Cette année, le patron de CMA CGM a frappé un grand coup en rachetant Altice Media à Patrick Drahi. Le nouveau propriétaire qui se présente avant tout comme un entrepreneur devra résister aux pressions politiques exercées sur lui pour en faire un contrepoids à l’empire de Vincent Bolloré.

Stratégie d’influence ? Ego ? Conformisme ? Amour de la presse ? Mélange de tous ces facteurs ? Impossible de répondre précisément, mais une chose est certaine : les grands patrons et capitaines d’industrie de l’Hexagone aiment bâtir des empires médiatiques. Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel, Martin Bouygues peuvent en témoigner. Depuis quelques années, un nouveau venu enchaîne les acquisitions au point de jouer désormais dans la cour des grands.

Un nouveau venu ambitieux

Rien ne prédestinait Rodolphe Saadé à endosser le rôle de patron de presse. En 2017, le Franco-Libanais, alors âgé de 47 ans, prend la tête de l’armateur CMA CGM fondé par son père Jacques. Très vite, il donne un second souffle à une entreprise déjà bien portante. Aujourd’hui le groupe est le numéro trois mondial du transport maritime avec 650 navires et 160 000 collaborateurs dans 183 pays.

Rodolphe Saadé a entamé une diversification dans la presse. En septembre 2022, il acquiert La Provence et Corse-Matin pour 81 millions d’euros et, trois mois plus tard, il prend des parts dans M6 et Brut. En juillet 2023, il acquiert La Tribune avant de frapper un grand coup. En mars 2024, il entre en négociation exclusive avec Patrick Drahi qui cherche à céder Altice Media. Prix de vente ? 1,55 milliard d’euros. Le 2 juillet, l’opération est finalisée puis validée par l’Arcom et l’Autorité de la concurrence. BFMTV et RMC tombent donc dans son escarcelle.

Rodolphe Saadé devra avoir le cuir épais pour résister au pressions politiques

Acquisition au prix fort

Sur le plan financier, les observateurs pensent que la cinquième fortune de France a peut-être un peu surpayé. Altice Media était estimé entre 800 et 1 milliard d’euros, soit huit fois son Ebitda. Le nouveau propriétaire l’a payé près de quatorze fois.

Mais le jeu en vaut la chandelle. Le groupe est rentable, sa force de frappe considérable et des synergies sont envisageables. Surtout, l’opération permet à Rodolphe Saadé de renforcer son soft power et de diriger un groupe de presse de taille nationale. Contrairement à Vincent Bolloré qui ne cache pas son projet politique, Rodolphe Saadé se présente comme un simple entrepreneur et n’a pas la réputation d’être un cost-killer. Le communiqué de presse relatif à l’acquisition évoque la "volonté de constituer sur le long terme un pôle média de référence dont le projet éditorial porteur de pluralisme, d’indépendance et d’éthique journalistique, serait tourné vers les grands enjeux de transformation économique, sociétale et territoriale".

Les rédactions ont plutôt bien accueilli le nouvel arrivant qui a déclaré à l’Arcom : "Je n’interviendrai pas dans la ligne éditoriale. Au sein de CMA Média nous donnons des garanties concrètes à l’indépendance des rédactions." Si le patron de presse le pense vraiment, il faudra qu’il ait le cuir épais pour résister aux pressions politiques. Le bloc central aimerait bien faire des médias du milliardaire marseillais un contrepoids libéral et centriste à l’empire Bolloré.

Combat politique ?

Il est vrai que Rodolphe Saadé entretient des relations cordiales avec le bloc central. L’Élysée a soutenu l’arrivée de CMA CGM au capital d’Air France, Emmanuel Macron a emmené l’entrepreneur dans ses bagages lors de voyages officiels en Algérie, aux États-Unis ou au Liban. L’armateur connaît depuis longtemps Édouard Philippe, maire du Havre, premier port français. En outre il ne fait pas mystère de son tropisme pro-européen et de son rejet des extrêmes. Saura-t-il rester en dehors des combats politiques à venir ?

Lucas Jakubowicz

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