Elle était présentée comme une technicienne et une bûcheuse. Pourtant, celle qui est aussi députée du Calvados gagne peu à peu de l’envergure politique, sans inquiéter en haut lieu. Pour le moment.
Élisabeth Borne, plus maestro que techno
Un titre évocateur, La Secrète, des poursuites judiciaires engagées pour atteinte à la vie privée… Avouons-le, l’ouvrage que la journaliste Bérengère Bonte consacre à la Première ministre Élisabeth Borne a suscité les attentes de nombreux amateurs de ragots, guettant avec impatience les dessous inavouables de l’hôte de Matignon. Ces lecteurs-là resteront sur leur faim. Pour les amateurs de politique en revanche, ces pages constituent une mine d’or qui éclairent sous un jour nouveau une personnalité encore peu connue du grand public.
Sens politique
L’auteur qui s’est entretenue longuement avec son sujet l’a noté, Élisabeth Borne s’énerve lorsqu’on la présente uniquement comme une "techno". À juste titre puisqu’elle est en réalité une très fine politique, même si elle feint de ne pas y toucher. "Sa capacité à négocier des accords, à faire coexister les avis divergents et à obtenir les postes qu’elle cible est ancienne", note Bérengère Bonte qui revient sur un épisode significatif. En 2013, préfète de la région Poitou-Charentes, elle se trouve prise en étau entre les intérêts des deux crocodiles de la région, Ségolène Royal et Jean-Pierre Raffarin. Déjouant tous les pronostics, elle parvient à faire collaborer les deux parties, notamment dans l’épineux dossier du Center Parc Bois aux Daims. Un exploit !
Selon sa biographe, cette enfant de rescapé d’Auschwitz est certes "une manager exigeante qui tyrannise parfois ses troupes et qui assume manquer d’affect". Mais elle n’est pas une idéologue, fait preuve de pragmatisme et écoute attentivement toutes les parties prenantes avant de prendre une décision. Lors de ses passages aux ministères des Transports, de la Transition écologique puis du Travail, sa capacité à négocier fut saluée par les syndicats de cheminots, la CGT ou les associations de protection de l’environnement.
Preuve de son habileté, Élisabeth Borne, pourtant venue de la gauche, est peu attaquée pour "trahison"
Entre les gouttes
Son habileté politique se traduit de plusieurs façons : depuis l’élection d’Emmanuel Macron, elle a fait partie en continu du gouvernement, occupant des postes de plus en plus importants jusqu’à Matignon. Preuve qu’en plus de maîtriser ses dossiers elle connaît les arcanes du pouvoir. Autre fait marquant de son "style de Sioux", pour reprendre le terme de Bérengère Bonte, Élisabeth Borne n’est jamais poursuivie pour "trahison" par la gauche, contrairement par exemple au ministre du Travail Olivier Dussopt. Pourtant, son parcours est très rose : ministère de l’Équipement et Matignon sous Lionel Jospin, Mairie de Paris sous Bertrand Delanoë, accès au poste de préfet de région sous François Hollande. Pourtant, quelques propos auraient pu être repris. Par exemple, après avoir participé à la mise en place des 35 heures, elle a reconnu plus tard le "dogmatisme" de la réforme. Comment expliquer qu'elle soit aussi épargnée ? "Elle n'a jamais parlé d’idéologie, ce qui la protège en partie des accusations". Toutefois, elle porte certaines valeurs qui incarnent un "en même temps" très macronien. Ainsi, si elle est attachée à l'Etat social, elle insiste sur le fait que la solidarité "doit être pondérée avec l'idée qu'il faut que chacun s'aide soi-même"
Chef de clan
Peu d’attaques sur son supposé virement de bord certes, mais un pilonnage en règle sur la politique qu’elle mène de la part de l’opposition. Dans l’hémicycle elle fait face, se montre pugnace, se défend pied à pied et fait corps avec le groupe Renaissance. Ce qui lui permet de disposer d’un pack soudé pour avancer sans relâche en suivant sa feuille de route. Tout en s’attirant le respect du président de la République et de la majorité des poids lourds du gouvernement (hormis Gérald Darmanin). "Ils murmurent entre eux : tout de même, Borne tient bon !" Ce qui rend la perspective d’un remaniement avant l’été de moins en moins probable. Encore une fois, à dessein ou non, Élisabeth Borne adopte la technique de tout ambitieux en politique : monter en première ligne et protéger ses troupes. Pour pouvoir partir à l’assaut d’une plus grosse forteresse le moment voulu ? L’avenir nous le dira.
Lucas Jakubowicz
Élisabeth Borne, la Secrète de Bérengère Bonte, L'Archipel, 240 pages, 21 euros