Fondateur du cabinet Effective IP, François-Xavier Boulin, spécialiste de la PI, des nouvelles technologies et des données personnelles, et Hanna Wiadrowska, avocat collaborateur, reviennent sur les enjeux de propriété intellectuelle des NFT, ces œuvres d’art numérique, qui atteignent aujourd'hui des records de vente et rivalisent avec le marché de l’art traditionnel.

DÉCIDEURS. Ces derniers mois, l’actualité de la blockchain a été rythmée par de nombreuses discussions sur l’utilisation des NFT dans le domaine de l’art numérique au regard de l’engouement des investisseurs pour cette nouvelle technologie, et des questions de droit de propriété intellectuelle en résultant. Pouvez-vous nous en présenter les enjeux ? 

François-Xavier Boulin. Les NFT [Non Fongible Tokens et, en français, les jetons non fongibles, Ndlr] représentent un actif numérique visant à certifier l’authenticité de cet actif et sa non-interchangeabilité. Dans le cas d’une œuvre d’art numérisée par son auteur (sous format JPEG, MP3…), celui-ci pourrait l’inscrire dans une blockchain et générer ainsi un certificat d’authenticité NFT unique, indivisible et théoriquement infalsifiable. En plus de désigner l’auteur de l’œuvre, ce certificat permet d’attester de la propriété du NFT. Ainsi, ce dernier n’est ni l’œuvre, ni son support, mais la preuve de son inscription dans la blockchain.  

Hanna Wiadrowska. En toute légalité, de nombreux artistes ont compris l’avantage des NFT. En inscrivant leur œuvre au sein de la blockchain, ils datent et garantissent leur paternité sur l’œuvre. En outre, ils en assurent la traçabilité et la monétisation sous forme numérique. Pour l’acheteur, l’acquisition du NFT établit son droit exclusif d’accès au fichier numérique, mais également sa capacité de le revendre. Profitant de ce marché secondaire de l’art, plusieurs plateformes, telles qu’OpenSea, Binance NFT et Rarible, mettent ainsi en relation les titulaires de NFT et de potentiels acquéreurs, où les transactions s’opèrent en cryptomonnaies. 

"En inscrivant
leur oeuvre au sein
de la blockchain,
les artistes datent
et garantissent
leur paternité
sur l’oeuvre"

Or, l’explosion du cours des cryptomonnaies a entraîné un intérêt croissant des investisseurs pour le marché de l’art numérique, qui pèse aujourd’hui plusieurs milliards de dollars. Début mars 2021, l’œuvre numérique Everydays : the first 5 000 days de l’américain Beeple a atteint le montant record de 58 millions d’euros. Quels sont les enjeux au regard de la PI ? 

F.-X. B. À l’aune des plus-values propres aux NFT, des personnes peu scrupuleuses cherchent à enregistrer des œuvres au mépris des droits de l’artiste ou de tiers. Sans en être l’auteur ou l’ayant droit, il est possible, voire aisé, pour quiconque de numériser une œuvre, d’en obtenir le certificat NFT et ensuite de le revendre sous l’apparence de l’authenticité. Dans cet espace numérique, où la propriété intellectuelle peine à être respectée, des contrefaçons digitales font l’objet de diffusion, et surtout, de monétisation. Fin 2021, les MetaBirkins de Mason Rothschild, des reproductions numériques du célèbre sac Birkin de la Maison Hermès, ont frôlé les 800 000 dollars lors de ventes en ligne. 

Quels sont les moyens juridiques dont disposent les auteurs ou titulaires de droits pour répondre à ces nouveaux enjeux ? 

H. W. Pour les titulaires de droits, le premier réflexe devrait être de surveiller les plateformes, afin de réagir promptement à d’éventuels contenus illicites, avant même qu’ils ne fassent l’objet de transactions. Dès lors, s’investir dans les plateformes présente ainsi un intérêt double : bénéficier de l’authenticité et de la force commerciale du circuit blockchain, mais aussi se présenter en tant que titulaire de droits sur ses contenus et acteur de cet écosystème. 

F.-X. B. En cas d’atteinte, les parties lésées doivent se montrer réactives dans la constitution d’un dossier de preuves, puis en le notifiant aux hébergeurs de la plateforme concernée. Si ces recours restent sans suite, la législation française dispose d’un arsenal juridique intéressant en matière de droits de propriété intellectuelle. En obtenant des requêtes d’identification et des mesures conservatoires – interdiction – à l’égard de plateformes, il est possible de les impliquer, et c’est, à notre sens, cette responsabilisation de tous les intervenants qui amorcera de nouvelles pratiques plus respectueuses des droits des tiers et la pérennité de ce nouveau marché de l’art. 

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