Les implantations de gigafactories font la une des journaux. Pourtant, les 316 usines créées entre 2017 et 2023 en France sont pour beaucoup le fait d’ETI. La taille des projets, l’actionnariat ou encore leur implantation dans les territoires en font les acteurs sur lesquels il faudra compter pour réindustrialiser le pays et dynamiser l’économie.

En 2023, le spécialiste des prothèses dentaires Biotech Dental inaugurait une usine de 3 500 m2 à Salon-de-Provence grâce à un investissement de 15 millions d’euros permettant de générer 300 emplois. La même année sortait de terre à Lièpvre une usine Burger & Cie de 8 000 m2 pouvant accueillir 28 nouveaux employés et financée pour 26 millions d’euros par ce spécialiste du bois. Toujours sur cette période, Didactic, dont les dispositifs médicaux simplifient le quotidien des cliniques et des hôpitaux, mettait 12 millions d’euros sur la table afin d’édifier un bâtiment de production et un entrepôt de stockage à Saint-Jean-de-la-Neuville. Dans le même temps, le fabricant de couches écologiques Naturopera s’agrandissait de 18 000 m2 à Bully-les-Mines.

Le point commun entre ces projets ? Ils sont portés par des ETI. La moitié des 6 200 entreprises françaises de taille intermédiaire - c’est à-dire celles qui génèrent entre 50 millions et 1,5 milliard d’euros - ont des activités industrielles. "En France, 10 % du PIB est issu du secteur industriel. La création de valeur des ETI reposant sur le secteur industriel est, elle, plutôt de 40 %", souligne Georges Maregiano, directeur national du marché ETI dont le cabinet, KPMG, a publié en septembre dernier une étude intitulée (Ré)industrialisation, le facteur ETI. L’associé ajoute que "les très belles PME et les ETI ont des qualités qui leur sont propres et peuvent leur permettre de porter une partie du projet de société qu’est la réindustrialisation". Et ainsi dynamiser l’économie.

Maillage territorial

Pourquoi miser sur les ETI ? 70 % de leurs sièges sociaux sont basés dans les territoires. "Toutes les régions sont concernées régulièrement par des projets", relève Georges Maregiano. En outre, 69 % des entreprises de taille intermédiaire ont une famille, majoritaire ou non, à leur capital. Cela facilite la mise en place de stratégies sur le long terme, élément nécessaire lorsqu’on agrandit ou qu’on ouvre une usine. En outre, les familles ne sont pas exclusivement tournées vers la rentabilité rapide, savent faire le dos rond en cas de turbulences économiques et démontrent un attachement aux territoires, lequel favorise un dialogue constructif avec les habitants et les représentants de l’État. Autant de bons points qui mettent de l’huile dans les rouages lorsqu’il s’agit de faire émerger de nouveaux sites industriels.

Projets maîtrisables

Plutôt que de brasser des chiffres sur le sujet de la réindustrialisation, KPMG a interrogé des dirigeants d’entreprise sur des projets d’usine ayant eu cours lors des trois dernières années. "Nous avons repéré trois points communs aux entreprises : elles sont situées à proximité de villes moyennes loin des centres décisionnels métropolitains, elles ont un ancrage territorial profond et se sentent investies d’un rôle de cohésion sociale, expose Pierre Mescheriakoff, directeur entreprises et territoires chez KPMG et coauteur de l’étude. Enfin, la surface de leurs projets d’usine (entre 2 000 et 15 000 m2) et les montants investis leur permettent de rester en dessous des seuils réglementaires nécessitant des interactions publiques importantes, et d’avoir des chantiers maîtrisables."

70 % des sièges sociaux des ETI sont basés dans les territoires

KPMG met en avant les facteurs, pris en compte par les ETI, qui conditionnent la réussite de la réindustrialisation. "Les nouvelles unités de production intègrent systématiquement une part d’innovation, note Pierre Mescheriakoff. Il ne s’agit pas de R&D fondamentale mais d’innovations opérationnelles, d’automatisation et de digitalisation des process, d’optimisation des matières premières ou de l’énergie. C’est d’autant plus vrai quand les entreprises rapatrient des activités qui étaient à l’étranger car elles ont besoin d'adjoindre une valeur ajoutée supplémentaire."

Attirer les talents

L’ancrage territorial des ETI leur permet en outre d’éviter les pénuries foncières. Beaucoup constituent des réserves foncières et les interactions qu’elles entretiennent avec l’écosystème local leur facilitent l’obtention de nouveaux terrains. Toutefois, les entreprises restent en alerte sur le sujet, craignant la mise en place de la loi Climat et Résilience qui prévoit d’atteindre le "zéro artificialisation nette" des sols d’ici à 2050.

La proximité des ETI avec leurs écosystèmes locaux facilitent les recrutements 

La proximité des ETI avec ce qui est souvent leur terre d’origine rend également plus faciles les recrutements. Ce qui est loin d’être anodin dans un contexte où l’industrie peine à attirer des candidats, surtout les plus jeunes. Or, souligne Pierre Mescheriakoff, "les nouvelles usines sont conçues comme des éléments phares de la marque employeur".

Sans surprise, la réindustrialisation se heurte parfois à la réglementation. "Toutefois, malgré le millefeuille administratif, les chefs d’entreprise ont trouvé des interlocuteurs publics qui ont facilité leurs démarches", précise Pierre Mescheriakoff. Néanmoins, alerte Georges Maregiano, "l’instabilité fiscale reste un point d’attention. Il faut notamment sanctuariser le Pacte Dutreil". Les discussions actuelles autour du budget 2025 seront également scrutées de près par les patrons.

 

Iparla - Le mouton à cinq pattes

La participation active des ETI au sein de leur écosystème de proximité offre des possibilités de mutualisation entre industriels, note KPMG. Un bon exemple ? Celui de Pays Basque Industries qui a réuni des entreprises de son territoire pour lancer un projet de revalorisation des déchets.

Iparla a été dévoilé en septembre. Ce projet, mené à l’initiative de Pays Basque Industries (PBI), fédère 34 acteurs industriels du Sud-Ouest. Sa raison d’être : revaloriser les plastiques en sortie d’usine. Un travail de longue haleine puisque seulement 23 % des plastiques industriels en France sont réutilisés. "Les recycleurs ne se déplacent qu’à partir de 10 ou 15 tonnes, ce qui est un volume important pour des entreprises de taille intermédiaire. Recycler leur demande également de fournir un véritable travail de tri", explique Thibault Hourquebie, délégué général de PBI.

PBI a réalisé un diagnostic fondé sur le calcul des quantités de déchets, l’analyse de la récurrence, l’identification des polluants, tout en contactant des recycleurs mais aussi des clients finaux capables de réutiliser le plastique recyclé. "Le but est de valoriser petit à petit le plus de plastiques possibles, précise Thibault Hourquebie. Même si les industriels sont déjà en conformité avec les réglementations, la plupart des déchets finissent incinérés, et cela ne leur convient pas. Ils entreprennent une vraie démarche écologique."

Pour l’instant, deux projets entre deux industriels sont lancés. Des pièces de verrouillages pour des composteurs sont fabriquées par l’entreprise EBL à la demande de la PME Agec ; et un support de poire pour chaise est produit par la société Somocap pour Sokoa. "C’est une pièce que l’on fabriquait en Chine et que l’on a rapatriée au Pays basque il y a deux ans, raconte Timothée Achéritogaray, directeur général de Sokoa, fabricant de sièges de bureau. Nous nous sommes emparés du projet Iparla rapidement car nous avons la volonté de faire le plus possible d’achats locaux et c’est un projet de décarbonation concret. Nous les industriels, on aime le concret !".

Pour ce faire, les nouveaux produits recyclés ont été l’objet de prototypages et ont dû prouver qu’ils répondaient aux normes. "Nous sommes pour le moment sur de petites quantités mais nous aimerions aller vers de plus grands volumes, notamment en utilisant des pièces recyclées plus grandes et donc plus techniques", ajoute Timothée Achéritogaray. De plus gros volumes et de la récurrence permettront de dynamiser l’activité des recycleurs voire d’employer davantage de personnes. Un cercle vertueux à tout point de vue donc.

Olivia Vignaud

Photo : Sokoa

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