À l’heure où le calendrier législatif s’accélère, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ) fait évoluer sa gouvernance. Tout juste nommé directeur général, Alain Damais détaille ses missions et les chantiers prioritaires dont il a la charge et qui devraient contribuer à une professionnalisation accrue du Conseil.

Décideurs. Après un parcours professionnel riche et diversifié, pourquoi avoir choisi de rejoindre le CNAJMJ ?

Alain Damais. L’élément déclencheur a vraiment été la rencontre avec le Président Christophe Thevenot et les membres du bureau du Conseil. Le challenge qu’ils m’ont présenté ne pouvait que me séduire. Pour le relever, il faut que je me familiarise avec ce milieu professionnel que je commence à découvrir. Je connais déjà bien une partie des problématiques auxquelles les administrateurs et mandataires judiciaires sont confrontés, notamment les questions éthiques et le contrôle de ces professions. D’autres me sont encore inconnues mais je pense que mon parcours, à la fois dans le public et dans le privé, en France et à l’international, m’a bien préparé à accompagner le développement du CNAJMJ. En effet, mon parcours diversifié (Direction du Trésor, Banque Mondiale, GAFI, Inspection des Finances, MEDEF puis enfin, présidence d’une PME industrielle) m’a permis d’appréhender nombre des problématiques qui sont au cœur de l’activité des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires : de la compétitivité à l’investissement, en passant par la réglementation, la lutte contre la délinquance financière ou les interactions avec les professions qui font partie du même écosystème (avocat, chefs d’entreprise, etc.).

« Le travail de transposition de la directive pourrait être l’occasion d’une réforme plus profonde de certains aspects du modèle français, notamment en matière de droit des sûretés »

Quelles sont les missions qui vous sont confiées ?

Le Conseil entend se professionnaliser et moderniser son fonctionnement en se concentrant autour de plusieurs chantiers principaux. Le premier rejoint l’actualité juridique du moment : alors que la nouvelle directive sur l’insolvabilité vient d’être adoptée, le processus de transposition va commencer puisque la France dispose de deux ans pour rendre le dispositif national conforme au texte européen. La directive, qui crée un socle commun de principes et de valeurs pour tous les États membres en matière de prévention des difficultés, n’engendrera vraisemblablement pas de chamboulement du régime français, déjà très en avance sur ces sujets, mais nécessitera néanmoins une série d’ajustements. Toutefois, au-delà de ces obligations communautaires, le travail de transposition pourrait être l’occasion d’une réforme plus profonde de certains aspects du modèle français, notamment en matière de droit des sûretés. De même, la création d’un code européen des affaires, largement axé autour d’une plus grande convergence franco-allemande, constitue également une excellente opportunité de réfléchir à une harmonisation des systèmes législatifs. En tout cas, nous comptons être force de propositions et faire entendre la voix de la profession dans ces débats, notamment auprès du ministère de la Justice et du ministère de l’Économie et des Finances.

En dehors des projets d’évolutions législatives, avez-vous vocation à intervenir, plus généralement, auprès du grand public ?

Absolument ! L’idée est de contribuer activement à la réflexion économique du pays. Les administrateurs et mandataires judiciaires ont accès à une grande quantité de données et de chiffres, qui sont un élément d’appréciation de la situation économique du pays. Nous en publions les principaux enseignements via notre Observatoire des entreprises en difficultés mais nous voulons en faire profiter le plus grand nombre en fiabilisant, exploitant et diffusant ces données plus avant et plus largement encore. Sur un autre registre mais toujours dans l’idée de s’ouvrir et de faire connaître nos métiers, nous travaillons actuellement à l’organisation d’un « Tour de France du rebond », à l’initiative du vice-président Christophe Basse. L’idée est de se déplacer et d’assurer des permanences dans tout l’Hexagone, de présenter nos professions et d’échanger avec les acteurs de l’écosystème. Notre maillage territorial est déjà bien établi puisque les études de mandataires et d’administrateurs sont d’ores et déjà implantées localement mais il faut nous faire connaître, expliquer nos missions et notre plus-value.

« Nous comptons être force de propositions et faire entendre la voix de la profession, notamment auprès du ministère de la Justice et du ministère de l’Économie et des Finances »

Quels sont les autres projets prioritaires définis par le CNAJMJ ?

Il nous faut indubitablement poursuivre et accélérer notre digitalisation et accompagner dans cette voie les études qui n’ont pas encore pris le virage de la dématérialisation. Cet objectif prend des formes très variées. Il peut par exemple s’agir de faire évoluer le « Creditors services », cette plateforme de déclaration en ligne des créances dans le cadre de l’ouverture d’une procédure collective. Ce premier outil de dématérialisation n’a pas rencontré, à ce stade, le succès escompté, probablement en raison de son ergonomie, perfectible pour les utilisateurs comme pour les professionnels, et son utilisation n’est pas devenue automatique. En trouvant un nouvel équilibre, il peut devenir une formidable avancée à la fois pour les particuliers déclarants et pour les organes de la procédure. Autre piste de travail : la lettre recommandée avec avis de réception digitalisée. Les idées ne manquent donc pas et nous allons travailler avec les professionnels et les éditeurs de logiciels métiers pour faire avancer ces sujets.

L’écart de la rémunération des administrateurs et mandataires judiciaires français vis-à-vis de leurs homologues européens agite le débat depuis quelques temps. Quelle est votre position sur le sujet ?

Les écarts de rémunération sont indéniables, au détriment des professionnels français. Et, au-delà de ce problème, c’est la question de la réglementation de la profession qui se pose. La France est très en avance sur le sujet avec une profession réglementée très encadrée. Les administrateurs et mandataires sont systématiquement contrôlés tous les trois ans par leurs pairs. C’est une situation unique en Europe. En comparaison, les contrôles sont beaucoup plus espacés chez nos partenaires européens, lorsqu’ils existent. Parfois, ce ne sont pas des professionnels spécialement formés au traitement des difficultés qui interviennent. En Allemagne, par exemple, ce sont des avocats qui remplissent les missions que nos membres effectuent en France. La question de la rémunération, tout comme celle du statut professionnel, nous occupe tout particulièrement. Nous comptons ouvrir le débat auprès des pouvoirs publics pour veiller à ce que la rémunération des professionnels soit en adéquation avec la plus-value qu’ils apportent sur les dossiers qui leur sont confiés, et l’apport qui est le leur à la santé économique de la France.

Propos recueillis par Sybille Vié

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