Actif depuis plus de vingt ans sur le marché du capital-risque, le Fonds européen d’investissement accélère son engagement pour faire progresser la compétitivité européenne. Alain Godard, CEO de l’institution européenne depuis janvier 2020, livre son analyse sur ce marché et les solutions qu’il encourage afin de rattraper le retard de l’Europe face aux États-Unis.

Décideurs. Pouvez-vous nous décrire l’évolution de l’action du Fonds européen d’investissement (FEI) depuis sa création ?

Alain Godard. Le FEI a été créé en 1994 afin d’encourager l’émergence du capitalrisque en Europe. Il était, à l’époque, quasi inexistant contrairement aux ÉtatsUnis. Au début des années 2000, le FEI représentait 50 % du marché du capitalrisque. De même, il a permis de développer et maintenir cet écosystème en vie lors de la crise financière de 2008 et plus récemment pendant la crise Covid. Aujourd’hui, il reste toujours très présent depuis les premiers stades de développement mais également, dans une moindre mesure, sur la partie growth afin de soutenir les entreprises en forte croissance. Nous œuvrons à la fois là où ce marché est encore sous-développé comme dans les pays du sud et de l’est de l’Europe mais également dans des régions beaucoup plus avancées comme les pays nordiques, la France ou encore l’Allemagne. L’État allemand nous confie d’ailleurs très souvent des mandats de gestion. La présence du FEI a un effet catalyseur important sur les marchés favorisant la venue d’autres investisseurs privés. Notre histoire tout comme notre engagement nous permettent de faire la différence quand nous sommes sur un tour de table et de l’élargir.

"Le chemin est encore long pour atteindre le niveau américain"

Quel bilan dressez-vous du retard européen par rapport aux États-Unis ?

Grâce à notre présence et celle d’acteurs comme la BPI en France, le marché du capital risque est devenu plus mature. Toutefois, nul ne peut nier que nous ayons un trou dans la raquette. Aujourd’hui, les sociétés européennes à forte croissance sont accompagnées à hauteur de 80 % par des fonds américains et asiatiques en lead sur les derniers tours. Nous rattrapons certes notre retard depuis ces dernières années mais il reste un décalage préoccupant. Pour une quarantaine de fonds américains d’une taille moyenne de 2 milliards de dollars, il n’existe que trois fonds en Europe de plus d’un milliard d’euros et ce, seulement depuis la dernière levée d’Eurazeo en juillet que nous avons soutenue. Le marché européen du capital-risque reste donc balbutiant, notamment dans les derniers tours de table, et le chemin est encore long pour atteindre le niveau américain. La cotation est également un problème. Non seulement le marché boursier européen n’est pas assez profond mais il conduit un certain nombre de sociétés à s’internationaliser au moment de leur cotation. Cela peut être pour de bonnes raisons dans le cas d’un développement à l’étranger mais aussi pour de mauvaises, quand les sociétés ne s’estiment pas assez accompagnées et considèrent la Bourse pas assez liquide. Un constat qui se vérifie pour les quelques dernières IPO : les cotations ne suivent pas.

Quel est votre plan d’attaque pour atteindre le niveau américain ?

Notre proposition est de booster le marché de growth en trois temps. Tout d’abord, nous devons être capables de mobiliser des fonds privés afin de booster le marché de growth en une initiative supportée par l’Europe dans laquelle le FEI et nos partenaires nationaux auraient un rôle important à jouer. L’objectif serait de soutenir l’émergence d’une quinzaine de fonds supérieurs à un milliard d’euros sur un horizon de trois à cinq ans.Dans un deuxième temps, nous souhaitons soutenir la profondeur du marché en apportant des éléments d’information à travers les performances, les valorisations et les flux d’information accumulés par les acteurs de l’écosystème. Les investisseurs privés pourront ainsi accélérer leur investissement sur le segment du growth. Enfin, il faut viser l’émergence de Bourses en Europe suffisamment initiées pour accompagner les sociétés jusqu’à leur cotation. Pour y parvenir, nous devons convaincre un certain nombre d’acteurs en Europe : États mais aussi investisseurs privés, fonds de pension, actionnaires institutionnels, etc. Mais également réfléchir avec les acteurs nationaux comme Bpifrance. Nous devons aboutir sur une approche cohérente pour mobiliser le plus de fonds possibles. L’arrivée de la France à la présidence du Conseil de l’Union européenne, en collaboration étroite avec ses partenaires, devrait accompagner ce mouvement vers l’émergence d’un marché du capital-risque plus profond et plus pérenne.

Propos recueillis par Béatrice Constans

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