Pourquoi le risque de greenwashing devient un enjeu majeur pour les banques
Le greenwashing ou verdissement de façade, intervient quand une entreprise met en œuvre des allégations de durabilité qui ne reflètent pas fidèlement son profil environnemental ou social. Le risque de greenwashing, c’est-à-dire le risque de suivre ces pratiques et d’en être sanctionné, est d’abord lié au cadre réglementaire exigeant, qui appelle les banques à la transparence.
Renforcement de l’exigence de transparence
La norme SFDR aborde la question de la transparence en matière de durabilité des produits financiers. Début 2023, la norme CSRD a renforcé cette exigence, obligeant les entreprises à publier des données sur leur impact environnemental et social. Ce cadre réglementaire prévoit des obligations de reporting dense et des sanctions jusqu’à 10 millions d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel pour la SFDR. Ces mesures ajoutent une pression sur les entreprises pour qu’elles se conforment et provisionnent en conséquence.
Durcissement du cadre
En 2020, une enquête de la Commission Européenne avait conclu que sur 150 allégations environnementales faites par les entreprises, 40 % manquaient de preuves factuelles. Cela a conduit à l’adoption de nouvelles directives. La directive 2024/825, adoptée en 2024, impose désormais que toute revendication de "neutralité carbone" soit étayée par des preuves claires et vérifiables. Elle durcit également les conditions d’attribution des éco-labels. La directive Green Claims, en cours de finalisation, élargit cette exigence à toutes les allégations écologiques, qui devront reposer sur des preuves scientifiques et des audits par des tiers. Les sanctions pourront atteindre 4 % du chiffre d’affaires, pour dissuader toute pratique de greenwashing.
Dissuasion plutôt qu’encouragement à la transparence
Même si l’objectif est de réguler les allégations "vertes", l’application de ce cadre est un véritable challenge, notamment pour les banques déjà soumises à un cadre normatif dense. L’ambiguïté des critères de preuve requis et la lourdeur de la charge administrative associée augmentent le risque de sanctions et renforcent la tentation de l’éco-silence. Les régulateurs eux-mêmes – EBA, ESMA et EIOPA – admettent que le manque d’expertise face à des risques de greenwashing de plus en plus complexes entrave la matérialisation des sanctions.
Stratégie durable des banques et augmentation de leur exposition au risque de greenwashing
Comment les banques, en agissant, s’exposent à ce risque ?
Les banques ont de fait évolué vers des pratiques plus durables, exposant ainsi leurs engagements écologiques au risque de greenwashing.
1er écueil - Elles proposent un éventail de produits estampillés "verts" qui doivent financer des initiatives durables, mais qui ouvrent des brèches au greenwashing. Exemples :
• Green bonds : sans un suivi rigoureux du fléchage des fonds, elles peuvent financer des projets non conformes aux attentes environnementales et compromettre l’intégrité de leurs émetteurs.
• Fonds d’investissement durables (ESG) : des critères de sélection peu stricts peuvent inclure des entreprises dont les pratiques contredisent les objectifs de durabilité affichés.
2e écueil - les banques communiquent sur des engagements écologiques qu’elles ne concrétisent pas ou dont le résultat ne garantit pas l’impact réel promis. En 2022, HSBC a été épinglée pour des publicités qui, vantant ses engagements écologiques, masquaient son financement de projets polluants, rendant ses promesses "trompeuses" et incompatibles avec ses ambitions vertes.
3e écueil - les banques affichent des actions concrètes mais jugées insuffisantes par les régulateurs et la société civile. En 2023, BNP Paribas a été poursuivie par trois ONG pour non-respect de ses obligations de vigilance environnementale. Malgré une réduction de 78 % de ses financements dans les énergies fossiles, les ONG estiment ces efforts insuffisants face aux enjeux actuels.
Quelles sont en réalité les sources de la défaillance
Pour répondre aux exigences réglementaires comme aux attentes des clients, les banques doivent concrétiser leur stratégie durable dans leur fonctionnement interne. Cela nécessite un véritable shift culturel et des investissements forts.
Gouvernance et Capacité de décision
Les banques peinent à établir une gouvernance efficace qui intègre la durabilité dans les décisions. Au-delà du renoncement à certains projets, les divulgations de durabilité fiables sont souvent entravées par un déficit d’expertise, limitant leur capacité à prendre des décisions éclairées.
Fiabilité des données
L’accès limité à des données de qualité sur la durabilité complique l’évaluation des impacts de leurs produits. Les informations exposées peuvent alors paraître opaques alors qu’elles sont le plus souvent incomplètes. Cette situation complique également la tâche du régulateur, qui doit déceler si le greenwashing est délibéré ou lié à une défaillance dans la collecte des données.
Cadre réglementaire évolutif
Les exigences de reporting, en constante évolution, créent des défis de conformité. Les directives SFDR & CSRD exigent une collecte de données améliorée ; toutefois, sans expertise interne suffisante, les banques risquent de présenter des incohérences.
Maîtrise de la chaîne de valeur
Un engagement sincère vers des pratiques durables exige une maîtrise complète de la chaîne de valeur des projets financés. Traçabilité des fonds, identification de tous les acteurs ou évaluation des impacts à long terme sont clés pour prouver l’impact positif des investissements.
Activation du risque de greenwashing par l’atteinte à la réputation
Le risque de greenwashing s’active aussi par le risque de réputation. Selon le Trust Barometer 2023 d’Edelman, 65 % des répondants estiment que les promesses environnementales des entreprises ne sont que des engagements de façade. Ce scepticisme s’intensifie dans les secteurs prioritaires pour la transition, comme les banques.
Impact du greenwashing sur la réputation
Intentionnel ou non, le greenwashing érode la confiance des clients et des investisseurs.
Perte de confiance des clients
Les clients, sensibles à ces enjeux, peuvent réagir aux allégations trompeuses, exposant les banques à un risque de greenwashing nuisible pour leur réputation. Une étude de Shift Insight montre que 48 % des sondés achèteraient moins auprès d’une entreprise reconnue coupable de greenwashing.
• Les clients particuliers : influencés par leurs engagements personnels et les ONG, certains se tournent vers des néobanques plus vertes, qui gagnent du terrain face aux grandes banques qui, elles, doivent encore se dégager de leurs encours non durables. Les clients privilégient ainsi les résultats immédiats et sans ambiguïté des néobanques ;
• Les clients professionnels : les engagements en durabilité de la banque et de son client se combinent et doivent être cohérents. Quand chaque acteur économique rencontre les difficultés vues plus haut, il est facile d’imaginer la complexité d’un projet commun.
Perte de confiance des investisseurs
La réputation d’une banque influence sa valeur sur le marché. Dans ce contexte, les pratiques de greenwashing attirent l’attention des investisseurs. En 2020, Deutsche Bank par le biais de sa société de gestion, a été accusée de gonfler ses investissements ESG. Le cours de l’action a perdu 2 % après les premières perquisitions. Le retrait des investisseurs institutionnels, intégrant des critères ESG dans leurs décisions, pourrait également impacter durablement les capacités des banques.
Sous l’impulsion de la BCE, les banques pèsent l’impact d’un déficit de réputation sur leur liquidité. Parmi tous les grands scenarii de crise (fraude, crise de gouvernance, etc.), la place du risque de greenwashing semble être aujourd’hui sur le podium.
SUR LES AUTEURS
Stéphanie Thierry est associée Banque & Assurance chez SpinPart, cabinet de conseil en management. Elle accompagne les principaux acteurs du secteur dans leurs projets de transformation et de performance, notamment liés à la maîtrise des risques.
Sonia Benberghout est consultante chez SpinPart au sein de la practice Banque & Assurance. Ses expériences lui ont permis de cerner les métiers et enjeux de l’industrie bancaire. Elle combine aujourd’hui une double expertise en finance et en gestion de la relation client.