Le télétravail, largement démocratisé ces deux dernières années, se trouve actuellement remis en question. Pourtant, les salariés semblent bien décidés à défendre cette organisation de travail, perçue à présent comme un acquis non négociable.
Fin du télétravail : des salariés prêts à quitter leur poste
Une enquête YouGov pour Le HuffPost, publiée le 25 octobre, révèle que 37 % des Français considèrent la possibilité de télétravailler comme un critère clé dans le choix d’un emploi. Ils sont même 46 % à être prêts à démissionner si cette option leur était retirée. Pourtant, la tendance qui se dessine est celle d’un retour massif au présentiel.
La prise de risque d’Amazon
À l’instar d’autres grandes entreprises américaines, Amazon a annoncé à la mi-septembre un retour au présentiel obligatoire pour ses employés dès le 2 janvier 2025. Près de 300 000 collaborateurs à travers le monde devront être présents sur leur lieu de travail chaque jour, contre trois jours par semaine jusqu’alors. Andy Jassy, le PDG du géant de l’e-commerce, justifie cette décision en expliquant que le travail en présentiel renforce la collaboration, améliore l’apprentissage et consolide la culture d’entreprise.
46 % des Français se disent prêts à démissionner si la possibilité de télétravailler leur était retirée
Si outre-Atlantique des entreprises comme JPMorgan Chase, Goldman Sachs, Tesla et Walmart ont déjà limité partiellement ou complètement le télétravail, ce revirement de la part d’Amazon soulève de nombreuses interrogations concernant la qualité de vie au travail et la fidélisation des talents. En France, l’étude de YouGov démontre que près d’un Français sur deux serait prêt à quitter son poste si son employeur voulait supprimer totalement le télétravail dans son organisation. Devenu un axe central de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, le télétravail s’avère tout aussi important que la rémunération pour 37 % des sondés. Pari risqué donc en France pour le leader de la vente en ligne. Matt Garman, directeur général d’Amazon Web Services (AWS), donne une idée de la position de la multinationale : “Si certaines personnes ne se sentent pas bien dans cet environnement et ne souhaitent pas s’y conformer, ce n’est pas grave, il existe d’autres entreprises.”
Colère sociale chez Ubisoft
Dans le sillage de l’annonce d’Amazon, Ubisoft a également mis fin au télétravail à 100 % pour tous ses salariés, imposant une présence dans les locaux au moins trois jours par semaine. Cette décision, loin de passer inaperçue, a déclenché dès le 15 octobre une grève inédite de trois jours chez le géant français du jeu vidéo. Pierre-Étienne Marx, délégué au Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV), explique que, loin d’être une simple réorganisation du travail, ce retour au présentiel dissimule un “plan social déguisé”, à l’heure où la situation financière d’Ubisoft est particulièrement difficile – le cours en bourse de l’éditeur français a en effet chuté de 13,38 % fin septembre. Les syndicats Solidaires informatique, le STJV, la CFE-CGC, la CGT et le Printemps écologique soutiennent le mouvement social : ils mettent en avant une dégradation importante des conditions de travail, susceptible d’accélérer une attrition naturelle des talents chez l’acteur phare du jeu vidéo français.
Côté employeur, les arguments avancés rappellent ceux d’Amazon : le présentiel favoriserait une meilleure collaboration entre les effectifs et une productivité accrue. Mais ces propos ne justifient pas entièrement ce choix de faire revenir les collaborateurs au bureau. D’autant plus que, selon une étude de l’OCDE publiée en juillet 2023, l’impact du télétravail sur la productivité dépend surtout de la fréquence des jours de travail à distance.
"Il est prématuré d’estimer que le télétravail est un acquis social. Toutefois, il est certain qu’il s’agit d’un acquis psychologique, notamment pour les cadres" Emmanuelle Germani
Le télétravail, un acquis social en France ?
Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe de l’Association pour l’Emploi des Cadres (APEC), déclarait le 15 octobre sur France Inter : “Le télétravail n’est plus une option, c’est vraiment considéré comme un acquis.” Un arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 7 décembre 2021 dans le cadre de l’Ani (Accord national interprofessionnel) précise en effet qu’en l’absence de clause de réversibilité, l’employeur ne peut pas mettre unilatéralement fin au travail à distance si cela perturbe la vie personnelle du salarié. La question reste donc de savoir si cet arrêt consacre ou non le télétravail comme un acquis social.
Emmanuelle Germani, DRH du groupe KP1 et Vice-Présidente nationale de l’ANDRH (Association nationale des DRH) explique qu’“il est prématuré d’estimer que le télétravail est un acquis social. Toutefois, il est certain qu’il s’agit d’un acquis psychologique, notamment pour les cadres. Actuellement, il s’agit d’une organisation de travail régulée par des accords collectifs. Il sera intéressant d’observer si les syndicats et les branches professionnelles s’en empareront ou pas. Il ne faut pas oublier qu’il sera difficile de pouvoir édifier le télétravail comme un acquis social, comme les congés payés par exemple, puisqu’il ne concerne pas l’ensemble de la population active”.
Quelles que soient les conclusions à tirer de ces entreprises qui rétropédalent sur la question du télétravail, peut-être est-il temps de repenser nos façons de piloter ou de diriger les organisations à distance ?
Elsa Guérin