Reed Smith est un cabinet de droit des affaires. Avec 30 bureaux dans le monde entier, il est reconnu pour ses nombreuses expertises. Séverine Martel, associée à la tête du département droit social au bureau de Paris, décrit l’activité de sa practice durant cette année si particulière.

Décideurs. Pouvez-vous nous présenter votre practice ?

Séverine Martel. Le cabinet Reed Smith est fondamentalement tourné vers l’international. L’une des particularités de notre département "droit social" réside dans sa capacité à identifier les spécificités en droit français qui n’existent pas dans d’autres juridictions, notamment dans les systèmes anglo-saxons, tout en s’efforçant d’apporter des réponses pragmatiques et innovantes adaptées aux besoins de nos clients.

Durant la crise sanitaire, quels sont les sujets qui ont mobilisé votre équipe ?

Notre activité a été soutenue cette année. Nous avons été particulièrement sollicités sur des problématiques tenant à l’activité partielle, impliquant parfois une analyse des mécanismes comparables pouvant exister dans d’autres juridictions, ainsi que sur la mise en place du télétravail. Nous sommes également intervenus dans le cadre de Plans de sauvegarde de l’emploi liés ou non à la crise sanitaire. Bien qu’il n’y ait eu formellement aucune interdiction de procéder à des licenciements pour motif économique pendant les différents confinements, certains de nos clients ont pris le parti de différer le déploiement de leur plan qu’ils ont finalement mis en œuvre entre fin 2020 et début 2021.

"Certains garde-fous doivent être mis en place afin de préserver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle"

Nous sortons progressivement de la crise sanitaire. Quelles sont les nouvelles préoccupations de vos clients ?

Le déploiement du télétravail à grande échelle continue de nous occuper avec notamment des problématiques nouvelles : quid du salarié qui ne souhaite pas retourner travailler dans les locaux de la société, ou de celui qui a déménagé dans un pays étranger où il a désormais fixé sa résidence et d’où il souhaite pouvoir continuer à télétravailler ? Bien que, selon la jurisprudence, la fixation du domicile du salarié relève de sa vie privée dans laquelle l’employeur ne saurait s’immiscer, il est évident que, dans cette hypothèse, l’économie même du contrat se trouve bouleversée. Travailler depuis son domicile à l’étranger oblige en principe l’employeur à cotiser aux régimes de sécurité sociales locaux et crée un risque de reconnaissance d’un établissement stable dans ce pays. Cette situation devrait, selon nous, autoriser l’employeur à procéder au licenciement du salarié qui persisterait à vouloir exercer son activité en télétravail depuis l’étranger. Ces sujets, tout comme la question du paiement d’une indemnité de télétravail, peuvent être anticipés dans l’accord collectif ou charte organisant le recours au télétravail.

Certains groupes se retranchent aujourd’hui derrière l’absence de mention d’une obligation de paiement d’une indemnité de télétravail formellement inscrite dans le Code du travail pour s’en exonérer. Une telle position nous paraît délicate à tenir et probablement source de contentieux à venir. Outre l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2020 qui comporte expressément cette obligation, l’employeur est légalement tenu de rembourser au salarié les frais professionnels engagés par lui dans le cadre de l’exercice de ses fonctions parmi lesquels notamment, à notre avis, les frais liés à l’exercice de son activité en télétravail. C’est d’ailleurs ce qui a justifié la publication par l’Urssaf d’un barème prévoyant le paiement d’une indemnité forfaitaire de télétravail intégralement exonérée de charges et cotisations de sécurité sociale.

Quel est votre avis sur la pérennisation du télétravail ?

Certains de nos clients ont adopté une organisation en télétravail dite "flexible" consistant à placer tous leurs salariés, dont les fonctions le permettent, en télétravail à 100 %. Les locaux de la société ne comportent ainsi plus de bureaux dits "fixes" mais des espaces de bureaux pouvant être occupés par certains salariés de passage dans les locaux de la société. Ce type d’organisation, s’il permet indéniablement une économie des coûts de loyers, suppose la mise en place de garde-fous afin de préserver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle du salarié, outre la gestion des risques psychosociaux pouvant être induits par une complète rupture avec le milieu professionnel.

"La crise sanitaire a fait émerger des règles inédites en droit social auxquelles tant les sociétés que les salariés doivent s’adapter"

Le pass sanitaire est dorénavant applicable dans certains secteurs. Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Le fait que la vérification de la détention du pass sanitaire incombe à l’employeur et non à la médecine du travail peut être perçue comme une nouvelle brèche au secret médical, déjà sérieusement malmené pendant toute la durée de la crise sanitaire. La possibilité de licencier le salarié refusant de produire un pass sanitaire, initialement prévue dans le projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire, a été finalement supprimée. La question demeure cependant ouverte. La loi prévoit actuellement une suspension du contrat de travail non rémunérée pendant une durée de trois jours ainsi qu’un éventuel reclassement à un poste n’exigeant pas la présentation d’un pass sanitaire. Les contours de ce nouveau dispositif restent cependant flous. Le salarié persistant dans son refus pourra-t-il être licencié ? Les tests PCR qui ne seront bientôt plus remboursés devront-ils être considérés comme des frais professionnels à la charge de l’employeur ? Ce dispositif est, par ailleurs, de nature à créer une certaine discrimination au niveau de l’embauche. Il est probable que les employeurs confrontés au pass sanitaire privilégient les candidats vaccinés plutôt que ceux qui ne le sont pas, notamment afin de s’épargner les éventuels coûts liés à des tests PCR réguliers.

Votre activité est tournée vers l’international. Comment la thématique autour de la vaccination est-elle abordée à l’étranger ?

Aux États-Unis, certains grands groupes ont franchi le pas de la vaccination obligatoire pour leurs salariés, notamment depuis l’autorisation de mise sur le marché sans condition du vaccin Pfizer-BioNTech. Bien qu’une telle obligation puisse être perçue comme une entorse aux libertés individuelles, l’Agence fédérale américaine en charge du respect des lois contre la discrimination au travail (EEOC) a indiqué, en mai dernier, que l’obligation de présenter une preuve vaccinale n’était pas en infraction avec le droit du travail américain. La position est radicalement différente en Allemagne où aucune obligation vaccinale ni pass sanitaire n’existe actuellement dans le milieu du travail et il ne semble pas que la mise en place de tels dispositifs soit envisagée. Au Royaume-Uni, il n’existe également pas d’obligation vaccinale en tant que telle pour les salariés mais un employeur peut exiger de ses salariés qu’ils soient vaccinés et imposer des sanctions en cas de refus : refus d’accéder aux locaux de la société, de se déplacer et le cas échéant, licenciement si les fonctions ne peuvent plus être exercées.

Que conseillez-vous aux DRH afin qu’ils puissent communiquer au mieux à leurs collaborateurs sur ces sujets sensibles ?

La crise sanitaire a fait émerger des règles inédites en droit social auxquelles tant les sociétés que les salariés doivent s’adapter. Transparence et négociation nous paraissent devoir rester les mots d’ordre dans ce nouveau contexte en perpétuelle évolution.

Entretien avec Séverine Martel, associée et responsable du département droit social en France, Reed Smith

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