Considérations juridiques, pratiques et monde d’après sur le marché du LBO en private equity… Marie Pouget, associée chez Racine, dresse le bilan de deux ans à vivre avec la pandémie, période durant laquelle la pratique a dû s’adapter et parfois faire preuve d’imagination et de dextérité afin de closer les deals.

Décideurs. Qu'appelle-t-on LBO ? Il existe différents types d’opérations…

Marie Pouget. Le concept générique de LBO est de constituer une holding et de l’endetter afin d’acquérir une cible, avec un triple effet de levier financier, juridique et fiscal. Le principe peut se décliner en différentes opérations, telles que l’OBO ou Owner-buyout, qui est une sorte de LBO sur soi-même, ou encore le MBO ou MBI pour Manager buyout ou buy-in, où des managers externes viennent intégrer l’entreprise cible. Nous sommes le plus souvent auprès des fonds, dans leur acquisition de sociétés et de mise en place de LBO, en agissant main dans la main avec le fiscal et le financement, et, comme pour toute opération d’acquisition d’une certaine taille, le social et l’antitrust. Nous les accompagnons également durant la vie du projet, notamment lors de build-up ou en cas de difficultés ou de restructuration de dette, et à la sortie, qui se réalise en moyenne quatre à six ans après.

Comment la pandémie a-t-elle interrogé la pratique dans les opérations de LBO ?

Nous distinguons quatre phases. La première, de mars à mai 2020, fut celle du premier confinement dur. Juste avant, nous étions dans un marché du LBO pro-seller : celui qui avait le pouvoir était le cédant. Les rapports de forces étaient intenses, parfois à hauteur de plus de huit acquéreurs potentiels pour une cible. Cela impliquait des deals fermes avec un prix fixe en locked box, et très peu de conditions suspensives ou de garanties.

Plusieurs questions se sont posées au premier confinement, notamment entre le signing et le closing de deals, et dans des secteurs directement impactés. En avril 2020, une série d’articles sont publiés sur le thème "Comment casser une opération ? Peut-on recourir à la force majeure ou à la notion d’imprévision de l’article 1195 du Code civil ?" Des interrogations ont également émergé sur le retour des clauses MAC (Material Adverse Change), souvent utilisées en M&A industriel mais peu en LBO. Au-delà de casser les opérations signées mais non réalisées, s’est posée la question des délais d’exécution sur les deals à réaliser, avec un droit applicable ultra-mouvant. Pour les opérations en cours, non encore signées, avec des négociations et due-diligences lancées et des frais engagés, la question était de pouvoir les suspendre, soit pour les reporter, soit pour les geler complètement, sans courir un risque de rupture abusive des pourparlers.

Qu’en est-il des deals réalisés ?

D’un point de vue pratique, et pour les opérations menées jusqu’au bout, nous avons tous vécu collectivement une révolution, la signature électronique dans les closings de LBO. La digitalisation avait déjà commencé en venture, mais la problématique du LBO est qu’il y a de la dette, à imbriquer avec l’equity. Cela fait intervenir des acteurs comme les prêteurs, et devient complexe juridiquement avec le jeu des conditions suspensives.

"Nous avons vécu collectivement une révolution, la signature électronique dans les closings de LBO"

En outre, la signature dématérialisée doit être particulièrement bien organisée car il y a une problématique d’horodatage, les documents devant être signés dans un ordre bien précis. Un "plan de signature électronique" a donc dû être mis en place afin de guider ce processus. Ce nouveau document, désormais inclus dans tout closing, est un bon acquis.

Que s’est-il passé sur le deuxième semestre 2020 ?

À partir de juin 2020, nous avons assisté à une frénésie d’opérations, une accélération, en quelque sorte un effet rattrapage, voire une précipitation avec la peur d’un éventuel reconfinement à l’automne. Nous retrouvions alors une situation pré-covid, mais en plus rapide et plus fort. Du point de vue juridique, toutes les questions nées du premier confinement sur la fermeté des deals et la protection accrue des acquéreurs sont passées aux oubliettes, afin de réaliser les deals le plus vite possible.

"Ce qui fait le succès d’une opération, c’est l’humain"

Sur le plan pratique, il a fallu faire preuve d’agilité et de résilience, en particulier pour les closings de fin d’année 2020, et notamment ceux faisant intervenir différentes juridictions – par exemple un fonds dont une partie des équipes d’investissement est basée à Londres, qui a des structures au Luxembourg ou aux Pays-Bas, procédant à l’acquisition d’une cible française. Ajoutez à cela les restrictions de transports, les cas contact ou positifs, les jauges dans les salles de réunion… Par ailleurs, ce qui fait le succès d’une opération, c’est l’humain. Le tout-Teams ne marche pas très bien. Il faut une unité de lieu, de temps et de personne, particulièrement sur les derniers mètres. L’informel a son importance également.

Nous arrivons à début 2021…

Pour la première moitié de 2021, c’est l’année faste. Nous repartions à la conquête du marché, sans être dans un sentiment de rattrapage. Le marché tournait à plein, les actifs de qualité toujours très disputés. La concurrence s’est élargie avec, en plus du private equity "classique", des fonds d’infrastructure ou même les corporates entrant en jeu. L’acquisition d’Orolia par Safran auprès d’Eurazeo annoncée fin 2021 en est un exemple. Plusieurs fonds LBO étaient positionnés dessus. Finalement, le corporate l’a emporté.

Sur le plan juridique, nous avons tiré les leçons de 2020 dans la documentation en y intégrant des améliorations pratiques. Les closings semi-physiques ont des impacts sur la structuration juridique des opérations et la rédaction des documents y afférents comme les procès-verbaux d’assemblée. Les entrées et sorties en séances, la feuille de présence devant être signée à des heures précises, etc. Le temps est donc à la répercussion dans la documentation juridique des impacts pratiques de la crise sanitaire. À fin 2021, le marché est épuisé mais néanmoins toujours très actif avec, à l’horizon l’année 2022, mais dans une atmosphère ankylosée. C’est le contrecoup du succès.

Quid du monde d’après ?

Au-delà de la digitalisation qui s’est poursuivie, avec un gros acquis sur la dématérialisation, et des frontières qui se brouillent entre typologies de fonds, nous avons constaté une montée en puissance des fonds à impact. Des fonds de dette se mettent à intégrer des mécanismes ESG dans leur offre, avec notamment un coût du financement pouvant diminuer au fil d’atteinte d’objectifs extra-financiers. Nous pourrions imaginer à l’avenir des instruments d’intéressement equity, et pas seulement de dette, liés à ce type d’objectifs.

"Les frontières se brouillent entre typologies de fonds"

D’autre part, une interrogation persiste : la vague de défaillances que tout le marché attend, à la suite de la fin des mesures de soutien et des PGE, va-t-elle se matérialiser ? Pour le moment, aucun signe inquiétant n’est apparu, mais si besoin, nous serons là pour accompagner les fonds et leurs participations.

Propos recueillis par Marc Munier

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