Cédric Fouché, directeur général adjoint d’Agrica Épargne, et Florian Roger, directeur de la recherche et de la stratégie chez Exane Solutions, livrent leurs visions complémentaires, buy-side et sell-side, des drivers stratégiques de l’année en termes d’allocation d’actifs : Policy mix, inflation et investissement responsable.

Décideurs. Comment avez-vous navigué pendant la période Covid et durant le début d’année 2021 ?

Cédric Fouché. Alors que beaucoup voyaient déjà une nouvelle fin du monde lorsque les marchés se sont effondrés de fin février à mi-mars 2020, nous avons profité des baisses pour accroître le poids des actions dans nos portefeuilles. À partir de septembre, nous les avons positionnés pour une reprise cyclique. Notre stratégie se poursuit sur 2021 et continue de performer. En matière d’allocation tactique, nous sommes surpondérés en actions dites « value » depuis dix mois, même si nous avons commencé ces dernières semaines à revenir vers des portefeuilles plus équilibrés.

Florian Roger. À partir du mois d’avril 2020, la politique monétaire a joué un rôle clef, notamment avec l’intervention directe des Banques centrales et de la Fed sur le crédit à haut rendement. La baisse des taux longs sur les dix dernières années a engendré une surperformance structurelle des valeurs de croissance. À l’été 2020, au moment où l’économie avait besoin de stimulus durables face à une crise sanitaire, économique et un risque de crise sociale majeurs, nous étions sur des points bas sur les taux longs. La réponse devait alors être plus budgétaire que monétaire et c’est ce qui s’est vérifié avec le plan Biden, le Recovery Fund européen ou encore la suspension du pacte de stabilité en Europe.

La tendance inflationniste sur le marché est-elle conjoncturelle ou structurelle ?

C. F. Pour le moment, nous assistons davantage à un rebond technique qu’à une reprise structurelle de l’inflation. Il convient néanmoins de souligner que la dynamique de la hausse des prix n’est pas la même entre le marché américain et la zone Euro. Elle pourrait s’intensifier aux États-Unis, notamment au regard des hausses salariales constatées dans certaines sociétés (Mcdonald's, Amazon...). Aussi, la Fed ne pourra pas indéfiniment affirmer qu’il s’agit d’un simple effet transitoire. En zone Euro, les facteurs politiques et sociaux sont moins convergents, et il semble à ce stade prématuré d’affirmer qu’une inflation durable se mette en place même si celle-ci pourrait se manifester dès l’année 2022.

F. R. Pour l’instant, l’inflation provient principalement des matières premières et des biens durables. Dans leur intervention budgétaire, les États ont mis l’accent sur la révolution énergétique et le prix des matières premières de demain ont effectivement explosé à la hausse : le cuivre, le zinc, le nickel, l’aluminium, le palladium. L’inflation va revenir structurellement dans les économies car il y a de la demande, des perspectives importantes et une offre en face qui ne peut pas répondre avec la même vitesse. Avec la crise, un certain nombre de chaînes de production se sont arrêtées. Si vous prenez le cuivre : la mise en place des nouvelles capacités de production prend entre 7  et 10 ans. On retrouve ce phénomène de rareté dans les biens utilisés comme les composants électroniques, qui entraînent également des effets de second tour sur l’inflation.

C. F. Certains secteurs sont en effet sous pression et l’effet rareté pousse les prix à la hausse. Les semi-conducteurs en sont une illustration. Néanmoins, une remontée trop marquée des prix des matières premières serait davantage déflationniste pour les pays importateurs, notamment les pays du G7.

La dernière décennie a été caractérisée par la lutte contre la déflation. Peut-on s’attendre à d’autres approches aujourd’hui ?

F. R. Les politiques monétaires ont en effet lutté contre la déflation mais ont amené de l’inflation financière. Le changement de paradigme se trouve plutôt dans le retour de l’interventionnisme d’État. Avec l’augmentation des inégalités, il y a eu une réelle prise de conscience des autorités des pays développés concernant la montée du populisme et une volonté de récupérer le vote de la classe populaire en répartissant différemment la valeur ajoutée. Cela passe notamment par l’augmentation des salaires administrés et d’un certain nombre de prestations sociales. Mécaniquement ce phénomène devrait contribuer à davantage d’inflation.

"Les défis environnementaux et de santé vont avoir un impact très positif sur la croissance : les États lancent des dépenses d’infrastructures majeures et les entreprises vont réorienter leurs investissements"

C. F. Le ralentissement de la croissance démographique et la baisse des gains de productivité présentent une trajectoire défavorable. Les ruptures technologiques et l’automatisation des processus et métiers sont devenues déflationnistes, car les entreprises qui en sont aujourd’hui à l’origine ou qui en bénéficient ne recyclent qu’une faible partie de leurs profits dans l’économie réelle. En revanche, les défis environnementaux et de santé vont avoir un impact très positif sur la croissance. En effet, les États lancent des dépenses d’infrastructures majeures, et les entreprises vont réorienter leurs investissements pour tenir compte des enjeux sociétaux. De nouveaux métiers à forte valeurs ajoutée apparaissent déjà pour accompagner cette tendance de fond qui sera sans doute reflationniste.

Quelle est votre positionnement sur l’investissement responsable ?

C. F. Depuis plus de douze ans, Agrica Épargne s’inscrit dans la dynamique de l’investissement responsable. Nous avons poursuivi aux côtés du groupe Agrica dans les principes de l’investissement responsable des Nations unies et lancé un nouveau fonds de partage, Agrica Euro Responsable. Au moins 50 % des encours du portefeuille doit être positionné sur des entreprises qui favorisent la santé et l’environnement. Ces deux approches sont complémentaires, puisque 11 des 17 ODD sont tournés vers ces enjeux. En outre, une artie des frais de gestion est redistribuée à des organismes à but non lucratif qui agissent en faveur d’une meilleure santé.

F. R. Nous partageons les mêmes valeurs qu’Agrica Epargne en matière d’investissement responsable. Des solutions sont proposées en sell-side à nos clients sur le green deal. La migration des flux concentrés sur les technologies vers l’univers de révolution énergétique créera une bulle. En termes de stock picking, il faut chercher les Amazon de demain tout en faisant attention à certains « pure players » de la révolution énergétique. Souvenez-vous de la première génération Internet comme Netscape ou AOL et qui ont aujourd’hui disparu. Une analyse financière approfondie des sociétés sera essentielle pour détecter les entreprises qui deviendront incontournables dans le futur.

Aujourd’hui quel type de stratégie peut-on adopter pour une performance durable ?

C. F. Les acteurs ayant un horizon d’investissement limité pourront se tourner du côté des obligations convertibles et à haut rendement, en étant vigilant sur le market timing. Si par ailleurs les actions risquent d’entrer en bulle dans les prochains trimestres, elles resteront incontournables pour les investisseurs de long terme. Nous restons constructifs sur les sociétés cycliques et « value ». Notons toutefois que ces thématiques pourraient vite s’essouffler au regard d’un environnement de reprise économique déjà bien avancé, alors que les thématiques responsables resteront un choix judicieux pour qui recherche un équilibre entre un rendement pérenne et une volatilité maîtrisée dans la durée.

"Les thématiques responsables resteront un choix judicieux pour qui recherche un équilibre entre un rendement pérenne et une volatilité maîtrisée dans la durée"

F. R. Au niveau thématique : tous les secteurs stratégiques pour les États et notamment le Green New Deal. L’Europe subit un déclassement financier depuis dix ans puisque l’Europe n’a pas la tech et qu’elle n’est pas présente sur les secteurs où il y a besoin d’économie d’échelle. On doit donc s’attendre à des consolidations de secteur qui vont bénéficier du retour du keynésianisme (les banques, la grande distribution, les télécoms) et contribuer à la construction de champions européens.

Propos recueillis par Sandy Andrianabiby

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