent les clashs en allumant leur télé ou leur radio.
L’information en continu a-t-elle également un impact sur le quotidien des responsables politiques ?
Oui car, pour être invité, il faut être "un bon client", ce que je ne suis pas. Pour le devenir, il est nécessaire d’adapter ma façon d’être en clivant et tapant en permanence ou en choisissant un camp de façon caricaturale sans prendre de hauteur. Ce n’est pas ma conception de la politique. Les "bons clients" sont ceux qui sont rivés sur leur écran, leur compte X, cisèlent leurs punchlines. Mais en quoi cela améliore-t-il le quotidien ? En quoi cela connecte aux citoyens ? Les réseaux sociaux, les médias, les influenceurs, les coups d’éclat vides de sens et de portée politique auxquels on finit par consentir dans le vain espoir d’accrocher un bout de lumière, sont une dérive de notre vie publique.
"Il est faux de penser que les citoyens recherchent les clashs en allumant leur télé ou leur radio"
La loi sur le non-cumul des mandats a écarté de l’hémicycle de nombreux élus ancrés dans les territoires. De plus en plus de députés sont des militants, des parachutés, des personnes venues du privé. Avec le recul, cette loi était-elle une bonne chose ?
La loi n’a peut-être pas assez pensé à l’ancrage de l’élu dans son territoire. Par exemple, l’enveloppe parlementaire était un formidable outil pour créer du lien, suivre et s’impliquer dans les projets locaux et le monde associatif. Elle n’existe plus et c’est dommage.
Je ne pense pas qu’il faille revenir en arrière, de nombreux députés ont été élus depuis la mise en œuvre de la loi et sont très présents auprès des habitants de leur circonscription. En revanche, il est vrai que certains assument de ne pas l’être. Ils affirment sans filtre qu’ils n’ont pas besoin de permanence, qu’ils n’ont pas vocation à être des assistants sociaux. Ces élus-là sont souvent dans les rangs macronistes et peuvent s’inspirer du président de la République qui n’a jamais vraiment rencontré de Français. Ce n’est pas ma vision de la politique. Selon moi, un député doit être une voix dans l’hémicycle, une oreille en circonscription.
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz
En permanence, ces vies que je fais miennes, de Boris Vallaud, Odile Jacob, 160 pages, 12,99 euros
Crédit photo @FPA