Les trésoriers n’évoluent pas dans une bulle, à manier de sombres opérations financières, coupés du reste de l’entreprise. C’est ce que pense Daniel Biarneix, président de l’Association française des trésoriers d’entreprise, qui nous éclaire sur les enjeux du métier. Au programme : RSE, réglementation, taux négatifs et numérique.

Décideurs. Quels ont été les principaux chantiers pour l'AFTE en 2021 ?

Daniel Biarneix. Nous étions dans l’année d’après-crise. La sortie de crise s’est passée beaucoup plus rapidement qu’on ne le pensait. L’accompagnement technique au financement des entreprises s’est bien déroulé. Les PGE étant pluriannuels, et non pas uniquement sur un financement d’urgence court terme, la transition a été fluide. Nous avons par conséquent eu beaucoup moins besoin d’intervenir qu’en 2020, ce qui nous a permis de nous concentrer sur des sujets fondamentaux de moyen terme pour les trésoriers : d’une part la RSE avec son application aux aspects financement, et d’autre part la digitalisation de la vie économique appliquée en particulier à la trésorerie.

"Nous sommes favorables à une RSE incitative et inclusive plutôt qu’exclusive et punitive"

Nous sommes favorables à une RSE incitative et inclusive plutôt qu’exclusive et punitive, ce qui doit s’appliquer aussi à la taxonomie. Nous avons observé une explosion des financements liés aux sujets environnementaux et sociaux. Les green bonds existaient déjà depuis longtemps. Ce qui s’est beaucoup développé ce sont ce qu’on appelle les sustainability-linked bonds (SLB) du côté obligataire, ou les prêts avec critères ESG sur la partie prêt bancaire, qu’on pourrait qualifier de prêts à impact. L’intérêt de ces instruments est qu’ils permettent de prendre en compte l’intégralité de la stratégie RSE de l’entreprise dans la mise en place de son financement et non plus simplement un financement spécifique d’un actif particulier.

Quel regard portez-vous sur la blockchain ?

Pour nous, la blockchain pourrait intervenir surtout au niveau de la digitalisation des moyens de paiement. Il faut bien faire la différence entre la technologie, qui pourrait concerner les trésoriers, et la partie la plus médiatisée que sont les actifs numériques, qui en l’état actuel ne représentent pas une monnaie stable. L’AFTE suit par contre avec attention les recherches que font différentes banques centrales dont la BCE pour développer les monnaies numériques de banque centrale. Si celles-ci débouchent un jour sur quelque chose qui peut être utilisé non pas uniquement dans les échanges interbancaires mais aussi dans les transactions privées, alors les trésoriers pourraient potentiellement s’en saisir.

Quels sont les produits de placement des trésoriers ?

Les préoccupations principales pour placer la trésorerie de son entreprise sont la sécurité du placement et la faible volatilité de sa contrepartie monétaire. Ce sont les deux critères qui permettent, en IFRS, de classer les placements comme cash ou cash-équivalent. Vous avez alors deux façons largement dominantes de procéder : déposer sur des comptes bancaires ou bien acheter des fonds communs de placement à caractère monétaire. Dans le premier cas, étant donné les taux négatifs, il se peut que les banques refusent les dépôts, ou bien qu’elles imposent des plafonds. Dans le second cas, le trésorier se dirige vers des OPCVM monétaires qui, il n’y a pas de miracle, donnent également une rémunération négative. Avec une bonne sélection de fonds, cette rémunération sera légèrement moins négative que le taux de la BCE.

Les trésoriers attendent donc impatiemment un geste de Christine Lagarde sur les taux…

Ils bénéficient d’un autre côté d’un taux de financement attractif. Sur la partie placement en revanche, c’est un peu un cauchemar d’avoir du cash rémunéré à taux négatif. La Banque de France avait publié une étude montrant que les financements bruts des sociétés en 2020 avaient explosé, mais que l’essentiel de ces liquidités additionnelles - données à travers les PGE ou les financements obligataires - s’étaient retrouvées presque intégralement sous forme de dépôt et d’excès de cash dans les sociétés. Par conséquent, beaucoup d’entreprises au début de 2021 se sont retrouvées avec de gros montants de cash à placer… à taux négatif. Une partie a tout de même été utilisée pour financer la reprise et la croissance en 2021, lorsque les investissements ont redémarré également, ainsi que les acquisitions. Il reste encore vraisemblablement beaucoup de cash disponible dans les entreprises. Il faut espérer que le taux des placements suive la remontée des taux de financement, qui a été enclenchée par la reprise d’une certaine inflation.

Comment la réglementation impacte-t-elle le métier de trésorier ?

L’activité de trésorerie, et plus généralement toutes les activités de financement, sont extrêmement régulées par le biais de nos contreparties financières. Nous sommes très vigilants sur des réflexions en cours au niveau européen, notamment à propos d’une étude des fonds monétaires par l’Union européenne, avec une approche qui nous paraît erronée. Une partie de la crise de financement qui a eu lieu au printemps 2020 – où la BCE a dû intervenir – serait due au fait que les fonds monétaires n’ont pas fonctionné de façon satisfaisante et que cela aurait provoqué un grippage du marché. L’AFTE, consultée par l’UE sur ce sujet, a une analyse tout à fait contraire. Nous pensons que les fonds monétaires ont justement très bien fonctionné pendant la crise, faisant notamment face aux sorties massives - comptées en dizaines de milliards d’euros - des fonds par les entreprises qui avaient besoin de retirer du cash.

Le marché s’est grippé car tout le monde a voulu d’un côté retirer les fonds confiés aux OPCVM monétaires, et de l’autre émettre des papiers de financement dont ils souhaitaient qu’ils soient achetés par ces mêmes fonds. On ne peut pas demander l’impossible aux fonds. Ce n’est pas un signal de mauvais fonctionnement des fonds monétaires mais simplement la réalité d’un marché asséché. Dans une situation aussi extrême, il ne nous paraît pas aberrant que la BCE ait dû intervenir comme prêteur en dernier ressort pour relancer le marché. Les fonds monétaires sont un outil absolument indispensable pour que le marché du financement court terme soit liquide et efficace.

"Le poids réglementaire qui va peser sur les banques européennes doit rester raisonnable"

Un autre sujet concerne Bâle 3, c’est-à-dire les réglementations prudentielles des banques. Nous sommes évidemment favorables à ce que les banques soient correctement capitalisées et que les risques soient maîtrisés. En revanche, il ne faut pas que cette réglementation conduise à un étranglement des moyens de financer l’économie réelle. Nous sommes attentifs à la façon dont Bâle 3 est transcrite en réglementation européenne, afin qu’elle réponde bien à son objectif principal de garantir l’accès au financement pour les entreprises. Le poids réglementaire qui va peser sur les banques européennes doit rester raisonnable.

Quel sera le principal enjeu pour les trésoriers cette année ?

Il n’y aura pas de rupture calendaire… Cependant l’accompagnement de la croissance reste un enjeu essentiel. Une des préoccupations du terrain porte sur le besoin de financement du BFR des PME/ETI dans un contexte de croissance soutenue. Autre sujet important : l’assurance-crédit. Au-delà de la croissance en volumes et des comptes clients qui augmentent, l’inflation joue un rôle. Quand celle-ci repart, les comptes clients et fournisseurs ont tendance à augmenter aussi, mécaniquement. Il est important que les encours des assurances-crédits suivent cette tendance. Enfin, la gestion du PGE dans le temps, question traitée par les pouvoirs publics avec le remboursement des PGE porté à dix ans, demeure nécessaire afin que les entreprises ne soient pas étranglées par leur croissance.

"L’accompagnement de la croissance reste un enjeu essentiel"

D’autre part, la finance durable va rester un sujet prioritaire. En 2021, nous avions travaillé sur les types de financement. D’autres éléments prennent de plus en plus d’importance, tels que le reporting extra-financier. Les trésoriers doivent par ailleurs s’intéresser à la RSE non pas uniquement sur l’aspect technique de leurs opérations mais sur la façon dont elles peuvent s’intégrer au sens large dans la stratégie globale de l’entreprise.

Pour finir, la digitalisation des paiements continue d’être au cœur de nombreuses innovations, et cela pourrait à terme être une révolution. Le virement, efficace, sûr et peu cher, est le moyen de paiement optimal. Allons-nous arriver à développer des moyens de paiement alternatifs qui vont permettre de remplacer progressivement le cash et le chèque, inefficaces et chers, et potentiellement réduire la part des cartes, efficaces mais très coûteuses ? Ce genre d’évolution nous intéresse fortement.

Propos recueillis par Marc Munier

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