Entre conseiller en gestion de patrimoine, banquier privé et family officer, les limites entre chaque expert sont parfois difficiles à cerner, jusqu’à amener le client à s’orienter vers le mauvais partenaire. Marie-Noëlle de Pembroke, fondatrice de Pembroke Family Office, Guillaume Lucchini, fondateur de Scala Patrimoine et Stéphane de Vaulx, Responsable du développement commercial à la Société Générale Private Banking, reviennent sur les opportunités et les obstacles de leur complémentarité.

Décideurs. Quels sont vos parcours respectifs ? 

Marie-Noëlle de Pembroke. J’ai commencé ma vie professionnelle en Afrique, puis j’ai travaillé pendant sept ans sur les chantiers d’immobilier d’entreprise chez Auguste Thouard. Pour instaurer des relations durables avec les familles, cœur de mon engagement de société, j’ai fait le choix de basculer vers la gestion de fortune à la Banque du Louvre puis, durant seize ans, chez Neuflize OBC. En 2009, j’ai créé Pembroke Family Office à la demande de deux grandes familles entrepreneuriales. Leurs attentes :  être accompagnées dans leurs tournants de vie et leur mutation intergénérationnelle, avec un rôle de médiation et de maïeutique, pour les aider à murir leur vision. Nous mettons ensuite en œuvre la structuration et la diversification patrimoniales au service de cette finalité des patrimoines. Par ailleurs, je suis administrateur et membre des comités d’audit et des risques d’AXA Partners et IPA. À titre personnel, je suis présidente des Entrepreneurs et des Dirigeants chrétiens de Paris. Être engagée au service du bien commun est un sujet important pour les familles que j’accompagne.  

Stéphane de Vaulx. Cela fait vingt-deux ans que je travaille au sein du groupe Société Générale. J’ai d’abord travaillé en asset management à Paris et aux États-Unis, puis j’ai rejoint la banque privée il y a environ quinze ans. J’ai dirigé les équipes de sélection de fonds (private equity, fonds alternatifs et fonds long only) pour l’ensemble des entités de Société générale Private Banking, puis j’ai travaillé sur le développement des gestions internes, pour finalement prendre la responsabilité du développement des partenaires externes : CGPI et family offices.  

Guillaume Lucchini. J’ai d’abord commencé mon parcours en accompagnant des artistes et des collectionneurs d’art sur les problématiques de droit et de gestion du patrimoine. En 2011, Primonial m’a proposé de rejoindre ses équipes en intégrant notamment sa filiale dédiée aux sportifs de haut niveau "Sport Invest". C’est à ce moment-là que j’ai découvert le métier de conseiller en gestion de patrimoine. Quelques années plus tard, en 2014 après la cession du groupe Primonial à Crédit Mutuel Arkéa notamment, j’ai décidé de créer Scala Patrimoine, un cabinet de conseil reposant sur un modèle 100 % honoraires comme les cabinets d’avocats et apportant un accompagnement à 360 degrés. L’un des sujets qui nous tient le plus à cœur est celui de la finance responsable. Nous souhaitons faire notre métier comme on aime le pratiquer, c’est-à-dire avec du sens, au contact des personnes et avec un modèle où le client se sente chez lui. La richesse de notre métier repose également sur la pluridisciplinarité de la matière. Nous intervenons aux côtés de nos clients dans des domaines aussi variés que le droit, la finance, la fiscalité, l’immobilier ou le mécénat. Les personnes que nous accompagnons se confient sur leur vie professionnelle, mais aussi personnelle. Au fil du temps, une relation de confiance se crée. Tout ceci rend notre métier passionnant.    

Comment définiriez-vous les métiers de CGP et MFO ?  

S. de V. Il est important de noter que d’un strict point de vue réglementaire, rien en France ne différencie un CGP d’un family office (à la différence du Luxembourg par exemple). L’Affo dispose d’une charte portant notamment sur le business model avec un mode de rémunération très largement aux honoraires (rémunération d’une prestation de conseil) qui se distingue de celles des CGP, souvent majoritairement basée sur des rétrocessions (rémunération basée sur le produit). Par ailleurs, l’étendue des services diffère souvent avec pour les MFO un accompagnement global et familial au-delà des considérations financières ou fiscales.   

M-N. de P. Le CGP tient souvent un rôle axé sur la dimension patrimoniale ou l’allocation d’actifs. Ce qui différencie les family offices de la majorité des CGP, c’est l’ampleur des domaines d’intervention, la taille des patrimoines suivis, le mode de rémunération et donc leur indépendance. En tant que family office, l’accompagnement familial concerne des patrimoines importants et complexes, dont les enjeux sont multiples. Chez nous, l’expertise patrimoniale sert le travail en amont sur la recherche de cohésion et de cohérence de vision qui sont des missions en tant que tel. Il se décline en accompagnement intergénérationnel, montée en puissance et formation des jeunes dans les entreprises familiales, transmission, organisation, diversification et sécurisation des holdings de détention, etc.

"L’accompagnement familial concerne des patrimoines importants et complexes, dont les enjeux sont multiples"

Ce travail exige un regard averti sur un nombre de sujets tellement large qu’il requiert la participation de professionnels experts.  

G. L. Dans l’appellation "conseil en gestion de patrimoine", les mots conseil, gestion et patrimoine ont un sens large. Dans le sens littéral du terme, Scala fait du conseil en gestion de patrimoine. Cependant, bien souvent, un CGP est courtier et la partie patrimoine renvoie à l’allocation d’actifs.

"Ce flou peut malheureusement induire les clients en erreur"

Les termes CGP et FO ne sont, à mon sens, pas assez bien encadrés. Leur utilisation est parfois même galvaudée. Il pourrait être, à mon avis, pertinent de réglementer davantage l’exercice de ces métiers et d’apporter une définition beaucoup plus claire des missions attendues par chacun d’entre eux. Ce flou peut malheureusement induire les clients en erreur. Certains estiment d’ailleurs que la qualité d’un cabinet de gestion de patrimoine s’évalue en fonction de ses encours ! Suivant cette logique, si demain, nous nous mettons à classer les restaurants au nombre de clients qu’ils reçoivent chaque jour, la chaîne McDonald’s serait le roi de la gastronomie en France. L’avenir est donc à la redéfinition de la valeur ajoutée que nous attribuons à ces cabinets. 

Quelles sont vos convictions en matière de rémunération ? 

M-N. de P. Lorsque j’ai créé Pembroke Family Office, il était déjà question de supprimer les rétrocessions dans la profession. J’ai fait le choix, dès le début, d’être uniquement rémunérée par le client, que je sers exclusivement. Je ne perçois donc aucune rétrocession, ni commission d’apports. C’est une question philosophique et éthique radicale. Elle offre une véritable liberté de choix des partenaires en fonction de leur ajustement à la famille. Dès lors que les deux systèmes de rémunération cohabitent au sein d’une même structure, les clients sont perdus.  

G. L. Le travail d’une très large majorité de CGP est de proposer à ses clients des placements financiers pour être rémunéré en tant que courtier. Cette mission est, bien sûr, en concurrence frontale avec l’offre de service d’un établissement bancaire. Si nous prenons du recul, nous constatons que ce modèle de rémunération ne favorise pas le travail en interprofessionnalité. À l’inverse, une rémunération à 100 % en honoraires est le socle d’un modèle beaucoup plus vertueux. Lorsque nous souhaitons travailler avec un notaire ou un avocat et que nous leur précisons que nous ne sommes pas rémunérés sur le produit vendu, mais sur le conseil apporté, ils nous intègrent alors directement dans leur écosystème. Je regrette toutefois que les CGP se rémunérant en totalité aux honoraires se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main. 

Quelle est votre point de vue sur la complémentarité des acteurs du patrimoine ? 

G. L. Nous travaillons main dans la main avec de nombreuses banques privées, notamment pour les clients résidant à l’étranger. Si nous voulons offrir un accompagnement de qualité, il est primordial d’être accompagné par une banque. Pour cela, il faut travailler avec un acteur sur qui nous puissions compter. La confiance s’installe également du côté des banques, en leur montrant que nous sommes capables de nous inscrire dans une logique de partenariat.  

M-N. de P. J’ai choisi l’agilité et l’interprofessionnalité pluridisciplinaire avec des partenaires de confiance éprouvés dans la durée. Ma démarche flexible me permet la constitution rapide et sur mesure d’équipes polyvalentes que je coordonne. J’affecte de façon ciblée, ajustée et pertinente les ressources nécessaires à chaque intervention : coach, psychologue, avocats, notaires, banquiers, sociétés de gestion, experts en œuvres d’art… Les clients le ressentent tout de suite et apprécient ce maillage fiable avec des professionnels qui leur correspondent. 

" Le partenariat avec les banques est fondamental, bien utilisé il peut emmener l’accompagnement très loin"

Le partenariat avec les banques est fondamental, bien utilisé il peut emmener l’accompagnement très loin. Ce que j’apprécie dans l’univers de la banque privée est la variété de profils et sa capacité à fédérer les techniciens experts. Au-delà de la technique, cela permet d’adapter le profil de l’interlocuteur au client. Ces équipes viennent apporter la solidité à l’approche dossier.  

S. de V. La complémentarité vient de l’intérêt du client. Si nous plaçons tous cela au cœur de notre stratégie, les processus deviennent naturels. À partir du moment où nous sommes conscients du positionnement et de la valeur ajoutée de chacun, il n’y a aucun problème de concurrence. Tout ce que nous ferons ensemble nous enrichira et enrichira le client. Il y aura toujours un moyen de faire coïncider les modèles.  

Quels sont les freins à cette complémentarité ? 

G. L. Certaines banques sont parfois craintives à l’idée de travailler avec des cabinets de gestion de patrimoine. J’ai aussi la conviction qu’avoir un bon banquier est un luxe. La relation bancaire est importante et, à ce niveau-là, un vrai travail de fidélisation doit s’enclencher de la part des banques, notamment sur les problématiques de turnover. 

S. de V. L’une des difficultés tient sans doute au fait qu’au sein même des CGP et des MFO coexistent de nombreux modèles d’affaires souvent liés à la personnalité des fondateurs. Il n’est donc pas simple pour un établissement bancaire de se positionner. Pour que cela fonctionne, les banques doivent adapter leurs modèles en intégrant les conseillers et expliquer l’intérêt de travailler ensemble. Personnellement, je suis convaincu que ces relations sont faites pour marcher, à nous d’être suffisamment pédagogues pour aller plus loin. Il y a un pas à faire de chaque côté. Pour qu’il y ait complémentarité, il faut une flexibilité dans les modèles, de l’estime et une grande confiance réciproque.  

Quid du conflit d’intérêt ? 

M-N. de P. La vie professionnelle s’inscrit dans des partenariats. Ce que les clients attendent, c’est un garant d’efficacité et de probité et un vrai gain de temps pour chaque partie prenante. Le service exclusif du client, sans aucun lien de rémunération de partenaires, nous protège grandement de ce risque de conflit d’intérêt. Le conseil au client dans ses décisions, d’arbitrer ses actifs, de réaliser une donation, de vendre un immeuble, n’est donc impacté par aucun biais. 

S. de V. Les family offices bancaires, avec qui nous avons l’habitude de travailler, sont très intègres. Parfois, il peut y avoir  un conflit d’intérêt naturel qui ne pose pas de difficulté à partir du moment où il est bien identifié et géré, et nous n’avons jamais eu de problème avec ce type d’acteurs.  

G. L. Nous sommes dans des métiers qui sont structurellement empreints aux conflits d’intérêts potentiels. L’important est de pouvoir bien les identifier, les structurer et être transparent.   

Propos recueillis par Marine Fleury 

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