Pour rompre définitivement avec les accusations d’antisémitisme, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella a cherché à investir dans des circonscriptions gagnables des candidats considérés comme juifs. Tous ont refusé. Bien leur en a pris vu la tournure de la campagne…

"Le RN vient de me contacter pour me proposer une circonscription gagnable aux législatives, je fais quoi ?" Plusieurs personnalités se sont posé cette question dans les heures qui ont suivi l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Leurs points communs ? Jeunes, jamais investis en politique, intelligents, médiatiques, plutôt positionnés à droite, engagés contre l’antisémitisme venu de LFI et… juifs.

Dissolution oblige, les partis doivent trouver en urgence des candidats pour les législatives. À cette époque, le RN rêve encore d’une majorité absolue et d’un gouvernement dirigé par Jordan Bardella. Les "RH" du parti émettent une idée : réserver des circonscriptions plutôt favorables à des personnalités identifiées comme juives.

Sur le papier, jamais le terrain n’a paru aussi propice. Le "dog whistle" antisémite des Insoumis effraie la communauté juive qui se droitise peu à peu, certaines personnalités comme Serge Klarsfeld ont cessé de diaboliser le parti de Marine Le Pen. Le RN veut profiter de la séquence pour ranger au rayon antiquités son passé antisémite. Pour cela, rien de mieux que de mettre en avant des candidats présentés comme juifs. Décideurs Magazine est en mesure d’affirmer qu’au moins trois personnalités plutôt médiatiques ont été sondées.

Des profils supposés "RN-compatibles"

La première est la journaliste et essayiste Noémie Halioua qui, en théorie, aurait pu être une recrue de choix. Passée par la rédaction d’I24News et de Factuel, contributrice régulière au Figaro Vox, habituée des plateaux de CNews et de Sud Radio, elle dénonce avec force l’antisémitisme venu de l’extrême gauche. Elle est également autrice de plusieurs ouvrages. Dans Les uns contre les autres - Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé, elle dénonce l’antisémitisme, le communautarisme et l’exode intérieur des juifs des banlieues populaires. Plus récemment, elle a publié l’essai remarqué La terreur jusque sous nos draps où elle s’en prend aux dérives du féminisme actuel coupable, selon elle, de tuer l’amour.

Seconde cible, Samuel Fitoussi. À l’instar de Pierre Valentin, Nora Bussigny ou encore Eugénie Bastié, le jeune homme fait partie des intellectuels qui pointent les dérives d’un certain progressisme de gauche dans des chroniques enlevées et ironiques publiées dans Le Figaro. Il est notamment l’auteur de Woke fiction, comment l’idéologie change nos films et nos séries, un essai stimulant sur les effets de l’idéologie woke sur la création artistique. Lui aussi pourfend la nouvelle orientation de LFI qui, sous couvert de défendre les Palestiniens, propage l’antisémitisme en France.

Le RN a également tenté de miser sur Michael Sadoun. Comme les deux profils précédents, il intervient régulièrement sur CNews, Sud Radio ou dans Figaro Vox. Autant d’indices laissant penser aux stratèges du RN qu’il pourrait porter leurs couleurs, même s’il se présente comme gaulliste sur les réseaux sociaux. Dans les trois cas, le mouvement de Marine Le Pen est persuadé qu’il y a moyen de conclure. Une opération de séduction commence…

Jordan Bardella en personne et le député Alexandre Loubet ont été les chevilles ouvrières de l'opération

Flatteries et circonscriptions gagnables

Jordan Bardella lui-même s’est fendu de SMS flatteurs à au moins l’un des trois intéressés. Le "débauchage" a été mené par le député de Moselle Alexandre Loubet qui a pratiquement le même âge que les intéressés et de nombreuses connaissances en commun.

Pour rallier les cibles, plusieurs circonscriptions sont proposées. Si elles ne sont pas en or massif, elles offrent des perspectives de victoire. L’état-major du parti a réservé deux circonscriptions à ses "candidats juifs". La première est la 1re du Var qui correspond au centre de Toulon. Des huit circonscriptions du département, c’est la seule où Emmanuel Macron a fini en tête au second tour de la présidentielle (51,76%). C’est aussi la seule qui n’ait pas été remportée par un candidat RN aux législatives de 2022 puisqu’elle est détenue par le macroniste Yannick Chenevard, proche de Hubert Falco, maire de droite Macron-compatible de la préfecture varoise. Le RN juge le bastion prenable et compte confier sa conquête à un rallié.

Autre point d’atterrissage prévu par l’entourage de Jordan Bardella : la 7e du Nord. Véritable "swinging circo", elle oscille entre droite et gauche depuis des décennies, comprend l’ouest de Roubaix ainsi que des communes plus aisées telles que Wasquehal, Hem, Lannoy ou Croix. Le RN, arrivé en tête dans toutes les communes aux européennes (sauf Roubaix ouest) y nourrit des ambitions.

Parmi les circonscriptions proposées, la 1re du Var et la 7e du Nord

Niet, niet et niet

Les candidats visés ont donc le marché en main : un siège probable contre un ralliement qui sera exploité pour sa portée symbolique. Le RN est parvenu à convaincre certaines figures médiatiques de se porter candidat. C’est le cas de l’avocat Pierre Gentillet dans le Cher, du sondeur Jérôme Sainte-Marie dans les Hautes-Alpes, du magistrat Charles Prats en Haute-Savoie ou encore de l’essayiste Guillaume Bigot dans le Territoire de Belfort.

Mais les "Juifs", eux, ont tous décliné. L’un a répondu directement non. Les deux autres ont réfléchi quelques jours avant de refuser: même si l’élection semblait à l’époque quasi certaine, "l’après Assemblée nationale" serait difficilement négociable et l’étiquette RN marque à vie. Les bardello-lepénistes ont fait chou blanc, ce qui montre sa difficulté à séduire les membres d’une communauté qui, si elle rejette la gauche, ne plébiscite pas pour autant la droite nationaliste.

En examinant les résultats des législatives, observons que les deux circonscriptions gagnables n’ont pas été conquises. Dans le Var, Yannick Chenevard a bénéficié du front républicain pour garder son siège dans le cadre d’un duel avec le candidat RN finalement investi, un policier passé par la Bac Nord de Marseille. Dans le Nord, la sortante Félicie Girard (Horizons) a elle aussi assuré sa réélection dans une triangulaire face à une jeune collaboratrice du Parlement européen. Hormis Guillaume Bigot, élu sur le fil, les prises de guerre du RN ont toutes perdu.

Les refus ont permis d’éviter aux trois personnalités de faire campagne aux côtés de candidats tels que Ludivine Daoudi qui pose sur Facebook avec une casquette d’officier nazi, de Laurent Gnaedig qui affirme que les propos de Jean-Marie Le Pen sur la Shoah déclarant que "les chambres à gaz sont un détail de l’Histoire" relèvent de la simple "erreur de communication". En revanche, leur présence aurait été vue d’un bon œil par Paule Veyre de Soras, candidate en Mayenne. Après tout, elle n’est pas antisémite, puisque son "ophtalmo est juif"

Lucas Jakubowicz

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail