Président de France Invest, Dominique Gaillard ne peut que se féliciter des performances récentes du private equity, mais aussi de la dette privée et des fonds dédiés au financement des infrastructures. Cela dit, le marché reste très compétitif et les sociétés de gestion n'ont pas le temps de s'endormir. les acteurs du non-coté devraient s'intéresser davantage aux retraits de cote (P2P), et à la structuration de véhicules plus longs afin d'améliorer leur multiple de sortie.

Décideurs. Votre dernière étude d’activité rend compte de la grande forme du private equity. Quels sont les chiffrés clés à retenir pour 2018 ?

Dominique Gaillard. À travers les différentes activités d’investissement dans le non-coté (capital, dette privée, infrastructures), les sociétés de gestion ont levé en 2018 près de 36 milliards d’euros pour le marché français, un montant largement supérieur à 2017 (25 milliards d’euros). Plus de la moitié de cette collecte provient des levées qui alimenteront les entreprises en fonds propres avec 18,7 milliards d’euros.

Concernant la dette privée précisément, peut-on dire que les banques sont de retour sur le financement des LBOs notamment ?

Les banques traditionnelles s’étaient complètement retirées du marché du financement des opérations de capital-transmission après la crise de 2007. C’est ce qui a permis à de nombreux fonds de dette privée de faire leur apparition. Ces nouveaux acteurs ont vite obtenu de bons résultats et depuis quelques mois, ils parviennent à lever des véhicules de plus en plus gros. Avec le retour des banques ces dernières années, le marché de la dette est devenu extrêmement compétitif.

En 2018, 2/3 des opérations ont nécessité l’intervention d’un investisseur en capital. 1/3 ont été réalisées sans la présence d’un fonds, ce qui souligne aussi que la dette privée devient une source de financement à part entière.

La dette privée devient une source de financement à part entière

Par ailleurs, la dette privée bénéficie de l’appétit des assureurs parce qu’elle est moins risquée que le capital bien sûr, mais aussi qu’elle autorise un yield annuel vers l’investisseur. De facto, les compagnies d’assurances peuvent avoir du rendement dans leur gestion active/passive.

Même raisonnement pour les fonds d’infrastructures ?

Le succès des collectes « infra » s’explique aussi par le risque modéré et le rendement régulier de ce produit. Sur la partie fundraising, c’est l’infrastructure qui a connu le plus d’engouement cette année (14,6 milliards d’euros levés en 2018 contre 7 milliards en 2017). Bien sûr, il y a un effet de cycle avec de très grosses équipes qui se sont retrouvées sur la route au même moment. Sur les 12 milliards d’euros de capital « infra » collectés, trois sociétés de gestion représentent plus de 90 % de la levée. La réussite de ces super-fonds révèlent naturellement l’intérêt des institutionnels pour cette classe d’actifs.

Côté private equity, quels sont les points importants ?

Le chiffre de 18,7 milliards d’euros d’épargne levées est très significatif. C’est une progression de 13 % sur un an. Notons aussi l’internationalisation de la base des souscripteurs dans les fonds français : en 2018, presque la moitié des capitaux levés (48 %) l’ont été auprès d’institutionnels étrangers, alors que ce chiffre n’était que de 37 % en 2017. L’attractivité de la marque « France » s’est beaucoup améliorée depuis deux ans. Ajoutons sur ce point que certains LPs préfèrent investir vers des GPs français plutôt que vers leurs pairs britanniques en raison des incertitudes entourant le Brexit.

Certains LPs préfèrent investir vers des GPs français plutôt que vers leurs pairs britanniques en raison des incertitudes entourant le Brexit

Quant à l’identité de ces souscripteurs, on observe un léger retrait des assureurs dans les fundraisings. Cela devrait toutefois évoluer à la hausse l’an prochain, grâce à l’allègement des règles de Solvency 2 ne nécessitent plus d’avoir 22 % de fonds propres en face des engagements, contre 39 % précédemment.

Au sujet des LPs justement, les fonds de pension canadiens ont percé sur le marché du capital-investissement tricolore avec leurs propres équipes, au point d’entrer en compétition avec les sociétés de gestion sur certaines transactions. Est-ce plutôt une menace ou une opportunité pour les GPs ?

Les fonds de pension canadiens ont fait leur mue : ils ont commencé par confier leur argent aux fonds, pour ensuite co-investir à leurs côtés, et finalement conclure des deals de manière autonome. De prime abord, je crois que c’est une bonne chose pour l’écosystème français dont les entreprises reçoivent plus de capitaux, même si l’émergence des fonds de pension contribue à pousser les prix vers le haut. Investissant en direct, les fonds de pension peuvent s’affranchir du paiement des fees et du carried interest à payer aux GPs, pour enchérir avec un peu plus de poids.

Les fonds de pension canadiens ont fait leur mue

Ces nouveaux acteurs ont aussi l’avantage de pouvoir rester plus longtemps au capital des sociétés. C’est un argument de grande valeur pour des dirigeants qui craignent parfois que le fonds soit trop pressé. Par ailleurs, si les GPs peuvent s’inquiéter de la concurrence des fonds de pension sur les acquisitions, ils peuvent bénéficier a contrario de leur présence comme acquéreurs potentiels de leurs participations.

Quelle est la réponse que les GPs peuvent apporter pour justifier leur valeur ajoutée en tant qu’investisseur ?

Chez France Invest, nous recommandons l’émergence du fonds d’une durée de 15 ans (contre 10 ans traditionnellement). Cela permettrait aux GPs d’accompagner des sociétés sur une période de 10 ans plutôt que 5 ans en moyenne. C’est un travail de long terme où les LPs doivent apprendre à raisonner en multiple de sortie plutôt qu’en TRI. Faire 4 fois la mise (mais 15% de TRI) sur une participation que vous gardez 10 ans, c’est aussi bien que 60 % de TRI (et 1,5x la mise) sur une entreprise soutenue pendant 18 mois.

Faire 4 fois la mise (mais 15 % de TRI) sur une participation que vous gardez 10 ans, c’est aussi bien que 60 % de TRI (et 1,5x la mise) sur une entreprise soutenue pendant 18 mois.

Comment comptez-vous faire grossir le capital-investissement tricolore ?

Si l’on veut élargir le marché adressable, la priorité est de tuer les fausses idées sur notre secteur, et de sensibiliser les familles et les dirigeants de PME aux bienfaits de compter des actionnaires professionnels au capital.

Quelles sont les fausses idées qui circulent sur le private equity ?

Les plus récurrentes tiennent à la perte de contrôle du groupe, à la surcharge administrative qui découlera de l’arrivée d’un fonds, à l’endettement non contrôlé, au changement de management indésiré… Et pour finir, les dirigeants redoutent que les fonds forcent, à leur sortie, le majoritaire à céder à son concurrent !

Autant d’idées qui ne sont pas justifiées car les fonds recherchent le meilleur alignement d’intérêts possible entre tous les stakeholders, n’est-ce pas ?

En effet, les fonds n’entrent pas au capital d’entreprises pour tout chambouler. Leur objectif est de stimuler et d’accompagner la croissance des sociétés aux côtés des familles actionnaires. Pour ce faire, il faut tout un set de compétences allant des recommandations en matière de gouvernance à la systématisation de décisions  opérationnelles, en passant par la définition d’une stratégie de croissance externe. Tout cela donne lieu à des échanges mais in fine c’est bien le management qui devra trancher et conduire la stratégie du groupe.

On se félicite des levées de fonds records du private equity et pourtant, la poudre sèche ([les capitaux levés non investis], NDLR) s’accumule. Les sociétés de gestion ne lèveraient-elles pas trop d’argent ?

Les fonds lèvent plus d’argent que par le passé. Quelque part, le capital-investissement est victime de son succès. Tous les grands investisseurs veulent leur part de ce gâteau très rentable, peu volatile et qui, même en période de crise, fait mieux que toutes les autres classes d’actifs. Par conséquent, les LPs ont augmenté la part de leurs actifs sous gestion vers notre classe d’actifs.

Quelque part, le capital-investissement est victime de son succès.

Pour réduire la poudre sèche, il faut ouvrir le marché et trouver d’autres opportunités. Sur le modèle anglo-saxon, on pourrait assister à plus d’opérations Public-to-private (P2P). Ces retraits de cote peuvent être réalisés à des valorisations souvent plus faibles que lors des transactions sur des sociétés privées. En France, il y en a encore assez peu car la loi oblige les acquéreurs à obtenir au moins 95 % du capital avant de pouvoir faire un delisting. Légère amélioration, la loi Pacte va baisser ce seuil à 90 %.

Sur le modèle anglo-saxon, on pourrait assister à plus d’opérations Public-to-private (P2P).

Attention, ce n’est pas la Bourse contre le capital-investissement. Je suis convaincu qu’un bon marché boursier est un marché qui respire. Les sociétés seront beaucoup moins réticentes à entrer en Bourse si elles savent qu’elles peuvent en sortir aisément.

Parmi toutes ces levées de fonds records, le segment du growth capital semble encore un peu timide en France. Comment faire pour favoriser l’émergence de nos startup les plus « scalable » avec des capitaux déployés par des fonds tricolores ?

En effet, l’écosystème français manque de fonds de growth capital capables de mettre des tickets unitaires, dans des sociétés en forte croissance, de 50 à 150 M€. Nous avons trois ou quatre acteurs capables de le faire, mais il en faudrait le double. Nous incitons donc les VC early-stage français à recruter des équipes de growth capital pour réussir des fundraisings à 500 M€ ou plus.

Sur le plan réglementaire, y a-t-il de nouvelles subtilités à intégrer ?

L’extension du mécanisme d’apport-cession au monde du capital-investissement est un progrès. Il permettra à des entrepreneurs et des familles ayant vendu leurs parts dans leur société de bénéficier d’un report d’imposition à condition de réinvestir au moins 60 % du produit de cession dans des fonds de private equity dans un délai de 2 ans à compter de la date de cession. Cela devrait avoir un impact positif sur les prochains fundraisings d’équipes françaises.

Nous avons également obtenu, après des années de tentatives avortées, la mise en place d’un mécanisme fiscal attractif pour les actionnaires qui décideraient de partager une partie de leur plus-value avec les salariés

Autre mesure, dans le cadre de la fameuse loi Pacte, nous avons également obtenu, après des années de tentatives avortées, la mise en place d’un mécanisme fiscal attractif pour les actionnaires qui décideraient de partager une partie de leur plus-value avec les salariés des groupes dans lesquels ils investissent.

 

@ Firmin Sylla

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