Pour garder le groupe dans le giron de l’État, des parlementaires ont utilisé pour la première fois le procédé du référendum d’initiative partagée. Selon eux, l’opération de privatisation, peu rentable économiquement, pose des problèmes de souveraineté.

Des députés LR, Gilles Carrez et François Cornut-Gentille, qui haranguent une foule brandissant des drapeaux du PCF et de la CGT. C’est une scène originale qui s’est produite à Saint-Denis le 19 juin lors du « Meeting pour faire décoller le référendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris ». Aux côtés de ces hommes de droite, des députés aux profils diamétralement opposés battaient l’estrade : les communistes Stéphane Peu et Fabien Roussel, les insoumis Éric Coquerel et Clémentine Autain, mais aussi les socialistes Olivier Faure et Boris Vallaud.

Ce rassemblement, œcuménique pour certains, hétéroclite pour d’autres, a un objectif : empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Car c’est désormais officiel : la loi Pacte, définitivement adoptée par le Parlement le 11 avril, prévoit le désengagement de l’État du groupe Aéroports de Paris dont il possède actuellement 50,6% du capital. Avec une telle opération, la majorité souhaite récupérer près de 7 milliards d’euros. La somme ainsi récoltée devrait permettre de réduire la dette publique et d’alimenter un fonds d’investissement pour les start-up.

Référendum

Une vision des choses que ne partage pas une partie de la classe politique. Depuis deux ans, les élus de droite et de gauche ne parviennent pas à s’opposer comme ils le souhaitent aux projets d’Emmanuel Macron. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les opposants décident cette fois-ci d’utiliser une nouvelle « arme » : le RIP soit le référendum d’initiative partagée. Cette mesure, qui a été adoptée lors de la révision constitutionnelle de 2008 voulue par le président Nicolas Sarkozy, est utilisable depuis 2015. Mais pour le moment, elle est restée dans les cartons.

Le RIP permet à des députés et des sénateurs de provoquer un référendum sur le sujet de leur choix. Il faut pour cela la signature d’un cinquième des membres du Parlement, soit au moins 185 députés ou sénateurs. Mission accomplie puisque, le 13 juin, 248 signatures ont été recueillies. Une seconde étape importante reste à remplir pour pouvoir soumettre la question de la privatisation d’Aéroports de Paris au référendum : obtenir le soutien d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Soit 4,5 millions de citoyens.

Le 20 juin, la campagne de récolte de signatures est lancée. Une semaine plus tard, 386 693 électeurs ont signé, soit 8,20% du total requis. En date du 1er juillet 2019, 466 000 citoyens ont apporté leur soutien, soit 10% du total requis. Pour que le référendum puisse voir le jour, la jauge de 100% doit être remplie le 12 mars 2020. Au rythme actuel, le cap sera atteint en décembre 2019. Pour tenir le rythme, les parlementaires opposés au projet tentent d’expliquer au plus grand nombre leurs griefs contre le projet défendu par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.

Souveraineté nationale

Ils estiment notamment qu’un aéroport, étant donné son objet, ne peut pas tomber entre les mains d’acteurs privés. Dans leur message appelant au référendum, ils expliquent qu’il s’agit « d’un outil stratégique de politique économique (…). Cette vision est partagée par la plupart des pays européens pour lesquels les aéroports restent la propriété de la puissance publique ». Certains dénoncent la perte de souveraineté que peut constituer l’opération. Même si, en réalité, le contrôle des frontières restera sous le contrôle de l’État.

Pour étayer leurs arguments, les initiateurs du référendum citent le cas de l’aéroport de Toulouse Blagnac privatisé en 2015 et dont la majorité appartient à un consortium chinois. Une opération qualifiée par la Cour des comptes dans un rapport de novembre 2018 de « stratégie d’influence de la puissance chinoise ».

Un « bijou de famille » convoité

D’autres voix s’attaquent à la pertinence de l’opération économique. Selon eux, le gain de la cession ne vaut pas la peine de se délester d’infrastructures qui représentent 12,6% des participations boursières de l’État. D’autant plus, que si la société est cédée 7 milliards, cela ne représente que 0,3% du montant de la dette hexagonale.

Le chiffre d'affaires d'ADP était de 4,5 milliards d'euros en 2018 contre 2,7 milliards en 2013

Une chose est certaine, en cas de privatisation, de nombreux investisseurs seront sur les rangs. Aéroports de Paris qui regroupe les aéroports de Roissy (72,2 millions de passagers en 2018), Orly (33,1 millions de passagers sur la même période) et Le Bourget est en effet une entreprise attractive. En plus d’être le plus gros propriétaire foncier d’Ile-de-France, ADP possède 386 boutiques. Et le groupe se porte financièrement bien. Son chiffre d’affaires qui était de 2,7 milliards d’euros en 2013 est de 4,5 milliards d’euros en 2018. Une poule aux œufs d’or qui pourrait faire des envieux… Ou inciter l’exécutif à revenir sur sa position. Le Canard enchaîné du 26 juin rapporte qu’Emmanuel Macron pourrait revenir sur un projet qu’il estime « pas compris par l’opinion publique » et « impossible de mener à bien ». Le feuilleton n’a pas fini de faire parler de lui.

Lucas Jakubowicz

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