Adapter facilement l’organisation d’une entreprise et de ses métiers, aux évolutions constantes et rapides des marchés, aux besoins des clients, ou à la modification sa propre situation, a longtemps constitué un souci des chefs d’entreprise ; il s’agit désormais d’une nécessité permanente dont le pouvoir politique s’est emparé en promettant, depuis plusieurs années déjà, la flexisécurité.

Nombreux sont les chefs d’entreprise qui expriment ainsi leur étonnement lorsque leur Directeur des Ressources Humaines, ou leur Conseil, les informent qu’une telle adaptation pourra engendrer des licenciements qui seront toutefois jugés, certainement et en cas de contestation judiciaire, dépourvus de cause réelle et sérieuse, ou même que l’adaptation souhaitée pourra exiger la mise en œuvre d’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi.

 

Il s’agit pourtant d’une réalité.

 

Dans la mesure où la modification d’une organisation peut perturber les relations contractuelles liant un employeur à ses salariés, l’accord de ces derniers devra effectivement, généralement, être requis. Or, les modifications que l’employeur envisage ainsi d’apporter aux contrats de travail auront nécessairement une origine économique, qui pourront impliquer, pour les salariés qui les refuseraient, leur licenciement pour motif économique. Pour autant, ce motif économique ne répond pas nécessairement à la définition restrictive du Code du Travail, de ce que constitue un motif économique réel et sérieux. Comme rappelé ci-dessus, ces adaptations de l’organisation d’une entreprise ne sont effectivement pas nécessairement justifiées par des difficultés économiques ; si la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise constitue également un motif économique recevable, elle reste néanmoins particulièrement difficile à démontrer en cas de contestation judiciaire (et, là encore, les réorganisations peuvent s’expliquer de manière objective sans être pourtant justifiées par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise).

 

Par ailleurs, dans l’hypothèse où au moins 10 salariés refusent une telle modification de leur contrat de travail, l’entreprise d’au moins 50 salariés qui n’aurait d’autre solution que de licencier ces salariés a effectivement l’obligation de mettre en œuvre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi.

 

Les conditions et conséquences de ces adaptations pourtant indispensables constituent ainsi une manifestation, parmi tant d’autres, d’une discordance grandissante entre le Code du travail et la période dans laquelle il évolue.

 

Manifestement conscients de ces difficultés, les gouvernements les plus récents ont tenté d’y remédier. Par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, notamment, laquelle a permis aux entreprises de conclure un accord dit de maintien de l’emploi, au titre duquel l’employeur peut négocier les conditions dans lesquelles les relations contractuelles pourront individuellement être modifiées. Le cadre juridique d’un tel accord est toutefois trop contraignant. En premier lieu, il est réservé aux entreprises confrontées à de « graves difficultés économiques conjoncturelles dans l’entreprise » dont le diagnostic est analysé avec les organisations syndicales ; ne sont donc pas concernées les entreprises simplement confrontées à la nécessité d’adapter leur organisation. En outre, des engagements précis doivent être pris à cette occasion par l’entreprise (et, à titre personnel, par ses dirigeants), notamment concernant le maintien du niveau d’emplois. Mais, surtout, la situation des salariés qui refuseraient la modification de leur contrat de travail en application de cet accord demeure régie par le licenciement économique, dont le motif reste donc soumis à la définition restrictive du Code du Travail. Le seul avantage de cet accord de maintien de l’emploi réside, en réalité, dans l’exonération pour l’employeur d’au moins 50 salariés de mettre en place un Plan de Sauvegarde de l’Emploi, dans l’hypothèse où le licenciement d’au moins 10 salariés serait envisagé du fait de modifications individuellement refusées. Un avantage insuffisant, qui explique qu’à ce jour, une petite dizaine seulement d’accords de maintien de l’emploi ont été conclus.

 

C’est dans ce contexte que la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 a créé les accords de préservation ou de développement de l’emploi. L’objet de ces accords est identique à ceux conclus dans le cadre de la loi du 14 juin 2013 : il s’agit d’encadrer les conditions dans lesquelles les relations contractuelles pourront individuellement être modifiées, et les conséquences de l’acceptation ou du refus de ces modifications par les salariés concernés. Toutefois, contrairement aux accords de maintien de l’emploi, les accords de préservation ou de développement de l’emploi peuvent être négociés au sein de toute entreprise, même celle qui n’est pas exposée à des difficultés économiques. Il est uniquement imposé la rédaction, dans ces accords, d’un préambule indiquant les objectifs en matière de préservation ou de développement de l’emploi. Par ailleurs, aucun engagement particulier n’est exigé, sinon la prise en compte de la situation des salariés qui, dans le cadre des modifications envisagées à leur contrat de travail, invoquent une atteinte disproportionnée à leur vie personnelle ou familiale ; également, la loi prévoit que la modification envisagée des contrats de travail ne peut avoir pour objet la réduction de la rémunération mensuelle. Surtout, si dans le cadre de ces accords comme dans le cadre des accords de maintien de l’emploi, l’employeur est dispensé de mettre en œuvre un Plan de Sauvegarde de l’Emploi en fonction du nombre de salariés qui refuseraient la modification de leur contrat de travail, la loi prévoit que, dans le cadre des accords de préservation ou de développement de l’emploi, ces salariés dont le licenciement serait mis en œuvre le serait pour un motif dit « sui generis » ; c’est-à-dire que ce motif de licenciement, qui n’est pas économique, sera justifié par la seule application de l’accord conclu et qu’il ne devrait donc pas être contestable en justice.

 

A tous ceux qui considèreraient que ces accords de préservation ou de développement de l’emploi constitueraient un recul inacceptable des droits des salariés, il convient de rappeler que ces derniers demeurent en réalité protégés, en premier lieu, par la nécessité d’un accord conclu par une ou plusieurs organisations syndicales représentant au moins 50 % des suffrages exprimés, lors des dernières élections au comité d’entreprise, en faveur d’organisations syndicales représentatives. A ce titre, de tels accords ne pourront être conclus que si les employeurs prévoient un accompagnement suffisant tant des salariés qui accepteraient la modification de leur contrat de travail que des salariés qui la refuseraient et qui seraient donc licenciés (pour ces derniers, la loi prévoit d’ailleurs un accompagnement personnalisé minimum, proche de la réglementation du contrat de sécurisation professionnelle, et qui a été précisé par décret du 28 décembre 2016).

 

Envisagés sous cet angle, ces accords profiteront à tous : aux employeurs qui pourront adapter leur organisation beaucoup plus facilement sans risque de condamnations ultérieures dont les évaluations financières sont incertaines et aléatoires, et aux salariés qui bénéficieront d’un accompagnement renforcé financé par ces risques ainsi économisés.

 

D’ailleurs, la réalité vient du terrain : les premiers accords de préservation ou de développement de l’emploi ont d’ores et déjà été conclus, à la plus grande satisfaction de leurs signataires et des salariés concernés, pour lesquels les notions de licenciement pour motif économique et de Plans de Sauvegarde de l’Emploi ont à eux seuls une connotation négative et péjorative qui justifie de se rallier à cette nouvelle approche du droit du travail et du dialogue social !

 

 

Capstan Avocats 

Romain THIESSET

 

 

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