Avec son côté "madeleine de Proust", la bande dessinée attire de plus en plus de collectionneurs bien décidés à faire rimer plaisir avec investissement. Pourtant, les pièces dignes d’intérêt sont rares. Éric Leroy, spécialiste du sujet chez Artcurial, aide à y voir plus clair ceux qui voudraient se lancer.

Décideurs. Comment expliquer l’extraordinaire essor des ventes aux enchères de BD ces dernières années ?

Éric Leroy.  Les ventes ne sont pas nouvelles : cela fait trente ans que j’y assiste et celles organisées à Drouot dans les années 1990 étaient déjà extraordinaires ! Ce qui est certain c’est qu’elles se multiplient – même si la qualité suit rarement et que les grandes ventes se comptent sur les doigts d’une main chaque année –, et qu’elles sont plus médiatisées et visibles, notamment par le biais des réseaux sociaux. Les records de prix atteints par les pièces exceptionnelles sont ainsi davantage exposés au grand public. À mon sens, la vente organisée par Artcurial en 2007 consacrée à Enki Bilal constitue un tournant dans le développement des ventes aux enchères de bandes dessinées. Les 32 dessins qui y étaient présentés ont affolé les enchères et tiré le marché vers le haut. Depuis, l’engouement médiatique ne s’est pas démenti. Parallèlement, une génération plus jeune, qui a fait son entrée sur le marché du travail et qui gagne bien sa vie, s’est aussi intéressée au sujet. C’est une réelle évolution : encore dans les années 1970, la BD n’était pas quelque chose de sérieux. Aujourd’hui, le genre s’est fait une place jusque dans les écoles où il est considéré comme un moyen de s’ouvrir à la lecture, de rire, de s’ouvrir l’esprit ou d’exercer son imagination. D’ailleurs, les grands titres de bandes dessinées n’ont rien à envier, en termes de tirages, à un prix Goncourt !

Quels sont les critères qui expliquent la valeur d’une bande dessinée ?

Le plus important, c’est de viser la qualité. Pour cela, rien de tel que de rechercher les noms incontournables, les blockbusters comme Tintin ou Astérix. L’histoire de l’art ne retient que les grands noms. C’est exactement la même chose pour la bande dessinée. Or les stars dans ce domaine ne sont pas si nombreuses : Enki Bilal, Jacques Tardi, Hergé ou Moebius (Jean Giraud). Les valeurs sûres, ce sont les pièces rares et en excellent état. Elles atteignent rapidement des sommets. Bien sûr, les originaux représentent des budgets conséquents mais on peut aussi opter pour des petits dessins de studio ou des planches. Comme pour les timbres ou les pièces de monnaie, l’état neuf est un critère central dans la valorisation d’une bande dessinée. Et ce d’autant plus qu’elle est par essence destinée à des enfants et qu’elle est constituée de matériaux fragiles. Au-delà de la rareté et la qualité d’une BD, son état pourra expliquer une valorisation passant du simple au centuple !

"Les meilleurs placements demeurent les livres, planches et dessins originaux" 

Quels conseils donner à quelqu’un qui voudrait se lancer dans une collection ? Quels sont les pièges à éviter ?

C’est très simple : achetez ce qui vous plaît et ce qui est beau ! Certes cher sur le moment, c’est ce qui restera dans le temps. L’idéal est d’acquérir des premières éditions originales, avec les couleurs et le papier des premiers tirages. Elles sont très différentes des bandes dessinées que nous achetons aujourd’hui. Beaucoup hésitent à acheter des objets dérivés, avec un vrai potentiel décoratif. C’est une erreur selon moi : les meilleurs placements demeurent les livres, planches et dessins originaux. Enfin, attention aux arnaques sur le Net. Depuis quelques années, on ne compte plus les fausses dédicaces par exemple. Recourir à un expert est primordial. Par exemple, chez Artcurial, tous les acheteurs bénéficient d’une garantie de dix ans. Ainsi, si une pièce achetée lors d’une de nos ventes se révèle être une fausse, l’acquéreur sera remboursé. 

Collectionner impose-t-il de ne plus lire les ouvrages, de peur de les abîmer et de leur faire perdre de la valeur ? 

L’état neuf est central. Il faut donc prendre soin de ses pièces, exactement comme on le fait pour un tableau ou des bijoux que certains rangent dans des coffres. Pour autant, certains collectionneurs ne s’interdisent pas de feuilleter leurs bandes dessinées avec des gants blancs pour ne pas les abîmer. D’autres se contentent d’en contempler les reliures, comme les amateurs de livres anciens. Je dirais que le véritable ennemi du collectionneur est la lumière qui altère les couleurs et les matières, même si tous les médiums ne sont pas égaux face à ce danger : la mine de plomb et l’encre de Chine par exemple résistent particulièrement bien à la lumière. Le feutre et l’aquarelle sont plus fragiles.

"L'état d'une BD pourra expliquer une valorisation passant du simple au centuple"

Quel genre de BD a-t-il le plus la cote ?

Attention aux modes qui, par définition, se démodent vite. Beaucoup de dessinateurs ont du talent mais il y a peu d’élus qui restent dans les annales. Je vois souvent des collectionneurs jeter leur dévolu sur des planches d’auteurs contemporains, bien dessinées, mais qui passent de mode. En matière de bandes dessinées peut-être plus qu’ailleurs il faut viser le chef-d’œuvre. Acheter Tintin ou Astérix, c’est comme acheter du Van Gogh ou du Picasso. C’est la clé d’un achat réussi.

Propos recueillis par Sybille Vié

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