Le procès des assistants parlementaires européens du Rassemblement national, dans lequel Marine Le Pen est poursuivie pour détournement de fonds publics, se poursuit et les débats s’enlisent. Le 14 octobre, la députée du Pas-de-Calais a exposé sa vision politique du travail des représentants au Parlement européen, travail inextricable des activités du parti.

Il aura fallu patienter le 14 octobre pour entendre Marine Le Pen l’oratrice. La foule, faite d’étudiants en droit et de badauds qui retrouvent les bancs du tribunal correctionnel de Paris chaque semaine, s'était un peu dispersée lorsque, vers 17h30, le ton est monté entre la présidente du Rassemblement national et celle du tribunal, excédées l’une comme l’autre par leurs divergences de conception de l’affaire.

Le ton monte

Il aura fallu revivre un énième débat sur l’étendue des faits et sur les contrats concernés avant d’entendre les positions de Marine Le Pen sur les accusations qui lui sont faites. Son axe de défense visait ce lundi la dimension politique du travail des assistants parlementaires. On ne devrait pas leur reprocher de travailler pour le parti (de faire de la politique donc). Les en empêcher friserait même la violation de leurs droits fondamentaux, selon Marine Le Pen qui regrette qu’on ne se réfère pas pour cette affaire à l’Assemblée nationale française – beaucoup plus "claire" que le Parlement européen sur le sujet –, laquelle prévoit que l’activité politique du député fait partie de son mandat.

Selon l’argumentaire consigné dans une flopée de pochettes plastiques colorées et de petites fiches que Marine Le Pen regarde à peine, Bruxelles ne prévoit nulle part le contenu du travail de l’assistant parlementaire. L’institution précise toutefois de façon évidente que "les assistants ne doivent pas exercer d’activités susceptibles de créer un conflit d’intérêts".

Un des axes de défense de Marine Le Pen ? Empêcher les assistants de travailler pour le parti friserait la violation de leurs droits fondamentaux

C’est à peu près à ce moment-là que les voix ont commencé à s’élever. Au bout de quatre heures d’audience, alors qu’on en était à étudier l’organigramme du parti, la présidente du tribunal, Bénédicte de Perthuis, demande à Marine Le Pen si elle n’a pas eu conscience du risque en embauchant comme assistants parlementaires des personnes qui avaient des fonctions actives au sein du parti.

La députée du Pas-de-Calais explose : "À l’époque, nous ne nous rendions pas compte du risque, nous n’aurions pas publié l’organigramme ni ne l’aurions envoyé à tous les journalistes. Oui, aujourd’hui, j’ai compris qu’il y avait un risque, mais à l’époque non" ; tout en rappelant le poids psychologique et affectif du procès. La juge s’impatiente elle aussi, les discussions piétinent : "Vous avez conscience de l’interdiction d’utiliser l’enveloppe pour financer le parti. Mais d’un œil extérieur, il est évident qu’il y a un risque avec quelqu’un qui a la double casquette, du Parlement européen et du parti, qu’on ne puisse identifier pour qui il travaille."

“Nous sommes radicalement opposés à la manière dont fonctionne le Parlement européen”

Parlement européen, ce "blob"

Une sortie qui intervient après plusieurs heures d’exposé de Marine Le Pen sur le Parlement européen et son fonctionnement, sur ce "blob", le monstre extraterrestre du film américain de 1958 (The Blob) qui engloutit tout sur son passage. "Le Parlement européen fonctionne d’une telle manière qu’il engloutit les députés européens. Il y a tout: on peut y dormir, y manger, s’y faire couper les cheveux, il y a même des bars." Et pour Marine Le Pen, la responsabilité du parti c’est d’extraire les députés de ce système en vase clos pour qu’ils gardent le contact avec ceux qu’ils représentent. "L’exercice de leur mandat doit servir la cause politique du mouvement qu’ils représentent, pour obtenir encore plus de députés à la prochaine élection." Tout pour le parti donc. Guère étonnant de la part d’un mouvement qui se dit "radicalement opposé à la manière dont fonctionne le Parlement européen".

D’ailleurs, lorsque le ministère public lui demandera un peu plus tard si les commodités qu’offre le Parlement européen aux députés et à leurs assistants n’ont pas justement pour objectif de permettre aux eurodéputés de se dégager du temps pour le travail parlementaire, Marine Le Pen répondra que oui, le Parlement doit vouloir attirer les eurodéputés, avec les 300 euros qu’il leur verse par jour de présence – encore une façon de signifier le gaspillage de l’argent du contribuable au profit d’institutions en lesquelles elle ne croit pas.

740 minutes

Puis l’on parle longuement du statut des assistants parlementaires, clarifié en 2009, qui a créé les assistants parlementaires accrédités, basés dans l'un des trois lieux de travail du Parlement européen – Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg – et qui assistent directement les députés dans leur travail. À ne pas confondre avec les assistants locaux qui accompagnent le député dans sa circonscription, et qui peuvent loger où bon leur semble. Les premiers sont employés par le Parlement européen, mais recrutés par le député qui prélève leur salaire sur l’enveloppe budgétaire que l’Union européenne lui a remise. Les assistants accrédités bénéficient d’une fiscalité avantageuse, qui compense l’obligation de résidence, explique-t-on, du côté du Parlement européen.

Pour leur part, les assistants locaux sont soumis au droit national. Catherine Griset, l’assistante de Marine Le Pen depuis toujours – embauchée par Marine l’avocate lorsqu’elle exerçait encore avant de fonder le service juridique du Front national – est passée de l’un à l’autre. Assistante locale depuis 2008, après plus de dix ans comme secrétaire de Marine Le Pen au parti, elle devient assistante accréditée en 2014. Pourtant, le système de badge du Parlement indique qu’elle n’a passé que 740 minutes, soit douze heures, dans les locaux de l’institution, entre octobre 2014 et août 2015, contre quinze à vingt-deux jours par mois au siège du parti d’extrême droite. Certains témoins affirment même l’y avoir vue quotidiennement, selon la présidente du tribunal. Nouvelle source de tensions : Marine Le Pen affirme aller et venir au Parlement sans badger, ce à quoi le directeur général des finances du Parlement Didier Klethi répond que "tout le monde doit badger".

 “Je ne savais pas que cela voulait dire faire du 8h-17h dans les locaux du Parlement”

D’ailleurs, on a du mal à comprendre où habite Catherine Griset, qui passe visiblement plus de temps à Paris qu’à Bruxelles, et à qui le comptable Charles Van Houtte prêtait une chambre dans la maison où il vit avec son épouse et ses nombreux enfants, précise la présidente du tribunal. Et qui a dit de cette chambre qu’elle était plus un pied à terre qu’une résidence principale – c’est lui qui a confirmé aux enquêteurs belges le caractère fictif des contrats d’assistant parlementaire de Thierry Légier et Catherine Griset. Marine Le Pen reporte d’ailleurs la faute sur son comptable belge, qui aurait pu lui indiquer les implications du passage d’assistant local à assistant accrédité. "Je ne savais pas que cela voulait dire faire du 8h-17h dans les locaux du Parlement", se justifie-t-elle. Elle pensait simplement que l’assistant accrédité pouvait entrer plus simplement à Bruxelles. "Ce qui apparaît clair quinze ans après ne l’était pas à l’époque. Je pensais qu’il fallait avoir une résidence à Bruxelles et pas résider à Bruxelles". Malentendu donc.

Quant aux tâches de Catherine Griset, qui selon l'accusation relevaient davantage de celles de chef de cabinet au RN, c’est un peu plus précis. Marine Le Pen ne s’en cache pas, c’est son assistante qui ouvrait tous ses mails, peu importe la boîte : du parlement, du Front national ou les "gmail". Celle devenue à son tour eurodéputée en 2018 s’occupait de son agenda, de ses rendez-vous, de la réservation de ses trains et de ses hôtels. Et puis, raconte la candidate à la présidentielle, Catherine Griset ne demandait pas aux journalistes qui sollicitaient un entretien avec Marine Le Pen s’ils souhaitaient parler avec la députée européenne ou la politicienne française.

On comprend que dans l’esprit de la chef du Rassemblement national, sa secrétaire-assistante parlementaire l’aide dans ses fonctions au parti comme dans celles au Parlement. Parce qu’à ses yeux, œuvrer pour le parti contribue au travail d’un député. "Un député européen qui ne prend plus part à la vie du parti s’est laissé manger par le blob (…) Son mandat recouvre aussi l’activité politique (…) Si tous les députés se mettaient à limiter leur mandat à l’activité législative, alors le parti serait mort." Tout pour le parti, encore une fois. Quand Marine Le Pen s’étonne de devoir rappeler la nature des partis politiques régis par la loi de 1901 sur les associations et alimentés par des bénévoles, la présidente Bénédicte de Perthuis tique. "Madame Bruna ne vit pas d’amour et d’eau fraîche", au sujet de l’ex-secrétaire particulière de Jean-Marie Le Pen et ex-assistante parlementaire de Fernand Le Rachinel, qui nie avoir réellement travaillé avec elle.

Mais alors, l’interroge le Parquet, quid de l’indépendance et de la liberté de vote des députés ? La question intéresse beaucoup Marine Le Pen qui a la réponse sur le bout de la langue : "Quand on ne souhaite pas être soumis à la discipline de groupe, on ne rentre pas dans le groupe." Selon elle, les consignes de vote dans les partis, c’est le principe même du fonctionnement de la vie politique. (Qu’elle n’a pas inventé, mais si elle avait dû l’inventer, elle aurait fait pareil.)

Anne-Laure Blouin

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