Le legal design : un tournant pour les juristes
Le legal design est un phénomène mondial en plein essor qui se développe en France à travers des ateliers, expositions, conférences, organisés par de nombreux acteurs du monde du droit.C’est dans ce contexte que s’est tenue le 9 septembre dernier la deuxième édition du Legal Design Exhibition, lancée par Marie Potel-Saville, fondatrice de Amurabi, première agence française de conseil aux entreprises dédiée au legal design à s’être installée en France. Une exposition qui traduit la volonté de l’organisatrice de promouvoir ce concept encore nouveau, tout en rappelant la place devenue centrale de l’utilisateur, expression utilisée pour parler des destinataires de ce service dans le jargon technique.
Combler le fossé
Présenté comme une solution innovante face à la rigidité du droit, le legal design s’inscrit dans une démarche de transformation digitale du droit. Les juristes collaborent désormais avec des designers afin de présenter la matière juridique sous forme visuelle, plus accessible et intelligible que des textes. Une révolution dans la manière dont les juristes et avocats présentent et offrent leurs services. « En droit, le professionnel a une posture d’autorité, souligne Karl Pineau, cofondateur du collectif des Designers Éthiques. Avec le design, c’est le contraire : il faut s’effacer et laisser la place aux utilisateurs. »
Une posture observée également par l’avocate Sophie Lapisardi : « Ce qui change, c’est la prise en compte des besoins du client dans une vision horizontale de la relation client-avocat. » La spécialiste du droit public a entièrement intégré le legal design dans sa pratique. Autre avantage de cette méthode : la mise en image permet de combler le fossé avec les non-initiés au droit qui bénéficient ainsi d’une simplification de la règle juridique.
Empathie et créativité
Le legal design est souvent résumé de façon réductrice à la présentation d’images ou d’objets sous une forme esthétique. C’est l’idée que propagent les détracteurs de ce nouvel outil : l’expertise du juriste serait ainsi occultée voire niée. C’est un tort. En réalité, cette manière de penser et concevoir le droit impose un travail rigoureux et complet qui nécessite des compétences pluridisciplinaires au-delà de l’effet visuel. « Le legal design, ce n'est pas seulement des schémas ou des pictogrammes, souligne Sophie Lapisardi. C’est un état d'esprit et une méthode qui va au-delà de l'esthétique ou de la simplification. Le travail juridique est complet. » Le spécialiste du droit rajoute à son expertise deux éléments essentiels du « design thinking », cette gymnastique intellectuelle visant à se mettre à la place de son interlocuteur afin de comprendre ses besoins : l’empathie et la créativité. L’expertise ne suffit plus. Le juriste doit être capable de cerner les attentes de l’utilisateur et d’y répondre avec clarté, concision et efficacité. Il développe ce que l’avocate en droit public nomme les « soft skill : des compétences comportementales, transversales et humaines qui nous permettent d’évoluer et de nous adapter dans un contexte en constante évolution. C’est l’art de nouer et développer des relations positives, constructives et fructueuses avec d’autres personnes », le plus souvent non-juristes.
« Avec le legal design, le directeur juridique présente une maquette à ses opérationnels ou à sa direction compréhensible par tous », résume Sophie Lapisardi. Reste que si le legal design peut s’appliquer à n’importe quel document ou procédure juridique, n’importe quel juriste n’est pas fait pour le legal design.
Yannick Tayoro et Romane Gagnant