Christiane Lambert (FNSEA) : «Le citoyen nous commande du premium que le consommateur entend payer au prix du low-cost »
Décideurs. Les agriculteurs dénoncent depuis des années la pression sur les prix exercée par la grande distribution. Ce bras de fer est-il toujours d’actualité ?
Plus que jamais. Michel-Édouard Leclerc incarne à lui seul cette dictature du prix bas. Depuis toujours il se présente comme le défenseur du pouvoir d’achat du consommateur. Un tel discours repose évidemment sur une politique de pression exercée sur les producteurs alors que, de notre côté, nous avons besoin de prix qui correspondent au niveau de production premium qui nous est demandé par le consommateur.
Sur quels éléments repose cette notion de « production premium » propre à l’agriculture française ?
Sur tout ce qui a trait aux questions d’hygiène, de traçabilité, de bien-être animal... En France, les exigences du citoyen sont extrêmement fortes sur ces sujets et les agriculteurs les ont totalement intégrées à leur mode de production. Voilà pourquoi on parle de production premium. Le fait qu’aucune exploitation française n’ait été éclaboussée par le scandale du Fipronil confirme qu’en matière de sécurité sanitaire, la France est championne du monde.
Pour autant, vous estimez que cette spécificité n’est pas valorisée…
Cela ne fait aucun doute. Voilà des années qu’en France, circule le même message : se nourrir ne doit pas coûter cher. Pour répondre à ce harcèlement au prix bas, les agriculteurs se sont adaptés, ils ont multiplié les efforts et les aménagements de manière à rendre leur exploitation plus rentable, et à produire plus et répondre aux exigences de baisse des prix des distributeurs. Résultat : pas un jour ne passe sans qu’une association militante ne dénonce la taille de certaines exploitations et n’alimente une forme de suspicion autour de notre modèle. Lorsque l’on connaît sa fragilité, c’est extrêmement difficile à supporter.
De quelle forme de fragilité parlez-vous ?
Le fait que le secteur agricole repose sur la production de produits périssables est, en soi, une source de vulnérabilité majeure, encore accentuée par son exposition aux intempéries et aux risques d’embargo. À cela s’ajoute notre incapacité à nous défendre face à une concurrence dont les prix bas s’expliquent par des modes de production qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences que les nôtres, le Ceta – l’accord de libre-échange entre UE et Canada – autorisant l’utilisation de 46 substances interdites en France. Qui dit marché unique devrait pourtant dire règles uniques ; conditions de production équivalentes ! Le fait que ce ne soit pas le cas aujourd’hui nous désavantage d’autant plus que, sur le marché national, nous sommes face à un citoyen qui nous commande du premium que le consommateur, lui, entend payer au prix du low-cost. Ce n’est pas tenable.
Comment expliquez-vous qu’une telle « dictature des prix bas » perdure ?
Par le fait qu’en France, les grands distributeurs se partagent 92 % de la distribution alimentaire alors qu’en Italie, par exemple, ils n’en détiennent que 50 %. Cette proportion écrasante rend la grande distribution toute puissante. Cela déséquilibre d’autant plus le rapport de force avec les agriculteurs que notre profession est extrêmement atomisée. On compte en France 400 000 exploitations contre 4 grandes centrales d’achats ! Voilà pourquoi il est vital que nous puissions nous rapprocher sans être accusés de porter atteinte aux droits de la concurrence.
Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ?
Qu’ils légifèrent et retouchent la loi de modernisation de l’économie qui encadre les relations entre acteurs économiques. Pour l’heure, nous sommes démunis. Incapables de faire valoir le coût de cette production française premium que nous demande le citoyen français.
Propos recueillis par Caroline Castets