Par Denis Andres, avocat associé, et Jacques Mestoudjian, avocat manager. Arsene Taxand
Discussions sur la dernière couche d’un millefeuille fiscal
Le nouvel article 212 I du CGI, applicable aux exercices clos à compter du 25.09.2013, comprend une nouvelle règle de limitation de la déduction des intérêts pour les débiteurs soumis à l’IS. L’administration a publié un projet de Bofip le 15 avril commentant ce nouveau dispositif «?anti-hybrides?» qui appelait des réserves dans le cadre de la consultation publique achevée le 30?avril dernier.
Ce nouveau mécanisme conçu à l’origine comme un dispositif anti-abus a finalement été adopté sous une forme très générale interdisant la déduction des intérêts versés à des entreprises liées (1) lorsque l’entreprise débitrice ne peut démontrer que le créancier prêteur «?est, au titre de l’exercice en cours, assujetti à raison de ces mêmes intérêts à un [IS (ou équivalent)] dont le montant est au moins égal au 1/4 de l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun?», que cette entreprise prêteuse soit ou non résidente de France.
Appréciation du niveau d’imposition minimal du prêteur
La question consistait à savoir si l’administration considérerait la condition d’imposition du prêteur comme remplie dès lors que le produit financier serait pris en compte dans le revenu taxable du créancier soumis à un taux d’imposition d’au moins ¼ de l’IS français ou bien s’il fallait considérer le taux effectif d’imposition dudit revenu après prise en compte des charges affectables économiquement ou fiscalement à ce revenu (ce qui aurait pour effet d’élargir le champ d’application effective de la limitation).
Le projet de Bofip confirme l’analyse littérale et exégétique (2) du texte : il n’est tenu compte que du régime d’imposition du créancier et non des charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer son résultat imposable. Les situations anticipées par les praticiens (back to back, consolidation fiscale, situation déficitaire du prêteur) ne conduisent pas à dégrader la situation du créancier en la matière. Les règles d’assiette locales permettant de réduire le montant du produit imposable (ex. : abattement ou réfaction forfaitaire appliqué à ces intérêts) doivent en revanche être prises en compte pour considérer la condition d’imposition minimale. Des régimes de déduction forfaitaire non directement liés aux produits imposables (ex. : intérêts notionnels belges) devraient ainsi rester sans incidence sur la déduction de la charge en France.
La déduction n’est encore admise que si elle intervient au titre de la période de référence, correspondant à celle de perception et d’imposition par le créancier (cas d’exercices décalés). Mais le véritable enjeu concerne les situations de décalage dans le temps entre déduction et imposition, notamment lorsque les intérêts sont taxés au titre d’un exercice ultérieur, notamment du fait de règles comptable ou fiscale locales. Le débiteur doit alors rapporter la preuve de cette imposition à l’appui de la liasse fiscale dans laquelle la déduction sera réalisée et réintégrer fiscalement la charge correspondante au titre de l’exercice de comptabilisation.
Application en présence d’entités fiscalement transparentes
Le Bofip précise ses modalités d’application en présence de prêteurs constitués sous la forme d’entités transparentes au plan fiscal (sociétés visées à l’article 8 du CGI, OPC visés aux articles L214-1 à L214-191 du CoMoFi ou tout organisme étranger constitué sous une forme de nature équivalente) : la nouvelle limitation ne s’applique alors que s’il existe un double lien de dépendance (i) entre le débiteur et le créancier mais encore (ii) entre le créancier et ses associés ou porteurs de parts. Le niveau d’imposition minimal est apprécié au niveau des porteurs de parts ou associés.
Des interrogations demeurent cependant à la lecture du projet de Bofip.
- Le projet fait référence aux intérêts versés et non aux intérêts courus.
- La définition des OPC visés ne permet pas de sécuriser le régime des intérêts versés à des organismes non expressément visés tels les sociétés de capital-risque qui ne sont pas couvertes par la référence aux articles du CoMoFi en cause. La limitation pourrait ainsi s’appliquer aux SCR remplissant pourtant la condition de non double dépendance…
- À défaut de précision les investissements réalisés par des acteurs publics, français ou étrangers, exonérés d’IS pourraient également être concernés par cette nouvelle règle.
Certaines dispositions du projet semblent trop conservatrices.
- Les situations de superposition de structures transparentes liées sont traitées de manière trop disproportionnée. Les intérêts versés ne seraient, en l’état, pas déductibles chez la société débitrice soumise à l’IS, sans considération de l’absence de tout contrôle par les porteurs de parts de la structure transparente ultime. Il serait plus raisonnable que le texte ne s’applique qu’en considérant la double dépendance (i) au niveau du fonds créancier de la société soumise à l’IS et (ii) au niveau des porteurs de parts de l’OPC faitier.
- Tel est encore le cas de l’application de la limitation dans le cas d’une double dépendance avérée dans une structure d’investissement via une entité transparente détenue par un porteur «?lié?» et un porteur «?non lié?» : l’intégralité des intérêts versés à la structure transparente devrait être considérée comme non déductible chez le débiteur. Ici encore un assouplissement est attendu…
- Tel est enfin le cas de l’application de la limitation aux intérêts versés à une entité transparente exonérée qui rétrocède ou distribue le revenu en cause à ses porteurs de parts ou associés, sous une autre forme. En l’état, la déduction de ces intérêts pourrait être niée sur un double fondement : (i) absence, littéralement, d’imposition minimale des intérêts et (ii) décalage dans le temps dès lors que dans la plupart des cas les intérêts perçus par la structure transparente intermédiaire ne sont alloués ou distribués qu’au titre de l’exercice suivant aux porteurs ou associés.
Traitement fiscal des intérêts réintégrés sur ce fondement
Le projet de Bofip ne précise pas si les intérêts non déduits sur ce fondement seront qualifiés de revenus distribués. Il serait intéressant que l’administration précise que ces intérêts conservent leur nature au plan fiscal et ne soient ainsi pas qualifiés de revenus distribués, ainsi qu’elle l’a fait pour d’autres intérêts réintégrés sur la base des articles 212 I et 209 IX
du CGI. Sur ce dernier point encore la nouvelle copie de l’administration est très attendue.
1 Au sens de l’article 39 12 du CGI
2 Sénat, séance du 25 nov. 2013, art. 22 LF 2014, ex-art.14 du PLF 2014?: Les débats parlementaires indiquaient que l’imposition de l’entité prêteuse devrait être appréciée en prenant en compte le traitement fiscal du seul produit d’intérêts perçu à son niveau et non «?le niveau global d’imposition?»
Ce nouveau mécanisme conçu à l’origine comme un dispositif anti-abus a finalement été adopté sous une forme très générale interdisant la déduction des intérêts versés à des entreprises liées (1) lorsque l’entreprise débitrice ne peut démontrer que le créancier prêteur «?est, au titre de l’exercice en cours, assujetti à raison de ces mêmes intérêts à un [IS (ou équivalent)] dont le montant est au moins égal au 1/4 de l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun?», que cette entreprise prêteuse soit ou non résidente de France.
Appréciation du niveau d’imposition minimal du prêteur
La question consistait à savoir si l’administration considérerait la condition d’imposition du prêteur comme remplie dès lors que le produit financier serait pris en compte dans le revenu taxable du créancier soumis à un taux d’imposition d’au moins ¼ de l’IS français ou bien s’il fallait considérer le taux effectif d’imposition dudit revenu après prise en compte des charges affectables économiquement ou fiscalement à ce revenu (ce qui aurait pour effet d’élargir le champ d’application effective de la limitation).
Le projet de Bofip confirme l’analyse littérale et exégétique (2) du texte : il n’est tenu compte que du régime d’imposition du créancier et non des charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer son résultat imposable. Les situations anticipées par les praticiens (back to back, consolidation fiscale, situation déficitaire du prêteur) ne conduisent pas à dégrader la situation du créancier en la matière. Les règles d’assiette locales permettant de réduire le montant du produit imposable (ex. : abattement ou réfaction forfaitaire appliqué à ces intérêts) doivent en revanche être prises en compte pour considérer la condition d’imposition minimale. Des régimes de déduction forfaitaire non directement liés aux produits imposables (ex. : intérêts notionnels belges) devraient ainsi rester sans incidence sur la déduction de la charge en France.
La déduction n’est encore admise que si elle intervient au titre de la période de référence, correspondant à celle de perception et d’imposition par le créancier (cas d’exercices décalés). Mais le véritable enjeu concerne les situations de décalage dans le temps entre déduction et imposition, notamment lorsque les intérêts sont taxés au titre d’un exercice ultérieur, notamment du fait de règles comptable ou fiscale locales. Le débiteur doit alors rapporter la preuve de cette imposition à l’appui de la liasse fiscale dans laquelle la déduction sera réalisée et réintégrer fiscalement la charge correspondante au titre de l’exercice de comptabilisation.
Application en présence d’entités fiscalement transparentes
Le Bofip précise ses modalités d’application en présence de prêteurs constitués sous la forme d’entités transparentes au plan fiscal (sociétés visées à l’article 8 du CGI, OPC visés aux articles L214-1 à L214-191 du CoMoFi ou tout organisme étranger constitué sous une forme de nature équivalente) : la nouvelle limitation ne s’applique alors que s’il existe un double lien de dépendance (i) entre le débiteur et le créancier mais encore (ii) entre le créancier et ses associés ou porteurs de parts. Le niveau d’imposition minimal est apprécié au niveau des porteurs de parts ou associés.
Des interrogations demeurent cependant à la lecture du projet de Bofip.
- Le projet fait référence aux intérêts versés et non aux intérêts courus.
- La définition des OPC visés ne permet pas de sécuriser le régime des intérêts versés à des organismes non expressément visés tels les sociétés de capital-risque qui ne sont pas couvertes par la référence aux articles du CoMoFi en cause. La limitation pourrait ainsi s’appliquer aux SCR remplissant pourtant la condition de non double dépendance…
- À défaut de précision les investissements réalisés par des acteurs publics, français ou étrangers, exonérés d’IS pourraient également être concernés par cette nouvelle règle.
Certaines dispositions du projet semblent trop conservatrices.
- Les situations de superposition de structures transparentes liées sont traitées de manière trop disproportionnée. Les intérêts versés ne seraient, en l’état, pas déductibles chez la société débitrice soumise à l’IS, sans considération de l’absence de tout contrôle par les porteurs de parts de la structure transparente ultime. Il serait plus raisonnable que le texte ne s’applique qu’en considérant la double dépendance (i) au niveau du fonds créancier de la société soumise à l’IS et (ii) au niveau des porteurs de parts de l’OPC faitier.
- Tel est encore le cas de l’application de la limitation dans le cas d’une double dépendance avérée dans une structure d’investissement via une entité transparente détenue par un porteur «?lié?» et un porteur «?non lié?» : l’intégralité des intérêts versés à la structure transparente devrait être considérée comme non déductible chez le débiteur. Ici encore un assouplissement est attendu…
- Tel est enfin le cas de l’application de la limitation aux intérêts versés à une entité transparente exonérée qui rétrocède ou distribue le revenu en cause à ses porteurs de parts ou associés, sous une autre forme. En l’état, la déduction de ces intérêts pourrait être niée sur un double fondement : (i) absence, littéralement, d’imposition minimale des intérêts et (ii) décalage dans le temps dès lors que dans la plupart des cas les intérêts perçus par la structure transparente intermédiaire ne sont alloués ou distribués qu’au titre de l’exercice suivant aux porteurs ou associés.
Traitement fiscal des intérêts réintégrés sur ce fondement
Le projet de Bofip ne précise pas si les intérêts non déduits sur ce fondement seront qualifiés de revenus distribués. Il serait intéressant que l’administration précise que ces intérêts conservent leur nature au plan fiscal et ne soient ainsi pas qualifiés de revenus distribués, ainsi qu’elle l’a fait pour d’autres intérêts réintégrés sur la base des articles 212 I et 209 IX
du CGI. Sur ce dernier point encore la nouvelle copie de l’administration est très attendue.
1 Au sens de l’article 39 12 du CGI
2 Sénat, séance du 25 nov. 2013, art. 22 LF 2014, ex-art.14 du PLF 2014?: Les débats parlementaires indiquaient que l’imposition de l’entité prêteuse devrait être appréciée en prenant en compte le traitement fiscal du seul produit d’intérêts perçu à son niveau et non «?le niveau global d’imposition?»