Les politiques sanitaires impliquent des choix de civilisation : vers un nouveau risque politique ?
Le monde est désormais divisé en deux, à nouveau.
Il y a les pays qui confinent la totalité de leur population ; et ceux où la liberté de circuler des personnes est préservée.
Il y a les pays qui réservent les soins aux formes les plus graves de la maladie Covid19 ; et ceux qui soignent dès les premiers symptômes.
Il y a les pays qui interdisent l'hydroxychloroquine; et les pays où ce médicament est autorisé, et où la liberté de prescrire des médecins comme leur serment d'Hippocrate sont respectés.
Il y a les pays qui légifèrent pour imposer le port du masque aux enfants ; et il y a ceux qui privilégient leur santé comme leur éducation.
Il y a les pays qui interdisent les réunions entre amis, les fêtes de familles ; et ceux où les lieux de rencontres sont ouverts.
Il y a les pays où les offices religieux sont interdits ; et il y a ceux où la liberté de culte est respectée.
Il y a les pays où vendre des livres est interdit ; et ceux où la culture continue à se diffuser.
Il y a les pays qui travaillent à modifier leur législation pour pouvoir rendre tel test ou tel vaccin obligatoire, en opposition avec les accords de Nuremberg, qui ont pourtant entériné l'interdiction de tout traitement médical obligatoire pour éviter que ne se reproduisent les expériences nazies ; et il y a les pays qui respectent le droit des personnes à disposer de leur corps.
Nous pourrions continuer longtemps cette série. En résumé, il y a les pays qui sacrifient une part importante de leur mode de vie sur l'autel de la peur, et les pays qui préservent la liberté de leurs citoyens. En effet, les décisions de politiques sanitaires ont des conséquences si importantes, qu'elles ne sont plus une partie de la politique générale d'un pays : les politiques sanitaires sont devenues la clé de voûte des choix de civilisation de sociétés entières. Par voie de conséquence, elles ont des conséquences majeures également sur l'économie, la dette et sur les marchés financiers : concentrons-nous sur cet aspect, que nous appelons à reconsidérer sous un nouveau jour.
Vers un nouveau risque politique
D'ordinaire, ce qu'on appelle en finance "le risque pays" tient à la politique fiscale, budgétaire et monétaire du pays examiné. On a souvent pu remarquer que les autres facteurs politiques, aussi brutaux soient-ils, n'ont que très peu d'influence sur l'économie d'un pays. Il y a en effet une grande résilience de l'économie aux autres influences politiques et sociétales, comme si l'Histoire tragique glissait facilement sur le dos de l'activité humaine habituelle, et s'en écoulait rapidement sans laisser de trace visible.
"Face au Covid19, il y a les pays qui par peur sacrifient leur mode de vie, et ceux qui préservent la liberté de leurs citoyens"
Mais cela, c'était avant les politiques de confinement, dans les pays qui les instaurent. En effet, ces décisions politiques d’un nouveau type ont marqué l'irruption directe de la politique dans la vie économique habituelle, de façon massive et sans appel. D'un jour à l'autre, des gouvernements décident de fermer toute l'économie de leur pays, d'instaurer des couvre-feu ou d'assigner à résidence la totalité de leur population, de décider d'un jour à l'autre, quels secteurs d'activité peuvent ouvrir, quels secteurs doivent fermer, pour combien de temps.
Et puis de recommencer. Les frontières peuvent être fermées également, et leur franchissement conditionné à la réalisation d'un examen médical par exemple. Ici, en un jour, la vie quotidienne, le fonctionnement habituel de l'économie, qui présente d'ordinaire une si belle résilience, peut être stoppé. Ces décisions de politiques sanitaires marquent la prise de contrôle absolu du politique sur l'économique. En effet, l'État y devient l'employeur universel intermittent (chômage partiel, indemnisation des entreprises, prêts pour perte d'exploitation garantis par l'État...).
La dette de ces pays s'envole, complaisamment financée par les Banques centrales et autres institutions mondiales dans une création monétaire qui semble infinie. Pour l'instant. Pendant que la croissance de ces pays s'écroule, et que s’appauvrissent massivement ceux qui échappent aux filets de sécurité des États.
Le confinement est un accélérateur de la démondialisation
Par ailleurs, la possibilité que des États puissent prendre de telles décisions accélère la démondialisation. En effet, si le retour des barrières commerciales pendant le conflit sino-américain a initié un mouvements de relocalisation d'entreprises, la multiplication des décisions de fermeture totales ou partielles d’économies nationales font également peser un risque majeur sur les chaîne d'approvisionnement à l'étranger, celle des entreprises comme celles des pays. Ainsi, la seule présence d'une frontière nationale au milieu de votre chaîne d'approvisionnement constitue aujourd'hui un risque majeur. Le confinement accélère la démondialisation.
Vers un nouveau stock picking ?
Si, pendant la mondialisation, les entreprises qui avaient délocalisé leur production dans des pays à faibles coûts étaient les grandes gagnantes de la mondialisation, aujourd'hui, un bon stock-picking doit analyser la vulnérabilité ou la force d'une entreprise, vis-à-vis du risque d'instauration d'une barrière douanière, ou d'un confinement dans un pays qui la concerne, tant au niveau de son approvisionnement que de ses débouchés. Seules les Gafam peuvent prospérer même en situation de confinement : elles sont devenues les valeurs défensives par excellence de ce nouveau risque politique.
Vers un retour durable des Small & Mid Cap ?
Il est également important de comprendre que les pays qui seront le moins dépendant des autres dans leurs approvisionnements stratégiques auront une place plus solide dans l'économie mondiale disruptée de demain. Et en réalité, nous assistons déjà en Bourse au retour en force de la catégorie des Small & Mid Caps sur les marchés financiers, qui superforment pour la première fois depuis fin 2018 les grandes capitalisations. C'est un phénomène que nous pensons durable car les plus petites capitalisations ont tendance à se concentrer plus sur des marchés nationaux, et sont moins vulnérables au risque de fermeture de pays que les entreprises mondialisées.
"Les pays qui globalement ne pratiquent pas le confinement généralisé, et qui préservent tant que possible leur mode de vie, sont des îles de sérénité au milieu de la tempête"
Un risque politique asymétrique
Le nouveau risque politique est toutefois asymétrique : les pays qui globalement ne pratiquent pas le confinement généralisé, et qui préservent tant que possible leur mode de vie, sont des îles de sérénité au milieu de la tempête. Ces pays ne connaissent pas une chute de leur PIB aussi forte que les pays qui confinent ; leur dette ne s'envole pas dans les mêmes proportions. Ces pays connaîtrons une histoire économique, sanitaire et civilisationelle bien plus favorable. Les pays qui ne confinent pas sont à ce jour globalement les suivants : l'Europe du Nord, une bonne partie de l'Europe centrale, la très grande majorité de l'Asie, la Russie, les USA, la Chine, le Brésil, la très grande majorité des pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Cette géographie peut toutefois changer aussi rapidement que les gouvernements se succèdent.
L'élection du 46e président des USA est un exemple majeur de ce nouveau "risque politique"
À l'heure où nous écrivons ces lignes, l'élection américaine est par excellence l'illustration de ce nouveau risque politique majeur pour l’économie, dont nous avons décrit les grandes lignes ci-dessus : dans l'hypothèse où Joe Biden serait élu, un confinement total des USA serait à envisager à très court terme, ce qui aurait des conséquences immédiates et massives non seulement sur l'économie américaine, mais également sur l'économie mondiale, et sur les systèmes financiers les plus fragiles. C'est dire si la politique a cessé de glisser sans laisser de trace sur le dos de la vie économique des populations. Et c’est inédit.
Christophe Brochard
SUR L’AUTEUR
Président du Groupe Quinze - Gestion privée, philosophe de formation, Christophe Brochard est conseil en investissement financier, gestionnaire de fortune, et passionné par l’observation du monde. Il a remporté en mai 2016 le concours du meilleur sélectionneur de fonds, organisé par la revue les Échos-Investir, et Groupe Quinze est élu Société française de gestion privée de l’année 2020/21 par Corporate Live Wire.
Par ailleurs, il enseigne en Master II à l’Université de droit de Strasbourg, ainsi qu’à l’ESEIS pour les mandataires judiciaires pour les majeurs protégés. Soucieux de l’avenir de la profession, il est secrétaire général de la Compagnie des IAS au sein de la Compagnie des CGP-CIF.