Parce que les crises sont l’occasion de revoir à la fois nos modèles de sociétés et notre manière de consommer, l’innovation devient partie intégrante des "modèles d’affaire" les plus performants. Selon Teoman Atamyan, directeur du pôle innovation au sein du groupe Leyton. Depuis quinze ans, il accompagne petites et grandes entreprises pour leur permettre de déployer leur plein potentiel d’innovation en activant tous les leviers de financements existants et notamment le Crédit impôt recherche.

Décideurs. Quelles sont les grandes contrevérités qui perdurent autour du Crédit impôt recherche (CIR) ?

Teoman Atamyan. Beaucoup de contrevérités circulent autour du CIR dont celle des nombreux abus. Or il s’agit d’un des dispositifs les plus contrôlés dans le paysage fiscal français. Au niveau de notre portefeuille de clients au sein du groupe Leyton, une déclaration de CIR sur trois fait ainsi l’objet d’un contrôle par l’administration fiscale.

Les abus sont aussi régulés par le fait que le conseil en CIR représente un marché important et avec quelques cabinets sérieux, qui travaillent selon les règles de l’art et maîtrisent le dispositif. Chez Leyton, nous considérons que nous avons un rôle à jouer dans notre transparence vis-à-vis du client quant à la "défendabilité" de ses créances, et notre pro-activité pour l’aider à sécuriser ses dossiers. Par ailleurs, il faut rappeler qu’il ne s’agit plus depuis longtemps d’une niche fiscale car l’enveloppe représente aujourd’hui 7 milliards d’euros de budget. Sur le plan purement économique, le premier rapport de la CNEPI en 2019 avait établi que les objectifs étaient bien remplis : un euro de CIR se traduit bien par au moins un euro investi en R&D et le CIR permet d’améliorer l’embauche de profils universitaires et de docteurs en particulier.

" L’enveloppe du CIR représente aujourd’hui 7 milliards d’euros de budget "

Autre contrevérité : dire que les grands groupes en bénéficient le plus. Certes, à l’échelle des montants, un grand groupe captera forcément un volume de CIR plus important qu’une PME. En revanche quand on regarde le nombre de PME qui en bénéficient aujourd’hui et l’impact que ce dispositif a sur leur développement, on constate rapidement qu’elles en profitent aussi pleinement.

En matière de crédit d’impôt recherche, quels sont les avantages pour une PME et une grande entreprise ?

Le rapport du CNEPI signalait également une meilleure efficacité du dispositif au sein des PME par rapport à une grande entreprise qui bénéficie, structurellement, d’une activité R&D plus solide.

Je ne partage pas cette vision. Le CIR impose la capacité à retracer les travaux, et démontrer leur éligibilité, donc une certaine rigueur. Au sein des grands groupes que nous accompagnons, nous avons constaté que le Crédit Impôt Recherche a permis d’apporter plus de structure dans le suivi des activités de R&D internes, et ainsi d’en augmenter la portée et l’effet de levier. Le CIR pour les grands groupes est, selon moi, un dispositif très structurant car si ces derniers souhaitent pérenniser ce crédit d’impôt face à l’administration fiscale, ils sont obligés de disposer en interne d’une structure de documentation bien organisée au niveau de la R&D, d’avoir des personnes qui suivent les travaux et les alignent avec la stratégie de l’entreprise. Le CIR est donc très vertueux pour l’activité elle-même de l’entreprise.

Vous avez mené une étude à l’été 2021 avec Kantar auprès de grandes entreprises en France et en Europe pour les questionner sur leur stratégie et les budgets alloués à l’innovation. Quels étaient les grands enseignements ?

Voici les trois principaux enseignements issus de cette étude. En pleine pandémie, de manière surprenante, les objectifs d’innovation au service de la rétention client ou de l’efficacité opérationnelle cèdent la place à la réduction de l’impact environnemental et social. En 2019, la moitié des PME avait un budget défini alloué à l’innovation. Pour plus de 30 % des entreprises (PME et grandes entreprises confondues), ce budget dépassait 10 % des revenus de l’entreprise. Au cœur de la pandémie, si 82 % des entreprises envisagent l’avenir en stabilisant ou en augmentant leurs budgets innovation, on remarque une nette différence entre PME et grandes entreprises : les premières sont bien plus nombreuses à augmenter leurs budgets en 2020, et surtout, en 2021.

L’innovation française est largement autofinancée, c’est un des constats clés de cette étude. Le financement interne est largement privilégié par les PME, pour 81 %, et les grandes entreprises françaises pour 90 %. Si cette orthodoxie budgétaire peut brider les " mises en marché " des nouveaux produits français, le recours aux aides et avantages fiscaux, peu utilisé, apparaît donc comme un des principaux leviers d’accélération de l’innovation.

" […] l’indépendance présentée par les répondants constitue probablement un verrou important dans leur stratégie R&D. En combinant intelligemment des subventions et du CIR/CII, on peut couvrir 30 % à 40 % du budget projet. Ainsi, ce qui venait du financement interne peut être alloué à d’autres problématiques structurantes. Sur les scale-up, cela permet également de ne pas diluer le capital… Les entreprises françaises de plus de 250 salariés ont ainsi recours, pour 14 % d’entre elles, à la dilution et à la levée de fonds. Au Royaume-Uni, elles sont 20 % et en Espagne 35 % à recourir à la levée de fonds d’après l’étude Leyton Kantar Cross Country. "

En quoi l’innovation permettra-t-elle de sortir de cette crise par le haut ?

En cette période troublée sur le plan économique, le CIR constitue un réel levier de réinvestissement pour les entreprises car je reste persuadé que c’est par l’innovation que les entreprises réussiront à sortir de la crise efficacement. Au regard des crises passées, on constate que les économies qui ont le mieux résisté sont celles qui ont réussi à trouver des idées nouvelles. Les exemples sont nombreux dans l’histoire et prouvent que c’est grâce à l’innovation que l’on sort efficacement d’une crise. La crise sanitaire que nous traversons depuis bientôt deux ans, nécessite d’innover à la fois dans les pratiques et notamment notre capacité à interagir grâce au digital et innover pour trouver des remèdes et anticiper les maladies de demain.

Un autre domaine où les innovations sont très nombreuses et au début du chemin : les nouvelles façons de stocker l’énergie dans le cadre de notre transition énergétique. Dans ce domaine, il y a encore des innovations de rupture à trouver.

" Je reste persuadé que c’est par l’innovation que les entreprises réussiront à sortir de la crise efficacement "

Les ETI constituent un maillon critique de la chaîne économique et nous n’en comptons pas suffisamment en France. Comment accélérer ce passage à l’échelle de la PME à l’ETI ?

Nous avons la chance au sein du groupe Leyton d’avoir un portefeuille de clients très large à la fois au niveau des secteurs d’activité que des tailles de structures ; nous travaillons ainsi aussi bien avec des start-up qui viennent de se monter que des grands groupes du CAC 40. Nous avons donc une vision " grand angle " qui nous permet d’observer que les clients PME que nous accompagnons qui basculent progressivement vers l’ETI et passent à l’échelle, rencontrent des difficultés importantes.

En dépassant le cadre de la PME et donc les plafonds, elles perdent un ensemble de réductions fiscales sur leurs charges courantes, entrent dans de nouvelles obligations écologiques et doivent maintenir une activité de R&D pour réussir ce passage à l’échelle et développer de nouveaux marchés. En volume, il leur faudra également disposer des ressources nécessaires pour mener à bien ce défi de taille. L’ensemble des aides proposées aujourd’hui en France, et notamment le CIR pour accompagner l’activité R&D, répondent à chacun de ces enjeux. Si les PME veulent augmenter leur chance d’y parvenir, elles ont donc tout intérêt à solliciter ces différents dispositifs.

Propos recueillis par Anne-Sophie David

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