L’instabilité politique de ces derniers mois a mis au chômage des centaines de collaborateurs ministériels. Leur nombre est si élevé qu’il rend leur reconversion dans le secteur privé de plus en plus difficile.
Collaborateurs ministériels, focus sur un plan social méconnu
Les lecteurs de Harry Potter le savent bien, le poste de professeur de défense contre les forces du mal est maudit et aucun enseignant ne tient plus d’une année. Pourtant, une fonction est encore plus instable, celle de premier ministre. En 2024, Matignon a accueilli quatre locataires avec, à chaque fois, un remaniement de plus ou moins grande ampleur. À cela s’ajoute la dissolution de l’Assemblée nationale. Cette instabilité politique a une conséquence peu connue du grand public : des centaines de collaborateurs ministériels ont perdu leur poste et se retrouvent sur le marché du travail. Comment se reconvertir ? Vers quel secteur d’activité se tourner ?
Entreprises, recrutez un collab
Les personnes sur le carreau peuvent se consoler, elles disposent sur le papier de compétences pointues et recherchées. "Il s’agit de profils agiles, capables de passer d’un dossier à l’autre, de résister à la pression, de travailler dans l’urgence. Ils possèdent également les codes pour s’adresser à une autorité publique ou privée", explique Guillaume Rivalland qui a officié comme chef de cabinet et conseiller affaires réservées auprès de Sébastien Lecornu entre 2017 et 2020 avant de cofonder Exanter, une société de conseil et de recrutement qui "place" de nombreux profils passés par les ministères.
Ces hard skills et soft skills intéressent une large palette d’entreprises. "Les lieux les plus accueillants sont le conseil au sens large, que ce soit dans la communication, les affaires publiques, la transition écologique, le recrutement", énumère le dirigeant qui distingue également "l’associatif ainsi que les fédérations publiques ou les ordres professionnels" comme pistes d’atterrissage privilégiées. Depuis quelques années, les "bras droits" de dirigeants de la tech constituent un nouveau débouché.
"Mon téléphone et ma messagerie LinkedIn sont en surchauffe depuis un an et le nombre d'offres de service n'a jamais été si élevé"
Pression sur le marché
Si l’offre d’emploi est au rendez-vous, elle croît moins vite que le nombre de conseillers ministériels contraints à la reconversion dans le privé. Guilhaume Jean, directeur conseil et affaires publiques chez JIN le constate au quotidien : "Mon téléphone et ma messagerie LinkedIn sont en surchauffe depuis un an et le nombre d’offres de service n’a jamais été aussi élevé." Cela commence à avoir des conséquences dans le milieu des affaires publiques, observe le professionnel : "Le marché est déstabilisé, le nombre de CV pour un poste est susceptible d’engendrer une pression à la baisse sur les salaires. Dans le même temps, de nombreux anciens membres de cab’ créent leur propre boutique, ce qui concurrence les sociétés de la place qui peuvent avoir moins de budget et de postes à pourvoir."
Un avis partagé par Camille Chaussinand, ancien collaborateur d’Olivier Véran. Désormais maître de conférences en communication politique à l’IEP de Grenoble et communicant indépendant, il constate que "plus il y a des remaniements, plus il y a des candidats sur un marché qui n’est pas extensible". La valse des gouvernements a donc des répercussions pour les évincés des ministères cherchant à se recaser. Auparavant, les marées de candidatures avaient lieu tous les cinq ans en moyenne, désormais le rythme est bien plus effréné.
"Le nombre de CV pour un poste est susceptible d'engendrer une pression à la baisse sur les salaires. Dans le même temps, de nombreux anciens membres de cab' lancent leur boutique ce qui concurrence les sociétés de la place qui peuvent avoir moins de budget et de postes à pourvoir"
L’instabilité politique nuit à l’employabilité
Au-delà de la question du flux, se pose la question de l’employabilité. Longtemps les anciens d’équipe ministérielles étaient recherchés pour leur précieux carnet d’adresses. "Aujourd’hui l’écosystème est instable et les carnets d’adresses ont moins de valeur", pointe Guilhaume Jean qui va jusqu’à évoquer une "obsolescence programmée du réseau". "Quelle est la valeur du réseau de quelqu’un qui se vante de bien connaître l’entourage de Michel Barnier ?", s’interroge le professionnel des affaires publiques.
Outre la concurrence et l’obsolescence programmée, les candidats font face à une autre difficulté : la faible durée de leur expérience sous les ors des ministères. "Dans tous les postes, il faut entre deux et trois mois pour prendre ses marques. Un passage de moins d’un an est donc peu valorisé aux yeux des recruteurs", estime Camille Chaussinand qui pointe le risque de recruter des profils trop jeunes et trop inexpérimentés. Guillaume Rivalland note de son côté "un rajeunissement du personnel en cabinet depuis Jean Castex, mais les rémunérations n’ont pas bougé, elles sont hautes, bien plus que dans le privé". Souvent, la reconversion se manifeste donc par une perte financière.
Des employeurs plus circonspects
Pendant des années, au moment des remaniements, les sociétés de conseil, les grands groupes du CAC 40, les associations, fédérations professionnelles et autres entreprises publiques s’arrachaient les meilleurs éléments. C’est moins le cas en 2024, les employeurs étant directement contactés, du fait de cette fameuse instabilité. Mais ce n’est pas la seule raison.
Comme l’observe Guillaume Rivalland, "l’employeur privé est plus vigilant, il n’y a plus d’effet d’attente à bras ouverts dans les secteurs traditionnellement accueillants". Dans les affaires publiques, Guilhaume Jean est persuadé que "l’on a toujours besoin de bons connaisseurs de la politique dans un environnement de plus en plus instable. Mais, à compétence égale, on préfère quelqu’un qui ne vient pas de la politique". L’une des raisons invoquées peut sembler logique : si les passages en ministères sont plus brefs, ils sont aussi plus fréquents. Offrir à un emploi important à quelqu’un qui susceptible de retourner à la politique du jour au lendemain peut être un frein.
Camille Chaussinand, pour sa part, met sur le tapis une hypothèse qui pourrait inquiéter les candidats potentiels : "Les études d’opinion le montrent, la politique, notamment nationale, a une image de plus en plus en plus mauvaise auprès des Français. Ils voient cela comme une chose opaque, floue, peu claire, inefficace. Forcément cela peut jouer sur les recruteurs." En premier lieu sur ceux qui ne sont pas habitués à piocher dans ce type de profil. C’est notamment le cas des TPE ou des PME qui deviennent pourtant une cible puisque les employeurs traditionnels d’anciens conseillers ministériels ne peuvent absorber tout le flux.
Recourir aux services d'un chasseur de têtes permet de "traduire en langage corporate" le savoir-faire acquis dans un ministère
Comment convaincre un recruteur ?
Postuler dans ce type d’entreprise que l’on peut qualifier de classique est un défi pour le candidat et l’employeur. "Ce dernier connaît peu ce que l’on fait au service de l’État, il est donc difficile pour lui de mesurer ce que l’on sait faire de concret", affirme l’enseignant en communication politique.
Pour être le plus convaincant possible en entretien et sur son CV, Guilhaume Jean conseille de faire appel à un chasseur de têtes : "Votre savoir-faire est transférable dans le secteur privé mais il doit être reformulé d’une manière à ce qu’il soit compréhensible par tous les RH, c’est un premier travail incontournable à mener."
Dès la lettre de motivation et lors d’un entretien, il est également indispensable de souligner d’emblée que le travail en ministère était une parenthèse et que, désormais, c’est à son nouvel employeur que l’on offre sa loyauté et son engagement total. Si possible pour une durée de plus de quelques mois.
Lucas Jakubowicz