Lorsque Sophie Rosso, la directrice adjointe du groupe immobilier Redman, a appris que son fils de 3 ans, Maël, était atteint d’une leucémie, c’est l’ensemble de l’entreprise qui s’est mobilisée. Au-delà de l’élan collectif que cette nouvelle a suscité, Redman, dont l’équipe est composée de nombreux parents, a souhaité mettre en place des cadres pour tous les moments de vie que peuvent traverser les employés. Entretien avec Camille Declerck, RRH du groupe, implanté à Paris, Lyon, Aix, Montpellier, Bordeaux et Dakar.

Parmi les mesures du « Family Act » de Redman* : le maintien de salaire à 100% pour les congés maternité et coparent ; le retour de congé naissance progressif à 80% sur un mois modulable, rémunéré 100% ; cinq jours de congés supplémentaires pour les enfants malades de moins de 6 ans et trois jours pour les enfants de plus de 6 ans ; un élargissement du recours au télétravail en fonction des besoins et potentiellement jusqu’à 100% ; des conditions favorables aux démarches liées à l'adoption ou la PMA.
Plus avant-gardiste, Redman a créé l’autorisation d’absence rémunérée de trois jours en cas d'interruption spontanée de grossesse ou d’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Enfin, pour les accidents et maladies de longue durée, le dispositif de congé de proche aidant est étendu en maintenant le salaire sur une durée de trois mois pour une absence totale, ou de six mois pour une absence à mi-temps, le tout associé à la possibilité de faire des dons de congés entre salariés pour accompagner les situations exceptionnelles.

Décideurs RH. Vous avez annoncé en septembre le déploiement de votre « Family Act » : comment ces sujets ont-ils émergé ?

Camille Declerck. Tout d’abord, nous sommes beaucoup de parents dans l’équipe qui compte 230 personnes. Après la crise sanitaire et les divers retours de congé naissance, nous avons observé que nos cadres RH n’étaient pas suffisamment adaptés. Puis Sophie Rosso, notre DG adjointe, a soudainement été confrontée à la leucémie d’un de ses enfants et a dû partir du jour au lendemain pour s’en occuper. Étant donné ce qu’elle traversait, il nous a fallu être réactifs et agiles.

Nous avons donc structuré nos réflexions en regroupant des informations sur les bonnes pratiques RH en matière de politiques familiales. Nous avons notamment puisé parmi les recommandations de la charte Parental Challenge et interrogé diverses entreprises qui, comme nous, sont labellisées B-Corp, pour comprendre ce qu’elles avaient mis en place. Enfin, nous sommes labellisés Afnor sur les questions d’égalité professionnelle femmes-hommes et avons également le label Diversité : nos audits ont mis en évidence ces sujets spécifiquement liés aux moments de vie pour construire notre plan d’action.

Votre dispositif relatif au congé proche aidant est très solide : maintien du salaire sur une durée de trois mois pour une absence totale, ou six mois pour une absence à mi-temps, associés aux dons de congés. Pouvez-vous expliquer ce qui vous a menés, dans l’urgence, à le concevoir ainsi ?

C. D. Le fait que ça soit arrivé à un membre du comex a rendu le sujet plus visible, mais nous avons souhaité (sous l’impulsion de Matthias Navarro et Nicolas Ponson, cofondateurs du groupe) que la réponse apportée ne soit pas une exception liée à un statut, mais bien une solution concrète qui puisse répondre aux difficultés de tout salarié qui se retrouverait confronté à cette situation. Concernant les dons de congés, il est non seulement possible de donner directement un jour à quelqu’un de l’équipe qui en a besoin, mais nous avons surtout décidé que les stocks de congés non posés sur l’année seraient désormais regroupés sous forme de cagnotte pour soutenir les personnes qui traversent une épreuve.

Sur la durée du congé proche aidant de trois à six mois, nous sommes encore à la première version du Family Act et nous verrons, avec le temps et l’expérience, comment faire évoluer au mieux le dispositif. Ce que nous nous sommes dit, c’est qu’avec trois mois d’arrêt complet, cela laisse le temps à la personne concernée de trouver une solution si la situation devait se poursuivre, et grâce au maintien du salaire, de se concentrer sur ce qui compte : la maladie de son proche. Tout cela s’accompagne de facilités de télétravail qui peuvent aider quelqu’un qui opterait pour un rythme sur six mois à mi-temps rémunérés à 100%.

« Avec trois mois d’arrêt complet, cela laisse le temps à la personne concernée de trouver une solution si la situation devait se poursuivre, et grâce au maintien du salaire, de se concentrer sur ce qui compte : la maladie de son proche. »

Pour revenir à ce qu’a vécu Sophie Rosso, je n’ai jamais été le témoin d’un tel effet de solidarité collective en entreprise. L’équipe a connu une émotion très vive en découvrant cette nouvelle, d’autant que celle-ci est tombée une semaine après un magnifique séminaire de groupe. Immédiatement, nous avons proposé aux équipes de s’impliquer selon leurs disponibilités et moyens : tout le monde a été encouragé à faire un don du sang et (surtout) de plaquettes sur les heures de travail ; en parallèle, chaque agence Redman en France a été en charge, de manière mensuelle, d’envoyer un colis à l’école de l’hôpital contenant du matériel scolaire stérile pour tous les enfants. Pour soutenir la recherche, nous avons participé en septembre au challenge sportif et solidaire Ventoux contre Cancer et avons réuni 29 000 euros juste pour l’équipe Redman, créant en engouement tel que des clients et de nouveaux associés se sont joints. Tout ceci a été rendu possible grâce, notamment, à l’investissement sans faille de Pierre-Emmanuel Quintana, DGA, qui a lui-même couru l’intégralité des 26 kilomètres avec une cape pour le fils de Sophie !

Vous avez instauré le congé lié aux interruptions de grossesse (fausses couches, IVG, interruptions médicales de grossesse), et êtes parmi les tout premiers à inclure l’IVG dans votre réflexion RH : pouvez-vous en dire davantage ?

C. D. J’ai moi-même choisi de recourir à une IVG au moment où j’ai rejoint Redman car ce n’était pas le moment pour moi d’être enceinte. C’est très important de parler de l’IVG car les femmes doivent, concrètement, prendre des rendez-vous, poser des jours et endurer d’intenses douleurs : tout cela peut aggraver une situation qui n’est déjà pas simple. Si les employeurs comprennent ces enjeux, cela permettra aux femmes de vivre ces moments, qui sont plus fréquentes qu’on ne le croit, dans des conditions correctes et plus sereines.

Par ailleurs, un quart des grossesses se soldent par une fausse couche et il est essentiel que les entreprises prennent ces sujets, encore tabous, à cœur : il n’y a aucune raison que des moments comme l’IVG ou la fausse couche, très éprouvants, ne soient pas pensés sur le plan RH. Le faire est un signal pour les personnes qui travaillent chez nous ou pourraient nous rejoindre : vous êtes en zone safe, ici vous serez accompagnée, comprise et respectée.

« Il n’y a aucune raison que des moments comme l’IVG ou la fausse couche, très éprouvants, ne soient pas pensés sur le plan RH »

C’est aussi le rôle des RH d’être présents dans ce genre de moments. Si au moins l’entreprise peut instaurer un cadre de confiance lors de ces situations, cela peut faire avancer les choses. La société juge beaucoup ces sujets-là, et les droits des femmes sont très facilement remis en question : dans le cadre du travail, il nous semble important de réaffirmer ce que la société a régulièrement tendance à déconsidérer.

Sur l’opérationnalisation, comment vous assurez-vous que les équipes accèdent à leurs droits sans avoir à se confier ? Quel process a été instauré ?

C. D. Je reste le point de contact sur ces sujets, et je rappelle toujours mon devoir de confidentialité. Nous menons une réflexion pour éviter au maximum les maladresses : certaines questions venant de membres de l’équipe, même très bienveillantes, peuvent malgré tout heurter une personne qui est en pleine rémission après une interruption de grossesse, un deuil, etc. Nous souhaitons ainsi instaurer une culture d’entreprise respectueuse et délicate.

Plus généralement, nous mettons beaucoup l’accent sur la communication pour que les gens aient accès à leurs droits sans avoir à poser de question embarrassante : nous rappelons leurs droits aux collaborateurs et collaboratrices à chaque étape, dès l’entretien de recrutement. Notre kit de bienvenue recense toutes ces informations, que l’on retrouve dans notre intranet et prochainement sur le site web. À l’arrivée d’un nouveau membre dans l’équipe, je mène systématiquement un rendez-vous d’accueil durant lequel j’explique où se trouvent les informations et outils clés sur l’intranet. Nous faisons tout pour que la diffusion de l’information soit la plus fluide possible.

Quelle a été votre méthode pour budgéter ce Family Act, et combien de temps a été nécessaire ?

C. D. Le projet a duré six mois dont quatre de réflexion et de recherches en pointillé. Nous n’avons pas travaillé sur la base d’un budget mais sur l’impact que cela pouvait provoquer auprès des équipes. Malgré tout, il nous a fallu faire des choix, comme ne pas allonger le congé coparent existant mais en assurer le maintien de salaire, ou encore créer des dispositifs forts sur des sujets dépourvus de cadre : congé long proche aidant, arrêt pour les interruptions de grossesse… Évidemment, le CSE a salué nos engagements sur ces sujets.

Cette version du Family Act constitue un point de départ qui a vocation à évoluer et à s’étendre : pour l’instant, c’est la branche Promotion et la branche Foncière [72 employés en tout, ndlr] qui sont concernées et nous souhaitons bien affiner nos process et modalités d’accompagnement avant de les déployer à la branche Hospitality [150 employés] de Redman d’ici trois à quatre ans. 

* Source : post LinkedIn de Redman.

Propos recueillis par Judith Aquien

 

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