Emmanuel Macron s'est adressé lundi à la nation pour fixer le cap des semaines à venir. Beaucoup de questions se posent encore sur le déconfinement. Comment les entreprises vont-elles pouvoir reprendre leur activité ? Les réponses gouvernementales seront-elles suffisantes ? Fabrice Le Saché, porte-parole et vice-président du Medef, et président fondateur d’Aera Group, répond à Décideurs.

Décideurs. Quel est le moral des dirigeants d’entreprise ? Peut-on parler de choc psychologique ?

Fabrice Le Saché. C'est un choc tout court. Un choc sanitaire tout d'abord, un choc économique ensuite – même si nous essayons de tout faire pour qu’il ne se transforme pas en cataclysme pour tous – puis enfin évidemment un choc psychologique. Il y a eu un effet de sidération peut-être lié à une sous-évaluation collective de cette pandémie. La prise de conscience s'avère d'autant plus marquante et choquante qu'elle a conduit à un arrêt quasi total de l'activité dans certains domaines, comme l’hôtellerie, l’ameublement, l'automobile, ou encore l'événementiel. D'autres secteurs, comme l''agro-alimentaire et l'industrie pharmaceutique fonctionnent à plein, les banques ou les télécoms sont par exemple opérationnels.

Comment les dirigeants réagissent-ils ?

Des multiples contacts que j’ai pu avoir, je constate un état d'esprit assez combatif. Peut-être celui-ci est-il lié à une sorte d'adrénaline de l'action dans une situation d’urgence inédite. Mais comment cela va-t-il évoluer avec le temps ? Comment gère-t-on dans la durée de tels niveaux de stress et d’intensité ? C'est pour cela que certains Medef territoriaux mettent en place des cellules psychologiques que les chefs d'entreprise peuvent contacter.

La reprise sera difficile : les entreprises auront été sévèrement fragilisées, elles seront endettées, les carnets de commandes ne seront probablement pas remplis et la chaîne d'approvisionnement pourrait être durablement désorganisée. La plupart des activités ne reprendront pas d'un coup. Le défi c'est de faire revenir sur leur lieu de travail les salariés avec les moyens de protection adaptés, et dans le dialogue social via des accords de branche ou d'entreprise. Il va aussi falloir repenser les chaînes de valeur à l'échelle internationale.

Quelle pourrait être la suite des événements ?

La crise actuelle est une guerre logistique. On le voit pour l’hôpital qui a besoin des équipements nécessaires pour gérer la partie sanitaire : masques, gels hydroalcoolique, blouses, visières, tests, etc. Notre réussite en matière logistique sera un facteur qui permettra d'attenuer l'impact économique. Si nous disposons d'équipements en nombre suffisant et que ceux-ci sont déployés rapidement dans les entreprises, alors la reprise en sera facilitée.

Comment le Medef et ses adhérents agissent-ils ?

De façon pragmatique. Nous recensons les différents besoins dans le secteur privé. Nous avons réussi à faire en sorte que les réquisitions tombent pour les produits importés. Nous visons l’autonomie des équipements : 400 PME dans le domaine du textile fournissent des masques ainsi que des blouses et un certain nombre de grand groupes livrent des masques FFP2 et 3. Par ailleurs, Bercy a mis en place des plateformes de mise en relation afin que les entreprises puissent se fournir de façon sécurisée car il y a un certain nombre de pièges à éviter en matière de commande d'équipements.

Quelles sont les bonnes pratiques pour un retour au travail ?

Il faut prendre en compte la spécificité des métiers. Je pense à la construction par exemple : un chantier nécessite des protocoles de sécurité particuliers. La réponse ne peut donc pas être unique. Nous avons contribué aux guides qui ont été publiés par le ministère du Travail. Il y avait 15 fiches métiers, il va y en avoir 20 supplémentaires cette semaine. Ensuite, le dialogue avec les partenaires sociaux va être clé pour la reprise du travail.

Un certain nombre de Medef régionaux, dont les Hauts-de-France, les Pays de la Loire et le  Grand Est, ont signé des déclarations communes avec les syndicats. Un travail considérable est abattu et maintenant ces bonnes pratiques doivent être déployées dans les entreprises. Nous sommes heureux de voir que, dans certaines d’entre elles, des accords entre les employeurs et les syndicats sont annoncés, comme cela est le cas pour PSA. Sur la sécurité des salariés, il y a aussi la question de la responsabilité de l’employeur. Les directives doivent être claires afin que leur responsabilité ne soit pas engagée plus tard.

Quel est votre regard sur les actions gouvernementales françaises ? Sont-elles suffisantes ?

Il s’agit de mesures d’urgence, un garrot pour stopper l’hémorragie. Le premier paquet de mesures inclut entre autres un report de charges sociales et impôts directs, le recours au chômage partiel et les prêts garantis par l’État. Ces trois leviers seront-ils suffisants ? Nous le verrons à l'usage. Pour le moment nous sommes entierement concentrés pour assurer leur déploiement et vérifier leurs impacts immédiats. Si la situation l'exige il faudra aller plus loin, notamment pour la relance.

Pensez-vous que les évolutions législatives d’urgence seront pérennes ?

Il s'agit de mesures d'urgence prises pendant la crise pour y répondre. Elles n'ont pas vocation à perdurer. Si évolutions il doit y avoir à terme, ce devra être discuté par les partenaires sociaux et avec l’État. 

On peut saluer les évolutions fortes sur le chômage partiel. En France les salariés sont mieux protégés que d'autres pays comme les États-Unis par exemple. Cela permet aux entreprises de garder les compétences pendant cette période difficile et de conserver leurs effectifs pour la reprise… Aux États-Unis, la crise est plus violente car il n'y a pas de filet de sécurité mais les entreprises ont la possibilité de s'adapter du jour au lendemain. Cette situation peut être très violente pour les salariés. Néanmoins, cette capacité d'adaptation offre plus de flexibilité aux entreprises qui, à l'inverse, embaucheront plus rapidement une fois la crise passée.

"L'Europe a répondu présente. Elle peut améliorer encore certains points"

La réaction européenne vous satisfait-elle ?

Les ministres des Finances ont trouvé un accord. 500 milliards d'euros : c'est un stimuli à la hauteur des enjeux. L'Europe a répondu présente. Elle peut améliorer encore certains points. Les actions de confinement et de déconfinement ne sont pas extrêmement coordonnées à ce stade. Sans parler de la problématique des équipements et de la logistique sanitaire. L'Italie est restée seule pendant trois semaines alors que le problème est viral et doit être traité très rapidement. 

Certes, il y a eu des gestes bilatéraux, de pays par exemple qui soignent des malades d’autres États membres mais l’Europe en tant que telle n’a pas brillé par sa coordination sanitaire. Il y a aussi eu un problème de communication. Nous n'avons pas su ou voulu communiquer sur notre aide à la Chine. C'est une erreur. Il faut dire ce que nous faisons.

Et sur le plan monétaire ?

C’est la Banque centrale européenne qui agit. Elle l’a fait très rapidement. Elle prend ses décisions de façon indépendante. 

Hormis la trésorerie, quels pourraient être les besoins des entreprises à plus long terme ?

Dans une phase de relance, les entreprises, qui voudront investir et seront déjà endettées, auront besoin de fonds propres et probablement de mesures permettant une recapitalisation. Il y aura aussi une réflexion sur les leçons de cette crise sanitaire. Nous n’avons pas connu de choc économique aussi violent depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous nous dirigeons probablement vers la fin d’un capitalisme fondé sur le pilier consumériste. Des problématiques, comme celles du climat ou de la souveraineté, sur lesquelles le Medef travaillent déjà, vont être prégnantes. Sur la relocalisation, nous demandons depuis longtemps une réduction des impôts de production pour le produire en France. Va-t-on désormais être entendus ? Sur le climat, il faut une mobilisation forte pour accélérer la transition écologique qui est une transformation économique profonde. Le dérèglement climatique pourrait être un Covid fois 1 000 sans retour en arrière et sans vaccin possible.

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