Les entreprises ont le droit de rêver. Elles peuvent vivre une passion, être animées par une cause profonde. Elles ont gagné le droit d’être des acteurs engagés et de nommer leur raison d’être. Enclenchée par la loi Pacte, cette révolution – discrète – n’était pourtant pas du goût de tous au Medef. En effet, le dogme dominant depuis Milton Friedman est simple : la seule mission de l’entreprise est de faire des profits. Avoir une raison d’être, c’est transcender ce dogme : en l’énonçant, une entreprise proclame qu’elle peut consacrer une partie de ses bénéfices à sa mission fondamentale. Chaque fois qu’une entreprise nomme sa raison d’être, c’est un petit pas pour elle, mais un grand pas pour l’humanité. La révolution en profondeur du capitalisme est en marche. Comment s’en saisir ? Voici quelques clés de compréhension.

Chaque entreprise a sa raison d’être. Ancré dans les racines de sa naissance, parfois 10 ans, parfois 100 ans plus tôt, il existe toujours un sens profond. Les entreprises singulières sont les seules qui se développent bien, attirent et résistent à l’usure du temps. Et la singularité, l’essence, l’âme spécifique est une clé de succès aussi ancienne que le capitalisme. Pourtant, quand le fondateur s’éclipse, quand des actionnaires trop financiers prennent le pouvoir sur une direction éclairée, la mission fondamentale risque d’être vidée de sa substance, de n’être qu’une grappe de mots, sans vitalité. Les investisseurs sont de plus en plus conscients que l’entreprise doit penser au-delà du profit à court terme.

Ainsi, Larry Fink, qui dirige BlackRock, l’un des fonds d’investissement les plus importants, déclarait récemment que: « Les entreprises qui accomplissent leur raison d’être et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes en récoltent les fruits à long terme; celles qui les ignorent trébuchent et échouent. » L’entreprise est le carrefour des parties prenantes que sont les salariés, les clients, les fournisseurs, le management, mais aussi la collectivité et l’ensemble de son écosystème. L’entreprise a sa vie propre, à la croisée de ses parties prenantes: elle arbitre, construit des compromis et aligne les intérêts aussi contradictoires que convergents. Ces équilibres sont subtils, souvent invisibles, et produisent des effets dans le temps.

Faire le bien, à grande échelle

Pourquoi ne pas utiliser la force de frappe des entreprises pour contribuer à l’équilibre de la société? Quand une entreprise identifie sa cause profonde, sa raison d’être, elle gagne en cohésion interne, trouve un sens et suscite un sentiment d’appartenance.
 

Formaliser sa raison d'être permet de poser un cadre éclairant et inspirant au delà des cycles économiques, des stratégies à trois ans ou des modes managériales


C’est le capitalisme dans son ensemble qui se dote d’une boussole. Un petit pas microéconomique, mais un grand pas pour l’humanité. Formaliser sa raison d’être permet de poser un cadre éclairant et inspirant, au-delà des cycles économiques, des stratégies à trois ans, ou des modes managériales. Elle pose une gouvernance supra-conjoncturelle. C’est la raison pour laquelle Veolia, SNCF, Atos, Crédit agricole, BNPP et bien d’autres ont déclaré s’atteler au sujet.

Ils s'y mettent

Depuis la loi Pacte, l’engouement est palpable. Malgré les réticences initiales d’une partie du Medef, PME comme grands groupes se sont approprié ce nouveau statut juridique. Crédit agricole a opté pour une phrase courte: « Agir chaque jour dans l’intérêt de nos clients et de la société », quand BNPP, à l’inverse, s’est doté d’un long texte constitué de deux axes forts: « Nous sommes au service de nos clients et du monde dans lequel nous vivons. Nous nous donnons les moyens opérationnels d’avoir un impact positif. » Les banques ont saisi l’opportunité de réaffirmer, voire de redonner du sens à leur métier, de plus incompris, depuis le bankbashing qui a suivi la chute de Lehman Brothers.

Les investisseurs sont de plus en plus conscients que l'entreprise doit penser au delà du profit à court terme

Côté industrie, Veolia et Atos ont ouvert le bal. Veolia entend « ressourcer le monde » et « contribuer au progrès humain, en s’inscrivant résolument dans les objectifs de développement durable définis par l’ONU, afin de parvenir à un avenir meilleur et plus durable pour tous ». Longtemps dirigé par Thierry Breton, désormais à la Commission européenne, Atos souhaite pour sa part « façonner l’espace informationnel » et soutenir « le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche (…) le développement de l’excellence scientifique et technologique. Partout dans le monde, nous permettre (…) au plus grand nombre, de vivre, travailler et progresser durablement et en toute confiance dans l’espace informationnel. » Même le Medef a répondu à l’appel et défini sa raison d'être : « Agir ensemble pour une croissance responsable ». Côté PME, l’enthousiasme est aussi manifeste, à Paris ou en région. In Vivo ou encore Mobil Wood ont franchi le pas comme d’autres. Mais le phénomène est moins médiatisé qu’au sein du CAC 40.

Mode d'emploi pour capitalistes conscients

La montée en puissance de cette prise de conscience se traduit aux États-Unis par divers mouvements dont les deux plus visibles sont la montée des B Corp et le courant du Conscious Capitalism, inspiré par John Mackey, fondateur dès 1985 de Wholefood, chaîne de supermarchés bio et écoresponsables. Les six phases pour avancer avec méthode :

1- Se livrer à une introspection
2- Consulter les parties prenantes
3- Édicter sa raison d’être, ses principes d’actions et valeurs
4- Soigner la mise en œuvre et vérifier l’adhésion
5- Faire évoluer son business model
6- Faire évoluer sa gouvernance

Chaque phase permet de construire une vision et une adhésion fortes, de repenser des points d’équilibres profonds pour les garantir ou les améliorer.

Si la mobilisation de la direction est indispensable, il est toutefois nécessaire d’aller au-delà en incluant notamment les représentants des salariés ou encore les fournisseurs. Le capitalisme sera (plus) conscient ou ne survivra probablement pas à ses détracteurs populistes, capables via les réseaux sociaux de noircir à grande vitesse l’image d’une entreprise…

Vers trois niveaux d'entreprises

Le monde des entreprises s’oriente donc vers trois grandes catégories, réparties selon leur niveau de « conscience » sociétale, vu la vitesse à laquelle leaders et salariés se saisissent des outils mis à leur disposition par la loi Pacte ou ses équivalents internationaux. Le premier niveau sera celui des « entreprises non conscientes », celles n’ayant pas défini leur raison d’être ni identifié leur contribution à l’intérêt général.

Certaines adopteront ces principes de façon sous-jacente, mais n’en tireront pas tous les bénéfices. D’autres achopperont sur le travail d’introspection et de remise en cause et connaîtront des difficultés croissantes pour recruter, motiver, communiquer et fidéliser leurs clients. Le second niveau sera celui des entreprises dotées d’une raison d’être. En articulant la façon dont elles participent au bien commun, elles prendront progressivement un avantage concurrentiel sur celles du premier niveau.

Enfin, au sommet de la pyramide trôneront les entreprises certifiées. Parmi elles, les entreprises à mission, plus exigeantes encore avec elles-mêmes car décidant de se soumettre à une évaluation, selon la mission posée, via un organisme (B Corp ou autre). Les pionniers des premiers jours étofferont leurs rangs. Quant aux entreprises labellisées B Corp, elles sont déjà près de 2 800 dont une centaine en France. Cocorico. 

Pierre-Etienne Lorenceau

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